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Le courage de renoncer : la soustraction comme stratégie gagnante

Pour beaucoup, l’entrepreneur courageux est celui qui fonce, qui accumule, qui ose tout tenter. Le récit dominant dans les conférences, les biographies et les plateaux télé est celui de la conquête : nouveaux marchés, nouveaux produits ou nouvelles levées de fonds. Pourtant, dans les coulisses des entreprises durables et performantes, une autre vertu s’avère tout aussi décisive : le renoncement.

Renoncer à des marchés trop tentants mais piégeux, à des technologies brillantes mais incompatibles avec sa vision ou encore aux modes qui agitent les concurrents mais n’apportent aucune valeur pérenne.

C’est ce que certains chercheurs et stratèges nomment « la stratégie de la soustraction » : moins d’initiatives, mais plus de cohérence. Moins de dispersion, mais plus d’impact. La valeur d’un dirigeant ne se mesure plus seulement à ce qu’il sait embrasser, mais aussi (et surtout ?) à ce qu’il sait écarter.

Renoncer n’est pas fuir : un choix actif

Dire non ressemble souvent à un aveu de faiblesse. On renonce souvent par défaut : manque de moyens, manque de compétences, manque d’opportunités. Or la véritable stratégie de la soustraction n’a rien d’une capitulation. C’est une démarche volontaire et lucide, qui consiste à retirer tout ce qui parasite la mission centrale de l’entreprise.

Cependant renoncer, cela peut être protéger et s’offrir la discipline de la concentration.

Trois dimensions de la soustraction

1/ Dire non aux marchés

Dans la frénésie d’expansion, la tentation est grande d’ouvrir son produit à tous les segments possibles. Un logiciel pensé pour les PME attire soudainement l’attention de grandes entreprises. Un service pensé pour une région reçoit des demandes de l’étranger. Faut-il y aller ? Pas toujours.

La croissance peut tuer une entreprise plus sûrement que la stagnation. Multiplier les marchés, c’est multiplier les contraintes réglementaires, logistiques, marketing. C’est parfois sacrifier l’excellence de son cœur de métier.

2/ Dire non aux technologies

La fascination pour la nouveauté technologique est un piège récurrent. L’intelligence artificielle, la blockchain, la réalité augmentée, le métavers… Chaque vague de hype incite les dirigeants à se demander : « Que faisons-nous avec cette technologie ? »

Mais cette logique est inversée. La vraie question devrait être : « Cette technologie sert-elle ma mission ? »

Netflix, par exemple, aurait pu investir massivement dans la 3D lorsque Hollywood s’y engouffrait au début des années 2010. Elle a dit non. Elle a préféré concentrer ses moyens sur le streaming et les contenus originaux. Dix ans plus tard, l’histoire lui a donné raison.

3/ Dire non aux modes

Les modes managériales et organisationnelles ne manquent pas : lean, agile, holacratie, management horizontal… Certaines sont utiles, d’autres relèvent davantage du slogan que d’une transformation en profondeur.

Une direction courageuse consiste parfois à dire : « Non, nous ne suivrons pas cette tendance, même si tout le monde s’y engouffre. »

C’est ce qu’a fait Apple en refusant les réseaux sociaux d’entreprise ou les marketplaces internes alors que d’autres géants s’y aventuraient. Elle a préféré garder une cohérence simple : créer des produits désirables, fermés mais intégrés.

Pourquoi renoncer est si difficile

Si la stratégie de la soustraction est si précieuse, pourquoi reste-t-elle minoritaire ? Parce que renoncer est douloureux à trois niveaux.

D’abord, au niveau psychologique. Dire non, c’est admettre que l’on ne peut pas tout. L’ego du dirigeant, nourri par la réussite, a souvent du mal à accepter la limite.

Puis, au niveau social. Refuser un projet, c’est parfois décevoir une équipe, des investisseurs ou des partenaires. Le dirigeant doit assumer d’être impopulaire à court terme.

Enfin au niveau culturel. Dans une économie obsédée par la croissance, tout retrait ressemble à une trahison du modèle dominant. Les médias ne célèbrent pas ceux qui ont refusé une opportunité ; ils racontent ceux qui l’ont saisie.

Le courage de renoncer est donc un courage invisible, moins spectaculaire que celui de conquérir, mais tout aussi décisif.

Les bénéfices cachés de la soustraction

À contre-courant des idées reçues, les dirigeants qui pratiquent la soustraction récoltent des avantages durables :

  • Clarté stratégique. Une mission resserrée est plus lisible pour les collaborateurs, les clients et les investisseurs.
  • Ressources mieux allouées. Dire non à certains projets permet d’investir plus profondément dans ceux qui comptent vraiment.
  • Attractivité renforcée. Dans un monde saturé, les marques cohérentes inspirent davantage confiance.
  • Résilience. En évitant la dispersion, l’entreprise résiste mieux aux crises et aux fluctuations de mode.

3 exemples contemporains

  • Airbnb, au début de la pandémie, a dû renoncer à sa diversification (expériences haut de gamme, projets de transports). La société s’est recentrée sur son activité de base : la location de logements. Ce retour à l’essentiel lui a permis de traverser la crise et de réussir son introduction en bourse.
  • Michelin a refusé la mode de la diversification industrielle tous azimuts pour rester centré sur les pneumatiques et quelques secteurs adjacents où sa compétence était unique.
  • Ikea a dit non à l’hyper-digitalisation totale. Elle continue de croire à l’expérience physique des magasins, malgré les pressions du e-commerce pur. Résultat : un modèle hybride qui reste rentable.

Comment exercer la soustraction en pratique ?

Pour les dirigeants et créateurs d’entreprise, renoncer ne s’improvise pas. Cela suppose une méthode.

1/ Clarifier la mission.

Plus la raison d’être est nette, plus il est facile de trancher. Toute opportunité qui ne s’y aligne pas doit être écartée.

2/ Évaluer le coût caché.

Chaque nouveau marché ou produit génère des coûts invisibles (complexité organisationnelle, dilution managériale). Ces coûts doivent être pesés autant que les bénéfices attendus.

3/ Mettre en place un rituel de renoncement.

Certaines entreprises organisent des « réunions de désinvestissement » régulières pour décider de ce qu’elles vont arrêter, et pas seulement de ce qu’elles vont lancer.

4/ Communiquer le « non ».

Un renoncement mal expliqué peut démobiliser. Il faut en faire un récit positif, centré sur la concentration des forces.

Un leadership de maturité

La stratégie de la soustraction exige un type de leadership particulier : un leadership de maturité. Là où l’entrepreneur débutant se définit par l’audace de tout tenter, le dirigeant expérimenté se distingue par l’art de sélectionner.

Steve Jobs, lors de son retour chez Apple en 1997, a supprimé 70 % des projets en cours pour se concentrer sur quelques produits phares. Il disait : « L’innovation, ce n’est pas dire oui à tout. C’est dire non à mille choses. » Et ce choix radical a sauvé l’entreprise.

La colère créative

La colère est généralement considérée comme un défaut de caractère, un sentiment négatif à canaliser ou à cacher. Mais dans le monde entrepreneurial, elle peut devenir une force constructive, à condition d’être canalisée intelligemment. On parle alors de colère créative : cette énergie émotionnelle née de l’indignation face à une injustice, une absurdité ou une inefficacité, transformée en moteur d’action et de transformation.

Pour certains entrepreneurs, cette colère est le point de départ de leur projet. C’est le dégoût de voir des pratiques obsolètes, des systèmes injustes ou des besoins non satisfaits qui les pousse à innover, à challenger le statu quo et à créer des entreprises à impact.

Quand l’indignation devient opportunité

L’histoire regorge d’exemples où la colère a généré de grandes innovations comme Pierre Omidyar et eBay. Omidyar a fondé eBay après avoir été frustré par l’absence de plateforme permettant aux particuliers de vendre et acheter des objets de manière simple et sécurisée. Sa colère face aux inefficacités du marché de la seconde main a conduit à la création d’une entreprise qui a révolutionné le commerce électronique.

Cet exemple montre un entrepreneur qui a su canaliser sa colère, non pas en attaque destructive, mais en force de création et d’innovation.

Les mécanismes de la colère créative

La colère créative fonctionne selon plusieurs dynamiques psychologiques et organisationnelles :

1/ Prise de conscience : la colère naît d’une perception aiguë d’injustice ou d’inefficacité. Cette prise de conscience identifie un problème réel ou latent dans le marché ou la société.

2/ Motivation et énergie : la colère, lorsqu’elle est contrôlée, génère une énergie intense qui pousse à l’action. Elle fournit un moteur émotionnel plus puissant que la simple ambition financière.

3/ Clarté d’objectif : la colère crée une orientation claire : résoudre le problème identifié. Elle permet au dirigeant de rester focalisé sur l’impact, même face aux obstacles.

4/ Mobilisation des équipes : une vision née de l’indignation peut fédérer les collaborateurs, séduire des investisseurs et mobiliser des clients autour d’une cause partagée.

Transformer l’indignation en stratégie

La colère créative ne suffit pas : elle doit être intégrée à une stratégie entrepreneuriale cohérente. Un leader intelligent sait que l’indignation brute peut déraper si elle n’est pas canalisée.

Il s’agit d’abord d’identifier le problème concret. En effet, une colère diffuse ou générale est inefficace. Il faut identifier un point précis d’injustice ou d’inefficacité.

Ensuite, il faut définir une solution tangible. Il s’agit de transformer la colère en projet. Cela nécessite une vision claire de ce que l’entreprise peut apporter comme solution.

Enfin, il est recommandé de mesurer l’impact. L’indignation est un carburant émotionnel, mais la réussite repose sur des résultats tangibles : adoption par le marché, transformation sociale ou performance économique.

Les bénéfices de la colère créative

Une colère bien canalisée peut générer plusieurs avantages pour l’entreprise :

1/ Différenciation : une entreprise née d’une indignation se distingue par son engagement et sa mission. Elle attire clients et partenaires sensibles à cette vision.

2/ Engagement interne : les collaborateurs se sentent motivés et impliqués lorsqu’ils travaillent sur un projet qui a du sens et lutte contre une injustice réelle.

3/ Résilience : la colère créative nourrit la persévérance. Les fondateurs ont une motivation émotionnelle qui les aide à surmonter les échecs et les obstacles.

4/ Innovation : la colère pousse à questionner le statu quo et à proposer des solutions radicalement nouvelles.

Les risques et précautions

La colère créative n’est pas sans risques. Elle peut devenir contre-productive si elle n’est pas gérée. Elle peut amener au burn-out (une énergie émotionnelle trop intense et permanente peut épuiser le dirigeant et ses équipes) ou à des conflits internes (la passion liée à l’indignation peut générer des tensions si elle n’est pas partagée et structurée)

Aussi, elle peut engendrer une vision trop centrée sur le problème ou une communication maladroite. L’indignation peut être perçue comme agressivité ou critique destructrice si elle n’est pas exprimée avec clarté et stratégie.

Comment cultiver la colère créative

Pour transformer la colère en force de leadership, certains principes peuvent guider les dirigeants :

  • Canaliser émotion et action : identifier clairement l’injustice et déterminer une action concrète pour y répondre.
  • Faire de l’indignation un levier collectif : partager la vision et l’émotion avec les équipes pour les mobiliser.
  • Allier émotion et rationalité : utiliser la colère pour nourrir la créativité et la stratégie, pas pour réagir impulsivement.
  • Raconter l’histoire : transformer la colère en récit inspirant pour les clients, investisseurs et partenaires. L’émotion devient un moteur de storytelling authentique.

La colère créative et le leadership inspirant

Les leaders qui savent utiliser leur indignation transforment leur entreprise et leur environnement. Leur force ne réside pas dans l’autorité ou la technique, mais dans leur capacité à transformer une émotion intense en moteur collectif.

La colère comme catalyseur d’impact

La colère créative dépasse la simple performance économique. Elle peut devenir un catalyseur de transformation sociale. Les entrepreneurs qui partent d’une indignation construisent des entreprises qui changent des comportements, influencent des politiques ou réinventent des modèles industriels.

La vulnérabilité comme force de leadership

Pendant longtemps, le leadership a été associé à l’invincibilité. Un dirigeant devait être inébranlable, sûr de lui, capable de prendre des décisions sans faillir. Montrer une faiblesse, admettre une erreur ou exprimer un doute était perçu comme un risque, susceptible d’ébranler la confiance des équipes, des investisseurs ou des clients.

Pourtant, un changement subtil mais profond est en train de se produire dans les organisations du XXIe siècle : Les leaders osent désormais montrer leurs failles et créent paradoxalement plus de confiance et d’engagement.

La vulnérabilité, cette capacité à montrer ses failles, ses émotions, ses doutes, est en train de devenir une véritable force de leadership. Et ce paradoxe fascine : plus un leader ose être humain, plus il inspire, fédère et engage.

Le paradoxe de la vulnérabilité

L’idée peut sembler contre-intuitive. Traditionnellement, les entreprises valorisent le contrôle, la maîtrise et la performance sans faille. Les dirigeants qui admettent leurs erreurs ou reconnaissent leurs limites peuvent être perçus comme fragiles. Mais la psychologie organisationnelle montre le contraire.

Brené Brown, chercheuse et spécialiste du leadership vulnérable, a popularisé le concept : « La vulnérabilité n’est pas une faiblesse, c’est la source du courage et de la créativité. » En s’exposant, le leader humanise sa fonction, ce qui permet aux collaborateurs de se sentir en sécurité pour exprimer eux-mêmes leurs idées, leurs doutes et leurs propositions.

La vulnérabilité devient alors un levier de confiance. Les équipes comprennent que leur dirigeant n’est pas omnipotent, mais qu’il est sincère. Et cette sincérité, paradoxalement, renforce son autorité.

La vulnérabilité comme catalyseur de créativité

Un leader vulnérable incite ses équipes à s’exprimer librement. Et là se produit un phénomène puissant : la créativité et l’innovation explosent.

Dans les entreprises classiques, les collaborateurs hésitent à prendre des risques ou à proposer des idées originales, de peur d’être jugés ou sanctionnés. Mais lorsqu’un dirigeant partage ses propres doutes, il envoie un signal clair : il est permis de ne pas avoir toutes les réponses.

La vulnérabilité devient alors un catalyseur de créativité. Les équipes osent expérimenter, tester et parfois échouer. L’entreprise, paradoxalement, devient plus agile et plus performante.

Des entreprises comme IDEO ou Netflix cultivent cette culture de l’ouverture et de la transparence. Les dirigeants y admettent régulièrement les erreurs stratégiques et encouragent les retours d’expérience. Le résultat : une capacité d’innovation constante et un climat de confiance renforcé.

Comment cultiver la vulnérabilité en tant que leader

Être vulnérable ne signifie pas tout partager de façon aveugle ou improvisée. Il s’agit d’une discipline, qui requiert intelligence et stratégie. Voici quelques pratiques observées chez les leaders les plus efficaces :

1/ Admettre ses erreurs publiquement

Reconnaître un échec ou une décision malheureuse montre que l’on apprend et que l’on évolue. Cela dédramatise l’erreur pour les équipes.

2/ Exprimer ses doutes

Plutôt que de prétendre avoir toutes les réponses, un leader peut poser des questions, demander conseil et reconnaître les zones d’incertitude.

3/ Partager son parcours personnel

Raconter une expérience de vie ou un défi personnel humanise le dirigeant et crée un lien émotionnel fort avec ses collaborateurs.

4/ Écouter activement

La vulnérabilité inclut la capacité à recevoir des critiques et des feedbacks, sans se mettre sur la défensive.

5/ Poser des limites

Être vulnérable ne veut pas dire être naïf. Il s’agit de montrer ses failles tout en gardant une posture de responsabilité et de cohérence.

Les bénéfices concrets pour l’entreprise

Plusieurs études montrent les effets tangibles de la vulnérabilité sur la performance organisationnelle.

D’abord on constate un engagement accru. Les collaborateurs se sentent plus investis lorsqu’ils voient un leader sincère et humain.

Ensuite, il y a moins de turnover. En effet, les entreprises où la confiance et l’authenticité sont présentes retiennent mieux leurs talents.

Aussi, l’innovation s’en retrouve stimulée. Comme évoqué, la culture de l’ouverture favorise la créativité et la prise de risque raisonnée.

Enfin, on constate une meilleure résilience. Un climat de confiance permet de traverser les crises avec plus de cohésion et d’efficacité.

En résumé, la vulnérabilité transforme la relation entre dirigeants et équipes, de hiérarchique et distante à collaborative et inspirante.

La vulnérabilité dans les moments de crise

C’est dans les périodes difficiles que la vulnérabilité se révèle particulièrement puissante. Quand une entreprise traverse une crise économique, sanitaire ou sociale, les collaborateurs scrutent le comportement du leadership.

Adopter une posture authentique — reconnaître les difficultés, expliquer les décisions, partager les émotions — permet de maintenir la cohésion et l’engagement. À l’inverse, un leadership rigide et inattaquable peut générer frustration, méfiance et désengagement.

Exemple : pendant la pandémie de COVID-19, plusieurs dirigeants ont choisi de tenir des sessions en visioconférence ouvertes où chacun pouvait poser des questions, exprimer ses inquiétudes et recevoir des réponses honnêtes. Cette transparence a renforcé la confiance et limité les rumeurs ou les malentendus.

La vulnérabilité, un art à pratiquer

Comme tout art du leadership, la vulnérabilité se cultive. Elle nécessite courage, discernement et authenticité. Voici quelques conseils pour les dirigeants qui souhaitent s’engager dans cette voie :

  • Commencer petit : partager une expérience personnelle ou un doute lors d’une réunion d’équipe peut être le premier pas.
  • Choisir le bon contexte : certaines situations sont plus propices que d’autres pour montrer sa vulnérabilité.
  • Accompagner avec des solutions : exposer une faiblesse ne signifie pas abandonner la responsabilité ; il s’agit de montrer que l’on agit malgré tout.
  • Former les managers intermédiaires : pour que la vulnérabilité soit efficace, elle doit se propager dans toute l’organisation, pas seulement au sommet.

Les limites et précautions

La vulnérabilité n’est pas un passe-droit : elle ne doit jamais se transformer en exhibitionnisme ou en faiblesse exploitée par des tiers. En effet, trop de détails personnels peuvent nuire à l’autorité, trop de doutes exprimés sans plan d’action peuvent générer de l’incertitude et de l’anxiété. Aussi être vulnérable nécessite de rester aligné avec les valeurs et la mission de l’entreprise.

En d’autres termes, il ne s’agit pas de se montrer faible, mais humain et responsable.

Hériter du futur : les dirigeants architectes de société

Pendant longtemps, le rôle d’un entrepreneur semblait simple : créer un produit, le vendre, générer du profit. Point final. Mais ce paradigme est en train de basculer.  Pourquoi les entrepreneurs qui pensent au-delà de leurs profits ? Pourquoi l’impact social, le climat, l’éducation attirent aujourd’hui capitaux, talents et clients ?

Sous la pression des crises climatiques, des inégalités sociales, de la défiance des citoyens envers les grandes entreprises, une nouvelle génération de dirigeants s’impose : ceux que l’on pourrait appeler les architectes de société.

Ces entrepreneurs ne se contentent pas de bâtir des organisations rentables. Ils construisent des projets qui prétendent changer les règles du jeu, voire redessiner une partie de notre avenir commun. Et ce choix n’est pas seulement moral : il devient stratégique.

Les capitaux affluent désormais vers les entreprises porteuses de sens. Les talents les plus recherchés veulent contribuer à des causes qui dépassent leur fiche de poste. Les clients choisissent de plus en plus leurs marques en fonction de leurs valeurs.

Autrement dit : penser au-delà du profit n’est plus un luxe, mais une condition de croissance.

De la philanthropie à la mission

Jusqu’au tournant des années 2000, la responsabilité sociale des entreprises se limitait souvent à des actions périphériques : mécénat, dons, sponsoring d’associations. La logique restait : d’abord on gagne de l’argent, ensuite on redistribue une partie.

Aujourd’hui, le mouvement est plus radical. L’impact n’est plus périphérique : il devient central. On parle d’entreprises à mission, de B Corp, de capitalisme conscient.

Les entreprises ne « font pas du business et du social » séparément : elles intègrent la mission dans leur cœur économique. Leur impact devient indissociable de leur modèle de croissance.

Pourquoi cela attire les capitaux

Contrairement à une idée reçue, viser l’impact n’effraie pas les investisseurs : cela les rassure.

Les fonds d’investissement spécialisés dans l’ESG (environnement, social, gouvernance) pèsent aujourd’hui plusieurs milliers de milliards de dollars. BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, a annoncé en 2020 que la durabilité serait désormais au cœur de toutes ses décisions d’investissement.

Pourquoi ? Parce qu’une entreprise qui prend en compte le climat, les enjeux sociaux ou la gouvernance est considérée comme plus résiliente sur le long terme. Elle anticipe les régulations futures, attire des consommateurs fidèles et limite les risques réputationnels.

L’aimant à talents

Mais le facteur le plus puissant n’est peut-être pas l’argent : c’est l’humain.

Les jeunes diplômés les plus brillants ne rêvent plus seulement de carrière chez Goldman Sachs ou Google. Ils veulent rejoindre des organisations qui correspondent à leurs valeurs. Une étude de Deloitte montrait déjà en 2023 que 44 % des Millennials refusaient un emploi si l’entreprise ne s’engageait pas sur le climat.

Résultat : les start-ups à mission deviennent de véritables aimants à talents.

Chez Back Market, par exemple, l’argument de recrutement n’est pas seulement l’innovation technologique, mais la lutte contre l’obsolescence programmée. Chez Swile, la promesse est de réinventer la qualité de vie au travail.

Les compétences rares se négocient chèrement, offrir une cause mobilisatrice devient donc l’atout décisif.

Les clients, nouveaux juges de paix

Côté consommateurs, le changement est tout aussi frappant.

Le baromètre Edelman Trust montre année après année que la confiance dans les entreprises dépasse désormais celle dans les gouvernements. Mais cette confiance est conditionnelle : elle repose sur la capacité à agir pour le bien commun.

Les clients n’achètent plus seulement un produit : ils achètent une vision du monde. Porter des baskets Veja, ce n’est pas seulement choisir un design, c’est soutenir une filière éthique. Utiliser Ecosia, ce n’est pas seulement chercher sur Internet, c’est financer des arbres.

Aujourd’hui, chaque acte d’achat devient une déclaration de valeurs. Et les marques qui incarnent un futur désirable bénéficient d’une loyauté bien plus forte.

Architectes de société : portraits croisés

  • Mikkel Svane (Zendesk) : dès la création de sa plateforme de relation client, il a inscrit dans la mission la notion d’« aider les entreprises à être plus humaines ». Résultat : une valorisation de plusieurs milliards et une culture interne tournée vers l’inclusion.
  • Lucie Basch (Too Good To Go) : son application de lutte contre le gaspillage alimentaire a séduit des millions d’utilisateurs et convaincu de grandes enseignes d’adopter des pratiques plus responsables.

Ces profils montrent une constante : leur vision dépasse largement la rentabilité immédiate. Ils se positionnent comme bâtisseurs d’un monde différent.

Les limites et les critiques

Bien sûr, cette tendance n’échappe pas aux critiques.

Certains dénoncent un « greenwashing » ou un « social-washing » : des entreprises qui se parent d’un vernis vert ou éthique sans changer leurs pratiques profondes. D’autres rappellent que, malgré leurs discours, les géants de la tech continuent à alimenter des inégalités ou à exploiter des ressources massivement énergivores.

Ces critiques soulignent un point essentiel : pour être crédible, l’impact doit être mesurable, concret et aligné avec l’ensemble du modèle d’affaires. Les clients et les talents ne se laissent plus berner par des slogans.

Vers un nouveau contrat social

Au-delà des effets de mode, une transformation plus profonde semble à l’œuvre. Les entrepreneurs « architectes de société » redessinent le contrat social de l’entreprise.

Ils ne voient plus la société comme un environnement extérieur à leur business, mais comme le cœur de leur mission. L’entreprise devient un acteur politique au sens noble : elle participe à organiser la vie collective, à proposer un avenir commun.

C’est pourquoi certains économistes parlent déjà de « capitalisme sociétal ». Un système où la création de valeur économique et la création de valeur sociale ne s’opposent plus, mais s’imbriquent.

L’héritage comme horizon

L’idée clé derrière ce mouvement est celle de l’héritage. Que laisse-t-on derrière soi ?

Dans les entretiens avec des fondateurs à mission, cette question revient souvent. L’objectif n’est pas seulement de créer une entreprise prospère, mais de transmettre quelque chose de durable : un écosystème préservé, une société plus juste, des modèles éducatifs renouvelés.

Cette quête d’héritage transforme la temporalité. Là où l’entrepreneur traditionnel pense au trimestre suivant, l’architecte de société pense à la génération suivante.

Désapprendre pour mieux entreprendre

La connaissance est souvent considérée comme un atout : l’expérience, les acquis, les compétences, la stratégie éprouvée. Pourtant, pour les dirigeants, cette accumulation de savoir peut devenir un piège. Trop souvent, les certitudes, les routines ou les schémas de pensée acquis au fil des années deviennent des freins à l’innovation. Elles créent des biais, des automatismes et, parfois, une arrogance inconsciente. Le paradoxe est simple : ce qui nous a fait réussir hier peut nous empêcher de réussir demain.

C’est ici que le concept de désapprentissage entre en jeu. Désapprendre, c’est accepter de remettre en question ses certitudes, d’abandonner ce qui ne sert plus, de déconstruire ses schémas mentaux pour faire émerger de nouvelles perspectives.

Le désapprentissage, une discipline stratégique

On pourrait croire que désapprendre est un processus spontané, mais il s’agit d’une discipline à part entière. Pour un dirigeant, il ne suffit pas de lire un article ou d’assister à une conférence : il faut provoquer la remise en question de ses idées et de ses pratiques.

Cette démarche a plusieurs objectifs :

1/ Identifier les croyances limitantes :

Certaines méthodes ou convictions sont héritées d’expériences passées mais ne correspondent plus à la réalité du marché.

2/ Élargir le champ des possibles :

En déconstruisant ses schémas mentaux, le dirigeant peut envisager des solutions qu’il n’aurait jamais imaginées.

3/ Stimuler l’innovation :

Le désapprentissage permet de dépasser les cadres existants et de favoriser la créativité.

Les obstacles au désapprentissage

Malgré ses avantages, désapprendre est difficile. Plusieurs obstacles se dressent sur le chemin des dirigeants. D’abord, il s’agit d’une affaire d’ego et d’orgueil puisqu’il faut reconnaître que ce que l’on sait ou que ce que l’on a fait n’est plus pertinent peut sembler humiliant.

Ensuite, il faut surmonter la peur du changement puisque désapprendre implique d’entrer dans l’inconnu, ce qui génère de l’anxiété.

Aussi, il faut pouvoir surmonter les pressions externes : investisseurs, conseils d’administration et équipes attendent souvent des résultats immédiats et peuvent percevoir le désapprentissage comme un risque.

Enfin, il est nécessaire de dépasser les habitudes mentales car on sait que le cerveau humain a tendance à conserver les routines et les croyances acquises, même lorsque celles-ci ne sont plus adaptées.

Comprendre ces freins est essentiel pour les surmonter et mettre en place un véritable processus de désapprentissage stratégique.

Méthodes pour désapprendre efficacement

Pour que le désapprentissage devienne un outil d’innovation, il doit être structuré et intentionnel. Plusieurs méthodes se révèlent efficaces :

1/ Le questionnement permanent

Les dirigeants doivent cultiver l’art de poser des questions difficiles : « Et si nous avions tort ? », « Que nous empêche-t-on de voir ? », « Quels préjugés guidons-nous nos décisions ? ». Ces questions ouvrent des espaces de réflexion et permettent de casser les automatismes.

2/ L’immersion dans l’inconnu

Voyager dans de nouveaux marchés, rencontrer des experts d’autres secteurs ou participer à des projets complètement différents force le cerveau à sortir des cadres habituels.

3/ La confrontation d’idées

Encourager des débats internes où les collaborateurs sont invités à contredire ouvertement la direction. Certaines entreprises comme Amazon ou Netflix pratiquent ces sessions systématiquement pour éviter le confort de l’accord collectif.

4/ Le prototypage et l’expérimentation

Mettre en œuvre des projets pilotes qui remettent en question les pratiques établies permet d’apprendre rapidement ce qui fonctionne et ce qui doit être abandonné.

5/ Le retour d’expérience

Analyser systématiquement les échecs pour identifier ce que l’on croyait vrai et qui ne l’était pas. Transformer l’erreur en matière première pour le désapprentissage.

Désapprendre et leadership

Le désapprentissage ne transforme pas seulement l’entreprise. Il transforme le dirigeant et il développe l’humilité (accepter qu’on ne détient pas toutes les réponses), la curiosité (chercher constamment à comprendre de nouveaux modèles, idées ou technologies), la résilience (apprendre à naviguer dans l’incertitude et à tirer parti des changements) et la capacité à inspirer (un leader qui désapprend montre à son équipe qu’il est possible de se réinventer, ce qui motive et fédère)

Le désapprentissage comme moteur d’innovation

Dans les secteurs où l’innovation est rapide, le désapprentissage est un levier stratégique. Les entreprises qui réussissent aujourd’hui ne sont pas toujours les plus grandes ou les plus riches, mais celles qui savent abandonner les certitudes et expérimenter.

Désapprendre pour anticiper le futur

Au-delà de l’innovation immédiate, le désapprentissage permet aux dirigeants d’anticiper les transformations futures. Les marchés évoluent rapidement, les technologies bouleversent les modèles établis et les attentes sociétales changent. Ceux qui s’accrochent à leurs certitudes risquent de disparaître.

Les dirigeants qui désapprennent régulièrement Identifient les signaux faibles de transformation, remettent en question leurs hypothèses sur le marché, les clients et les technologies et développent des stratégies flexibles et adaptatives.

C’est ce qui distingue les entreprises résilientes de celles qui stagnent.

La dimension culturelle du désapprentissage

Le désapprentissage ne concerne pas seulement le dirigeant : il doit être intégré dans la culture de l’entreprise. Une organisation qui valorise la remise en question, la curiosité et l’expérimentation est plus à même de s’adapter.

  • Quelques pratiques efficaces
  1. Instaurer des rituels de réflexion critique : revues post-mortem, feedback anonymes, hackathons internes.
  2. Valoriser l’échec constructif : reconnaître les erreurs et les transformer en apprentissages plutôt qu’en punition.
  3. Encourager la mobilité interne : faire circuler les talents entre départements pour briser les routines et stimuler de nouvelles idées.

Le temps, la ressource la plus rare du XXIe siècle

« Le temps, c’est la chose que l’on veut le plus et que l’on utilise le plus mal », disait William Penn au XVIIe siècle. Trois siècles plus tard, l’adage n’a jamais été aussi vrai. Nous sommes aujourd’hui saturés d’informations, d’urgences et de sollicitations permanentes. Le temps est devenu la ressource la plus rare et, paradoxalement, la moins gérée.

Pour les entrepreneurs, cette rareté prend une dimension particulière. Dans l’économie numérique, la vitesse est un facteur clé de succès. Sortir un produit avant les autres, convaincre un investisseur au bon moment, saisir une opportunité avant qu’elle ne disparaisse : chaque seconde compte. Mais, dans le même temps, les dirigeants savent qu’une précipitation mal contrôlée mène à l’épuisement et à l’échec.

C’est cette tension — entre l’urgence de l’action et la nécessité de la maîtrise — qui pousse de plus en plus d’entrepreneurs à redessiner leur rapport au temps.

Le temps comme ressource stratégique

Pendant longtemps, l’avantage compétitif s’est construit sur le capital, les talents ou la technologie. Désormais, il s’appuie aussi sur la capacité à gérer et à optimiser le temps. Aujourd’hui, celui qui sait protéger et investir son temps mieux que ses concurrents gagne, tout simplement

Concrètement, cela signifie deux choses : Il faut aller plus vite que les autres pour capter le marché et investir son temps uniquement dans ce qui a le plus d’impact.

C’est pourquoi les entrepreneurs modernes ne se contentent pas de gérer leur agenda : ils repensent leur rapport au temps comme on repense une supply chain ou une stratégie financière.

Outils concrets : quand la technologie aide à dompter les minutes

L’arsenal technologique pour optimiser le temps n’a jamais été aussi vaste. Trois familles d’outils dominent :

  • La priorisation : des méthodes comme Getting Things Done (GTD) ou la méthode Eisenhower permettent de distinguer l’urgent de l’important. Nombre d’entrepreneurs combinent désormais ces grilles à des outils comme Notion, Trello ou ClickUp pour organiser leurs tâches et leurs projets.
  • L’automatisation : Zapier, Make ou l’intelligence artificielle permettent d’automatiser une foule de micro-tâches répétitives (réponses e-mail, mises à jour de bases de données, suivi de facturation). Certaines start-up affirment ainsi gagner l’équivalent de plusieurs centaines d’heures par an.
  • La mesure : des applications comme RescueTime ou Timing enregistrent le temps réellement passé sur chaque tâche. Elles révèlent souvent des écarts frappants entre l’intention et la réalité : tel dirigeant pensait consacrer 30 % de son temps à la stratégie, il découvre qu’il en passe 60 % en réunions.

Ces outils ne sont pas magiques, mais ils permettent de reprendre conscience de la manière dont le temps est employé. Et, souvent, de mieux l’allouer.

La discipline de dire « non »

Au-delà des outils, la gestion du temps est d’abord une discipline. Les entrepreneurs interrogés insistent sur un même point : savoir dire « non » est la clé.

Warren Buffett résume : « La différence entre les gens très performants et les gens extraordinairement performants, c’est que ces derniers disent non à presque tout. »

Beaucoup d’entrepreneurs apprennent à refuser des rendez-vous, à couper court aux sollicitations ou à se fixer des journées sans réunions. Certains instaurent des « plages sacrées » réservées à la réflexion stratégique, inaccessibles même à leurs plus proches collaborateurs.

Cette discipline crée parfois des tensions. Dans des cultures où la disponibilité permanente est valorisée, dire non peut passer pour de l’arrogance. Mais les dirigeants qui s’y tiennent constatent presque toujours un gain : moins de dispersion, plus de clarté.

Philosophie du temps : lenteur contre vitesse

Pour autant, gérer son temps ne se réduit pas à aller plus vite. La philosophie rappelle depuis longtemps que la valeur du temps tient aussi à la lenteur.

Le philosophe Sénèque écrivait déjà dans De la brièveté de la vie : « Ce n’est pas que nous ayons peu de temps, mais que nous en perdons beaucoup. » Son invitation à « vivre chaque jour comme une vie entière » résonne étrangement avec les débats modernes sur le slow business.

Certains entrepreneurs choisissent délibérément de ralentir. Basecamp, société de logiciels fondée à Chicago, a fait de la « lenteur assumée » sa marque de fabrique. Pas de croissance effrénée, pas de réunions interminables, pas de journées à rallonge. « Nous ne cherchons pas à être les plus rapides, mais les plus durables », expliquent ses fondateurs Jason Fried et David Heinemeier Hansson.

Cette approche semble à contre-courant, mais elle séduit de plus en plus. Dans un monde où l’épuisement professionnel menace, la lenteur peut devenir une stratégie différenciante.

Le paradoxe des start-ups : accélérer en se protégeant

Pour les start-ups, la question du temps est encore plus cruciale. Leur survie dépend de leur vitesse : lever des fonds avant la trésorerie zéro, lancer un produit avant la concurrence, atteindre une taille critique avant que le marché ne se referme.

Mais, paradoxalement, c’est aussi dans cet univers que l’on voit émerger les pratiques de protection du temps. De nombreux fondateurs adoptent des routines strictes comme le blocage des matinées pour les tâches de haute valeur (stratégie, produit), les réunions limitées à des créneaux très courts ou encore des systèmes de délégation via chief of staff ou bras droits, pour libérer le temps du CEO.

Ces pratiques visent à éviter le piège du « toujours plus vite » qui mène à la dispersion et à l’épuisement. Comme le confiait récemment un fondateur parisien : « Si je perds mon temps à répondre à chaque mail, je mets en danger toute l’entreprise. Mon rôle est de protéger mon temps comme un actif. »

Le temps comme avantage compétitif

Certaines entreprises vont plus loin : elles transforment leur rapport au temps en avantage compétitif direct.

Amazon a bâti son empire sur l’obsession de la vitesse. Livraison en un jour, réponse instantanée aux demandes clients, innovation permanente… Pour Jeff Bezos, « votre marge est mon opportunité », et la vitesse est un moyen de grignoter cette marge plus vite que les autres.

Toyota, à l’inverse, a révolutionné l’industrie automobile avec le juste-à-temps. Réduire le temps de stockage, fluidifier la production, éliminer les gaspillages : sa gestion du temps industriel a été copiée dans le monde entier.

Dans tous ces cas, la maîtrise du temps n’est pas seulement une question d’efficacité interne : c’est une arme stratégique face aux concurrents.

L’économie de l’attention

Le rapport au temps ne concerne pas seulement les dirigeants : il s’étend aussi aux clients. Dans l’« économie de l’attention », capter le temps des utilisateurs est devenu la bataille principale.

Netflix se définit comme un concurrent… du sommeil. Les réseaux sociaux construisent leurs algorithmes pour maximiser le temps passé. Les jeux vidéo multiplient les stratégies de retention.

Cela pose une question éthique : jusqu’où peut-on considérer le temps d’autrui comme une ressource à exploiter ? Certaines entreprises choisissent le contre-pied. L’application de méditation Headspace propose « dix minutes par jour pour ralentir ». Spotify ou YouTube développent des fonctions « temps d’écoute » pour aider à mieux gérer sa consommation.

Ici encore, la rébellion face à la vitesse permanente peut devenir un argument de croissance.

La dimension existentielle

Derrière les outils et les stratégies se cache une vérité plus intime : la rareté du temps est avant tout humaine. Les entrepreneurs eux-mêmes sont confrontés à la question de leur propre finitude.

Beaucoup citent des expériences personnelles comme déclencheurs : un burn-out, une maladie, une naissance… Ces moments rappellent que, si l’argent se regagne, le temps perdu ne revient jamais.

Certains en tirent des règles de vie radicales. Le fondateur de Stripe, Patrick Collison, a popularisé l’idée de « fastidious time allocation » : chaque heure doit être utilisée avec intention. D’autres, comme les entrepreneurs adeptes de la méditation ou du yoga, insistent sur la qualité du temps vécu, plutôt que sur la seule quantité.

La philosophie rejoint ici la pratique : redéfinir son rapport au temps, c’est aussi redéfinir ce qui compte vraiment.

Vers une ère du temps conscient

Tout semble indiquer que le XXIe siècle sera celui de la prise de conscience temporelle. Après avoir longtemps valorisé la vitesse et la disponibilité permanente, les entrepreneurs commencent à chercher un équilibre : protéger leur temps, investir celui de leurs équipes, respecter celui de leurs clients.

Le temps n’est plus seulement une variable secondaire : il devient une ressource stratégique, au même titre que le capital. Mais, à la différence de l’argent, il est non renouvelable.

C’est cette prise de conscience qui transforme les pratiques : automatiser pour gagner des heures, ralentir pour penser mieux, prioriser pour agir juste.

En filigrane, une conviction se dessine : le véritable luxe entrepreneurial du futur ne sera pas la richesse accumulée, mais la liberté de disposer de son temps.

La rébellion comme moteur de croissance

Dans l’imaginaire collectif, la rébellion évoque des pavés jetés dans la rue, des slogans scandés à voix haute ou des artistes refusant les codes établis. Mais en économie, la rébellion prend une autre forme : celle d’entreprises qui décident de ne pas suivre les règles du jeu, qui contestent les usages dominants et qui, parfois, bouleversent des industries entières.

Apple, Netflix, Tesla, Patagonia, Spotify, Airbnb… Toutes ont en commun une rébellion initiale. Un refus de se contenter de ce qui existait. Steve Jobs refusait l’informatique réservée aux ingénieurs ; Reed Hastings refusait les frais de retard imposés par Blockbuster ; Elon Musk refusait l’idée que l’automobile électrique soit un marché de niche.

La rébellion, loin d’être une posture marginale, est devenue une stratégie assumée. Dans un monde où les marchés se saturent et où les marges se compressent, refuser le statu quo peut être le seul moyen de croître.

Le statu quo : confort mortel pour les entreprises

Pourquoi tant d’organisations échouent-elles à se renouveler ? Parce qu’elles tombent dans le piège du statu quo.

Un produit marche, une méthode fonctionne, les chiffres sont bons… Alors, pourquoi changer ? Ce confort devient une prison. Kodak en est l’exemple le plus célèbre : leader mondial de la photographie, l’entreprise a refusé de prendre au sérieux le numérique, alors même que ses ingénieurs en avaient inventé le prototype dès 1975. Résultat : faillite en 2012.

Le statu quo, c’est la tentation de préserver les acquis. Mais dans un environnement où la technologie, les usages et les attentes sociales évoluent à grande vitesse, cette inertie devient létale.

À l’inverse, les entreprises rebelles s’imposent une discipline : ne jamais s’endormir sur leurs succès. Elles cultivent une forme d’insatisfaction permanente qui les pousse à se réinventer.

La rébellion comme culture d’entreprise

La rébellion ne se décrète pas seulement dans un discours visionnaire, elle s’incarne dans une culture. Certaines organisations font du « non » un réflexe stratégique.

Chez Netflix, par exemple, la culture d’entreprise est construite autour de la remise en cause des modèles établis. Reed Hastings aime répéter que « la règle, c’est de ne pas avoir de règles ». Résultat : après avoir bousculé la location de DVD, la firme a été la première à miser massivement sur le streaming, puis à produire ses propres contenus, avant d’imposer la consommation mondiale de séries en simultané.

Dans ces cas-là, la rébellion n’est pas un accident, mais une manière d’être. Elle devient ADN, moteur de décisions stratégiques, et même levier de communication.

Stratégies rebelles : comment elles se déclinent

La rébellion peut prendre plusieurs visages.

1/ Rébellion technologique : introduire une rupture majeure. Tesla a refusé l’idée que l’électrique soit lent, moche et peu fiable. Son pari sur la performance a bouleversé l’automobile mondiale.

2/ Rébellion culturelle : bousculer les normes sociales. Ben & Jerry’s n’a jamais hésité à prendre position sur des sujets politiques et sociétaux, transformant une simple marque de glace en plateforme militante.

3/ Rébellion organisationnelle : refuser les hiérarchies traditionnelles. Des entreprises comme Valve (jeu vidéo) fonctionnent avec une structure quasi plate, laissant les employés choisir leurs projets.

4/ Rébellion commerciale : casser les codes du marché. Dollar Shave Club a défié Gillette en proposant un abonnement de rasoirs low cost livrés à domicile, basé sur une campagne virale moqueuse.

Chaque stratégie repose sur un même principe : refuser la manière dont « cela a toujours été fait » et proposer une alternative désirable.

La rébellion attire talents et clients

Les talents les plus brillants veulent du sens et où les consommateurs cherchent de l’authenticité, la rébellion est magnétique.

Travailler pour une entreprise rebelle, c’est rejoindre une cause plus grande que soi. Chez SpaceX, les ingénieurs ne viennent pas seulement pour construire des fusées : ils viennent pour « rendre l’humanité multiplanétaire ». Chez Back Market, les salariés ne se battent pas seulement pour vendre des smartphones reconditionnés, mais pour « démocratiser la consommation circulaire ».

Côté clients, la rébellion crée de la connivence. Quand une marque dit haut et fort « nous refusons la norme », elle attire ceux qui veulent s’identifier à ce refus. La communication rebelle n’est pas seulement marketing : c’est une déclaration de valeurs.

Quand la rébellion devient rentable

Certains objecteront que la rébellion est romantique, mais pas forcément rentable. Pourtant, les chiffres racontent une autre histoire.

Tesla, aujourd’hui valorisée à plus de 700 milliards de dollars, était considérée comme une folie il y a quinze ans. De même, Netflix compte plus de 260 millions d’abonnés dans le monde.  Ces succès prouvent que la rébellion peut être un formidable levier de croissance, à condition d’être incarnée et soutenue par un modèle économique solide.

Les dangers de la rébellion

Toutefois, la rébellion n’est pas sans risque. Elle peut mener à l’excès, voire à l’échec.

  • Uber a bâti sa croissance sur une logique de confrontation avec les régulateurs. Si cela lui a permis d’imposer un modèle, cela a aussi engendré des conflits et une réputation parfois sulfureuse.
  • WeWork, sous l’impulsion d’Adam Neumann, a voulu se présenter comme un mouvement quasi spirituel contre le travail traditionnel. Mais l’absence de rigueur financière a conduit à l’explosion de la bulle.

Ces exemples rappellent que la rébellion doit rester encadrée par une stratégie viable. Refuser le statu quo ne suffit pas : encore faut-il proposer une alternative crédible et exécuter avec discipline.

Pourquoi la rébellion est plus nécessaire que jamais

Le monde actuel rend la rébellion presque indispensable. Trois tendances majeures l’expliquent :

1/ La saturation des marchés : la plupart des industries sont matures, avec peu d’espace pour de simples suiveurs. Seule une approche radicalement différente peut ouvrir un nouveau territoire.

2/ Les attentes sociétales : les consommateurs réclament des entreprises engagées. Refuser la logique de profit à tout prix pour proposer un impact positif devient un facteur de croissance.

3/ La vitesse technologique : dans un univers dominé par l’IA, la blockchain et la biotechnologie, les cycles d’innovation se raccourcissent. Ceux qui ne bousculent pas les codes sont rapidement dépassés.

En clair, ne pas se rebeller, c’est prendre le risque de l’obsolescence.

La rébellion comme discipline

Mais comment cultiver une rébellion saine et durable au sein d’une entreprise ? Quelques principes émergent :

D’abord, il s’agit d’entretenir le doute : même au sommet, remettre en question ses acquis. Amazon appelle cela le « Day One mindset » : se comporter comme une start-up chaque jour, même en étant géant mondial.

Ensuite, il faut encourager la dissidence. Il s’agit de donner aux collaborateurs le droit de contester les décisions. Pixar, par exemple, a institué le « braintrust », un comité où chacun peut critiquer librement les projets.

Aussi, il faut assumer la polarisation. En effet, une marque rebelle ne plaît pas à tout le monde. Il faut parfois perdre des clients en prenant position, pour en gagner d’autres, plus fidèles et engagés.

Enfin, il faut aligner récit et réalité. La rébellion ne peut pas être un slogan. Elle doit se traduire dans les actes, les produits et la gouvernance.

Le futur appartient aux dirigeants conteurs

Ceux qui savent raconter leur vision captivent talents, investisseurs et clients. Ceux qui ne savent pas… disparaissent. En effet, un dirigeant, aujourd’hui, ne se contente plus d’aligner des chiffres, de dresser des tableaux Excel ou de brandir des slides PowerPoint. Le monde a changé. Les marchés sont saturés, l’attention des consommateurs est fragmentée, et les talents les plus brillants ne se laissent plus séduire par un salaire ou une promesse de stock-options.

Ce qu’ils cherchent, avant tout, c’est une histoire dans laquelle s’inscrire. Et cette histoire, seul le dirigeant peut la raconter.

On ne compte plus les exemples de patrons visionnaires qui ont façonné leur destin — et celui de leurs entreprises — par la force de leurs mots. Steve Jobs décrivant l’iPhone comme « un téléphone, un iPod et un navigateur Internet, réunis dans un seul appareil » ; Elon Musk martelant son objectif de « rendre l’humanité multiplanétaire » ; ou encore Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, affirmant haut et fort qu’il « ne voulait pas être un homme d’affaires, mais sauver la planète ».

Tous avaient en commun une capacité rare : raconter une histoire claire, cohérente et mobilisatrice.

Pourquoi les dirigeants doivent-ils devenir conteurs ?

La réponse tient en trois mots : talents, investisseurs, clients.

  • Les talents : la nouvelle génération n’entre pas dans une entreprise uniquement pour y faire carrière. Elle cherche du sens, un projet auquel contribuer. Une vision bien racontée devient un aimant. « Si vous voulez recruter des personnes brillantes, dit Simon Sinek, donnez-leur une cause, pas un job. »
  • Les investisseurs : au-delà des chiffres, ils veulent croire à une trajectoire. Les levées de fonds les plus spectaculaires ne se jouent pas uniquement sur des business plans, mais sur la conviction que le dirigeant sait où il va et peut embarquer le monde avec lui.
  • Les clients : saturés de publicités, ils ne prêtent plus attention aux arguments rationnels. Mais une histoire sincère, racontée avec conviction, peut les toucher. Ce n’est pas un hasard si des marques comme Tesla, Nike ou Airbnb dominent leur secteur : elles ne vendent pas seulement des produits, elles racontent une vision du monde.

Les produits se copient, les services se banalisent, la technologie s’homogénéise et le récit devient l’ultime avantage compétitif.

La rhétorique au service du leadership

Être conteur, ce n’est pas improviser un discours enflammé. C’est maîtriser les ressorts de la rhétorique, cet art vieux de 2 500 ans qui fit la puissance des orateurs grecs et romains.

Aristote distinguait déjà trois piliers :

  • L’ethos : la crédibilité du narrateur. Un dirigeant doit incarner son récit. S’il prêche la durabilité mais voyage en jet privé, son histoire s’effondre.
  • Le logos : la logique de l’argumentation. Une vision doit s’appuyer sur des faits, des preuves, une stratégie tangible.
  • Le pathos : l’émotion. C’est ce qui fait vibrer, ce qui donne envie de suivre.

Les grands conteurs du monde des affaires maîtrisent ce triangle. Jobs associait logos (une technologie réelle), ethos (sa posture de visionnaire) et pathos (le fameux « one more thing » qui faisait chavirer les foules). Musk, malgré ses excès, sait susciter l’émotion en parlant de Mars comme d’une nouvelle frontière.

L’art du récit en entreprise

Mais comment concrètement devenir ce dirigeant-conteur que tous attendent ?

1/ Partir d’une vision claire : sans cap, pas d’histoire. La narration ne peut pas maquiller le vide. Un récit puissant repose sur une ambition nette, un « pourquoi » profond.

2/ Mettre en scène des personnages : les talents, les clients, les partenaires… Le dirigeant ne raconte pas son histoire, mais une histoire collective dans laquelle chacun peut trouver sa place.

3/ Créer une tension : tout récit a besoin d’un obstacle. Une entreprise doit identifier les défis à surmonter (pollution, fracture numérique, mobilité, énergie…) pour donner du relief à son projet.

4/ Ouvrir une perspective : le récit n’est pas un constat, mais une promesse. C’est la vision d’un futur désirable, auquel on a envie de contribuer.

En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement de « raconter » une histoire, mais de mettre en récit une transformation.

Prenons un exemple concret : WeWork

Adam Neumann, son fondateur, avait bâti une histoire autour du « futur du travail », une communauté mondiale de créateurs. Pendant quelques années, cette narration a envoûté investisseurs et collaborateurs, permettant de lever des milliards. Mais faute d’alignement entre le récit et la réalité économique, l’histoire s’est effondrée. Leçon : un récit peut séduire, mais il doit rester crédible.

La disparition silencieuse des dirigeants sans récit

À l’inverse, ceux qui ne savent pas raconter… disparaissent. On ne se souvient pas des entreprises qui n’ont pas su donner du sens à leur action. Combien de grands patrons du CAC 40, malgré des résultats impressionnants, restent inconnus du grand public ? Combien d’entreprises disparaissent dans l’indifférence parce qu’elles n’ont jamais su formuler ce qu’elles apportaient vraiment ?

Pour faire simple, ne pas raconter son histoire, c’est accepter d’être effacé.

L’ère du « leadership narratif »

Un terme émerge dans les écoles de management : le narrative leadership. Il ne s’agit plus seulement de piloter, de décider, de gérer, mais d’inspirer par le récit.

Harvard, Stanford ou HEC intègrent désormais des modules de storytelling dans leurs programmes. Certaines entreprises font appel à des dramaturges, des écrivains, voire des scénaristes pour aider leurs dirigeants à structurer leur vision.

Les risques du mauvais storytelling

Attention toutefois : le récit n’est pas une baguette magique. Mal maîtrisé, il peut se retourner contre celui qui l’emploie. Trois écueils guettent les dirigeants-conteurs. D’abord ce qu’on pourrait appeler le vernis. Il s’agit de raconter une belle histoire sans l’incarner dans les actes. Le public ne pardonne plus l’écart entre discours et réalité.

Ensuite, la manipulation : exagérer ou mentir pour séduire. À l’ère des réseaux sociaux, les contre-vérités sont rapidement démasquées.

Enfin, l’ « entre-soi ». Une mauvaise pratique qui consiste à: construire un récit qui parle uniquement aux initiés, mais qui laisse le grand public indifférent.

Le storytelling n’est pas un artifice, mais un outil d’alignement entre une vision, des actes et une communauté.

L’argent invisible : ce que les bilans ne disent pas

Capital confiance, réputation, loyauté, réputation digitale. Ces « actifs invisibles » pèsent plus lourd que les comptes. En 2008, lors de la crise financière, certaines grandes banques paraissaient solides sur le papier. Bilans imposants, ratios conformes, liquidités suffisantes. Pourtant, en quelques jours, elles ont vacillé. Pourquoi ? Parce que ce que les chiffres ne disaient pas s’est effondré : la confiance.

C’est la leçon fondamentale des vingt dernières années : au-delà des actifs tangibles (bâtiments, machines, cash), ce sont les actifs invisibles qui décident de la survie ou de la chute d’une organisation. Une réputation ternie, une loyauté fragilisée, une marque décrédibilisée peuvent coûter infiniment plus cher qu’un mauvais trimestre.

Le problème ? Ces actifs n’apparaissent dans aucun bilan comptable. Et pourtant, ils pèsent souvent plus lourd que la trésorerie elle-même.

La valeur qui échappe aux bilans

Dans la comptabilité traditionnelle, la valeur d’une entreprise repose sur ses immobilisations (usines, bureaux, brevets), ses stocks, ses dettes et son cash. Or, dans l’économie contemporaine, cette approche est de plus en plus partielle.

Une étude menée par Ocean Tomo, un cabinet américain spécialisé, a révélé un chiffre frappant : en 1975, les actifs intangibles représentaient environ 17 % de la valeur des entreprises du S&P 500. En 2020, ils en représentent… 90 %.

Autrement dit : neuf dollars sur dix de la valorisation d’une entreprise cotée reposent sur des éléments invisibles — image de marque, capital humain, réputation digitale, brevets, relations clients.

Le capital confiance : la monnaie qui précède toutes les autres

Le premier actif invisible est sans doute le plus immatériel : la confiance.

Sans elle, aucun échange n’a lieu. Le consommateur n’achète pas, l’investisseur ne finance pas, le collaborateur ne s’engage pas. La confiance est l’oxygène invisible des organisations.

On la mesure rarement, mais on peut en observer les effets. Selon le Edelman Trust Barometer 2024, 63 % des consommateurs mondiaux déclarent qu’ils « achètent ou boycottent une marque selon la confiance qu’elle inspire ». Et du côté des collaborateurs, 69 % affirment qu’ils resteraient plus longtemps dans une entreprise s’ils avaient confiance dans la direction.

La confiance est donc une monnaie circulante : elle s’investit, se perd, se regagne parfois. Mais surtout, elle conditionne tout le reste.

La réputation : un capital fragile

La réputation est une autre forme d’argent invisible. Elle s’accumule lentement, parfois sur des décennies, mais peut s’évaporer en quelques heures.

Exemple frappant : Volkswagen et le “Dieselgate”. En 2015, lorsque le scandale éclate, l’entreprise perd 40 % de sa valeur boursière en deux mois. Les usines, les voitures, les brevets n’avaient pas disparu. Ce qui s’était évaporé, c’était la crédibilité d’un discours.

La réputation digitale, amplifiée par les réseaux sociaux, rend ce capital encore plus instable. Un bad buzz, une erreur de communication, et l’entreprise peut perdre en quelques heures ce qu’elle a mis des années à bâtir.

La loyauté : l’actif humain qui ne s’achète pas

On parle souvent de « fidélité client » comme d’un indicateur secondaire. Pourtant, la loyauté est un actif stratégique.

Des études montrent que conserver un client coûte cinq à sept fois moins cher que d’en acquérir un nouveau. Et un collaborateur loyal représente bien plus qu’une simple ligne de productivité : il incarne une mémoire collective, un savoir-faire, une culture d’entreprise.

Or, ces éléments n’apparaissent nulle part au bilan. On en voit seulement l’absence lorsqu’ils disparaissent.

Un turnover élevé, une fuite des talents, une érosion des clients fidèles : tout cela détruit une valeur invisible qui, paradoxalement, peut représenter la moitié de la solidité d’une organisation.

Le paradoxe du numérique : plus visible, plus fragile

Le digital a multiplié la visibilité de ces actifs invisibles. Une entreprise n’a jamais eu autant de moyens de communiquer, de séduire, de fédérer. Mais cette exposition accrue a aussi accru la fragilité.

Aujourd’hui, un simple tweet peut entacher une réputation mondiale, un site de notation peut détruire des années d’efforts de fidélisation ou encore une faille de cybersécurité peut pulvériser la confiance en quelques secondes.

La digitalisation a transformé la réputation en un marché en temps réel. On peut gagner une visibilité fulgurante… mais aussi perdre tout aussi vite.

Peut-on mesurer l’invisible ?

Si ces actifs pèsent si lourd, pourquoi ne sont-ils pas intégrés de manière systématique aux bilans comptables ?

D’abord parce que leur valeur est difficile à objectiver. Comment chiffrer la confiance ? Comment inscrire au passif la loyauté d’un collaborateur ?

Pourtant, des tentatives existent. Certaines agences de notation extra-financières proposent des indices de réputation, basés sur la presse, les réseaux sociaux, les enquêtes d’opinion. Les cabinets de conseil développent des modèles de valeur de marque (brand equity), évaluant combien un nom ou un logo augmente la valeur d’un produit.

La finance durable, via les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance), pousse aussi à intégrer ces dimensions invisibles.

Mais au-delà du chiffrage, il y a une dimension philosophique : l’économie moderne repose sur la perception autant que sur la réalité. Et la perception est, par essence, fluctuante.

Les stratégies pour cultiver l’argent invisible

Si ces actifs sont aussi décisifs, comment les renforcer ? Plusieurs leviers apparaissent, à la croisée du management, de la communication et de l’éthique.

1/ Miser sur la transparence

La confiance ne se décrète pas, elle se construit par la cohérence. Les entreprises qui expliquent leurs choix, leurs erreurs et leurs évolutions créent un capital confiance durable.

La transparence est une stratégie paradoxale : admettre ses fragilités augmente la solidité perçue.

2/ Créer une culture de loyauté interne

La loyauté ne naît pas d’avantages matériels mais d’un sentiment d’appartenance.

Des programmes de reconnaissance, une gouvernance participative, une attention réelle aux collaborateurs : autant de pratiques qui construisent un actif humain invisible mais puissant.

3/ Anticiper les crises réputationnelles

Dans un monde digital, la question n’est pas de savoir si une crise surviendra, mais quand.

Les organisations qui survivent sont celles qui ont préparé des protocoles, identifié des porte-paroles, construit des filets de sécurité relationnels.

4/ Travailler la cohérence digitale

Une réputation digitale ne se gère pas seulement par la communication. Elle suppose que les actes soient alignés avec le discours.

Un écart — promesse de durabilité non respectée, pratique sociale contestée — peut aujourd’hui déclencher une réaction virale.

5/ Réinvestir dans l’intangible

Plutôt que de considérer la confiance, la réputation et la loyauté comme des variables molles, il est temps de les traiter comme des investissements stratégiques.

Cela suppose des budgets, des indicateurs, une gouvernance dédiée. Car l’argent invisible, bien qu’immatériel, demande un entretien constant.

Une dimension philosophique : qu’est-ce que la valeur ?

Derrière ces questions pratiques se cache un enjeu plus profond : qu’est-ce qui fait vraiment la valeur d’une organisation ?

Est-ce son stock de biens tangibles ? Ou bien la manière dont elle est perçue par ceux qui interagissent avec elle ?

Dans l’Antiquité, Aristote distinguait déjà la chrématistique (l’art d’accumuler la richesse matérielle) de l’oikonomia (l’art de gérer la maison commune). Aujourd’hui, ce débat se rejoue sous une autre forme : la valeur tangible contre la valeur relationnelle.

L’économie moderne nous ramène à une vérité ancienne : la monnaie la plus solide est la confiance collective. Le reste n’est qu’écriture comptable.

La fatigue des super-héros

Derrière l’image flatteuse du leader infatigable, du « super-héros » des temps modernes, se cache une réalité psychologique brutale : le burn-out des dirigeants, managers et entrepreneurs qui veulent être sur tous les fronts. Un phénomène qui interroge le modèle même du leadership.

Le mythe du leader invincible

La figure du « super-héros » en entreprise est devenue une norme implicite. Être dirigeant, c’est être visionnaire, stratège, coach, communicant, gestionnaire de crise… et, de préférence, toujours disponible. Connecté en permanence, cette injonction est renforcée par les outils numériques : messageries instantanées, visioconférences, notifications 24h/24. Mais derrière le masque, il y a une personne avec des limites.

La psychologie organisationnelle décrit ce paradoxe : plus un leader cherche à tout contrôler, plus il se coupe de ses ressources profondes, et plus il devient vulnérable à l’effondrement.

Les signes invisibles de la fatigue des super-héros

Contrairement à ce que l’on croit, le burn-out n’arrive pas brutalement. Il se construit par petites touches, souvent invisibles.

Les chercheurs parlent d’« usure progressive » :

  • Hyper-contrôle : refus de déléguer, peur que les choses soient mal faites sans son intervention.
  • Disponibilité permanente : incapacité à déconnecter, mails et appels jusqu’à tard dans la nuit.
  • Érosion de la motivation : le plaisir du travail disparaît, remplacé par une mécanique épuisante.
  • Isolement émotionnel : pour maintenir l’image du leader fort, la personne cache ses doutes et s’enferme dans une solitude silencieuse.

À ces symptômes s’ajoute souvent un sentiment d’imposture. « Beaucoup de dirigeants épuisés nous disent : “Je joue un rôle, si les autres savaient à quel point je suis au bord du gouffre, ils ne me suivraient plus” », note Éric Dufresne, coach en leadership.

Le super-héros, paradoxalement, finit par se sentir comme un imposteur dans son propre rôle.

Quand l’épuisement détruit le leadership

La fatigue n’est pas seulement un problème individuel. Elle a des conséquences directes sur la qualité du leadership.

Un dirigeant en burn-out décide moins bien : ses choix deviennent impulsifs ou hésitants et communique plus mal (son stress se transmet aux équipes). Il a tendance à ne plus voir l’essentiel et à s’enfermer dans l’opérationnel au lieu de garder une vision stratégique. Cela crée un climat toxique avec des collaborateurs qui sentent son épuisement et l’imitent ou le subissent.

À long terme, cela fragilise toute l’organisation. Des études récentes montrent que le burn-out d’un leader augmente de 25 % le risque de turn-over dans son équipe. L’épuisement est donc contagieux.

Pourquoi ce modèle persiste-t-il ?

On pourrait penser que la société moderne, plus consciente des enjeux de santé mentale, aurait corrigé ce travers. Mais la culture du « super-héros » persiste.

Trois raisons principales :

1/ Le culte de la performance : dans un environnement concurrentiel, afficher sa fatigue est perçu comme une faiblesse.

2/ La valorisation de la disponibilité : être joignable en permanence est souvent confondu avec l’efficacité.

3/ Le manque de formation psychologique des leaders : peu d’écoles de management enseignent la régulation émotionnelle, la délégation intelligente ou la prévention du burn-out.

En somme, on apprend aux dirigeants à porter une cape, mais rarement à l’enlever.

Les stratégies réelles qui sauvent

Alors, comment éviter que le mythe du super-héros ne se transforme en tragédie silencieuse ? Les solutions existent, mais elles supposent un changement de posture radical. Voici celles qui, selon la recherche et les témoignages, fonctionnent réellement.

1/ Déléguer, vraiment déléguer

Beaucoup de dirigeants pensent déléguer… alors qu’ils se contentent de déléguer les tâches secondaires tout en gardant le cœur de toutes les décisions.

La délégation véritable suppose deux choses : la confiance (accepter que quelqu’un fasse différemment) et l’acceptation du lâcher-prise.

Un CEO interrogé dans une enquête Harvard Business Review le résumait ainsi : « Le jour où j’ai compris que mon rôle n’était pas de répondre à tous les problèmes mais d’apprendre à mes équipes à répondre sans moi, j’ai retrouvé ma santé. »

2/ Mettre des frontières au temps

Fixer des horaires de déconnexion, même en tant que dirigeant, n’est pas un luxe mais une discipline.

Certains adoptent la « règle des deux soirées » : deux soirs par semaine sans mails ni travail. D’autres instaurent un rituel de fin de journée (fermer l’ordinateur, écrire les trois priorités du lendemain) pour signaler au cerveau que la journée est finie.

Les neurosciences montrent que le repos n’est pas une perte de temps, mais une condition de la performance cognitive. Un cerveau reposé prend de meilleures décisions.

3/ Construire un réseau de pairs

La solitude du leader est l’un des facteurs majeurs du burn-out.

Participer à des cercles de dirigeants, échanger sans masque avec d’autres personnes confrontées aux mêmes pressions, permet de normaliser ses émotions et de rompre l’isolement.

4/ Travailler sur son identité de leader

Beaucoup d’épuisements viennent d’une confusion : le leader croit être son rôle. Quand le rôle vacille, il s’effondre.

La clé consiste à se redéfinir autrement : être aussi parent, ami, passionné de sport, citoyen. Plus l’identité est diversifiée, moins le choc professionnel détruit la personne.

C’est ce que les psychologues appellent la « résilience identitaire ».

5/ Pratiquer l’auto-compassion

Concept encore méconnu dans le monde du management, l’auto-compassion consiste à se traiter avec la même bienveillance qu’on le ferait pour un collaborateur.

Au lieu de se dire « Je ne suis pas à la hauteur », apprendre à se dire « Je fais de mon mieux dans des conditions difficiles ».

Les recherches de Kristin Neff, pionnière sur le sujet, montrent que l’auto-compassion réduit drastiquement le risque de burn-out en diminuant la rumination mentale.

6/ Prendre soin du corps comme d’un outil de leadership

Sommeil, nutrition, activité physique : ces fondamentaux sont souvent négligés par les dirigeants au profit de leur agenda. Or, ils sont la base même du leadership durable.

Un dirigeant qui dort mal prend des décisions biaisées, un leader qui néglige son corps envoie un message contradictoire à ses équipes.

De plus en plus d’entreprises introduisent des programmes de mindfulness, de sport collectif ou même de coaching nutritionnel pour leurs dirigeants.

De la fatigue individuelle à un enjeu collectif

La fatigue des super-héros n’est pas seulement un problème personnel. C’est une question de gouvernance.

Un leader qui s’effondre entraîne son organisation dans une zone de turbulence. À l’inverse, un leader qui prend soin de lui transmet une culture plus saine et durable à toute son équipe.

Certaines entreprises commencent à l’intégrer dans leur modèle avec des formations au management durable pour les cadres supérieurs, l’intégration d’indicateurs de bien-être des dirigeants dans la gouvernance ainsi que la valorisation des leaders qui savent se préserver plutôt que s’épuiser.

Il s’agit d’une révolution culturelle : passer du culte du héros solitaire à la reconnaissance du leader humain.