Les entreprises qui ont supprimé les niveaux hiérarchiques intermédiaires

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Simplifier l’organisation pour fluidifier la prise de décision est une tentation récurrente dans les entreprises en croissance. Certaines structures ont fait le choix radical d’éliminer les niveaux hiérarchiques intermédiaires pour privilégier une organisation plus directe, plus responsabilisante et plus rapide. Cette approche ne relève pas d’un effet de mode, mais d’un repositionnement stratégique porté par des objectifs clairs : réduire les délais d’exécution, favoriser la prise d’initiative, et renforcer l’engagement des équipes. Plusieurs sociétés françaises ont expérimenté ce modèle avec des résultats contrastés, mais instructifs pour tout décideur qui envisage une transformation profonde de sa chaîne managériale.

Favoriser la réactivité opérationnelle

Le groupe Teract, né de la fusion entre InVivo Retail et différentes enseignes du secteur agricole et alimentaire, a opté pour une simplification managériale significative dès sa création. En supprimant plusieurs strates intermédiaires au sein de ses filiales, l’entreprise a accéléré les circuits de validation tout en rapprochant les responsables de site de la direction stratégique. Ce choix s’est traduit par une meilleure réactivité sur les sujets d’approvisionnement et de merchandising, notamment dans les enseignes Jardiland et Gamm Vert. La suppression des postes intermédiaires n’a pas été conduite comme un plan social déguisé, mais comme une refonte complète du mode de pilotage.

La SNCF, de son côté, a engagé depuis 2018 une profonde restructuration de ses activités régionales, en réduisant sensiblement les échelons entre les conducteurs de train et les directions territoriales. L’objectif était double : renforcer l’autonomie des équipes de terrain et restaurer la confiance des salariés, souvent étouffés par une hiérarchie perçue comme lourde et éloignée. Ce chantier organisationnel, mené progressivement, a permis de décloisonner les fonctions et d’améliorer les temps de traitement des incidents opérationnels sur le réseau TER, tout en limitant les coûts structurels.

Redonner du pouvoir aux équipes locales

Dans le secteur de la distribution, Grand Frais a fait le choix dès l’origine d’un modèle sans structure hiérarchique intermédiaire traditionnelle. Les magasins sont gérés comme des unités quasi-autonomes, où les responsables de rayons disposent d’une latitude de décision très large sur les achats, les prix et la gestion des équipes. Cette architecture allégée permet aux points de vente de s’adapter rapidement aux spécificités locales, sans attendre la validation de niveaux multiples. Le succès de cette formule repose sur un recrutement rigoureux et sur une forte responsabilisation des managers de terrain, qui sont considérés comme de véritables entrepreneurs.

Brioche Pasquier, acteur majeur de la boulangerie industrielle, a adopté un fonctionnement similaire dans plusieurs de ses unités de production. En supprimant les postes de contremaîtres et en confiant aux équipes la gestion de l’ordonnancement, des plannings et de la qualité, le groupe a constaté une amélioration significative des indicateurs de performance. La responsabilisation des opérateurs s’est accompagnée d’un investissement massif dans la formation, afin de garantir le maintien des standards de sécurité et de productivité. La réussite de ce modèle tient à sa cohérence : il ne s’agit pas de déléguer sans contrôle, mais de construire un cadre de confiance et de compétence.

Prévenir les effets de désorganisation

La suppression des niveaux intermédiaires peut aussi générer des déséquilibres si elle est conduite sans méthode. OVHcloud, fournisseur de services cloud basé à Roubaix, a connu des périodes de tension interne à la suite de la disparition rapide de plusieurs postes de middle management. L’objectif initial, qui visait à dynamiser les projets et à rapprocher les développeurs des décisions stratégiques, s’est heurté à un déficit de coordination transverse. La direction a dû réintroduire certains rôles de coordination fonctionnelle pour pallier les pertes de repères et d’arbitrage entre les équipes techniques et les services supports. Cette expérience souligne que la hiérarchie n’est pas un ennemi par principe, mais que sa remise en cause doit s’accompagner d’une vision organisationnelle robuste.

Le cas de Sogilis, entreprise grenobloise spécialisée dans le développement logiciel, illustre l’intérêt d’un modèle hybride. L’entreprise fonctionne sans managers intermédiaires fixes, mais avec des rôles tournants de référents selon les projets. Cette organisation souple permet une adaptation continue aux enjeux opérationnels tout en préservant un cadre clair de responsabilité. Ce fonctionnement en auto-organisation requiert une forte culture d’entreprise et une sélection rigoureuse des profils recrutés. La suppression des hiérarchies intermédiaires n’est efficace que si les collaborateurs disposent d’une maturité suffisante pour s’autodiriger sans dérive.

Repenser la culture du pilotage

Adopter une structure sans échelons hiérarchiques intermédiaires implique de redéfinir en profondeur la manière dont l’entreprise pilote ses objectifs. Decathlon, dans ses filiales digitales comme Decathlon Technology, a progressivement intégré un mode de fonctionnement où les équipes sont organisées en « squads » autonomes, responsables d’un segment produit. Chaque équipe fixe ses propres indicateurs et présente ses résultats à une instance stratégique, sans passer par une chaîne de validation hiérarchique. Ce système, inspiré des méthodes agiles, a permis d’accélérer les cycles de développement tout en renforçant l’engagement des collaborateurs.

Le groupe Rocher, propriétaire de marques comme Yves Rocher ou Arbonne, a expérimenté un pilotage basé sur l’intelligence collective au sein de ses unités de production. En réduisant le nombre de niveaux hiérarchiques, le groupe a renforcé le rôle des comités opérationnels transverses, véritables espaces de pilotage horizontal. Ce dispositif permet de remonter les signaux faibles plus rapidement, mais aussi de mobiliser les équipes autour d’objectifs partagés, dans un cadre moins pyramidal. L’adhésion à ce modèle a nécessité un accompagnement renforcé des équipes, ainsi qu’un travail sur les outils de suivi, afin d’éviter toute dilution des responsabilités.

Sécuriser l’exécution en phase de croissance

Lorsque la croissance s’accélère, la tentation de tout centraliser réapparaît souvent. Mais certaines entreprises ont démontré qu’il est possible de préserver un fonctionnement décentralisé tout en maîtrisant l’exécution. Luko, insurtech spécialisée dans l’assurance habitation, a maintenu une structure très plate même après plusieurs levées de fonds importantes. Plutôt que d’introduire une couche managériale supplémentaire, l’entreprise a investi dans des outils de gouvernance digitale permettant à chaque équipe de piloter ses OKR en temps réel, avec une transparence totale sur les résultats.

Dans l’industrie, le groupe Poujoulat, leader des conduits de cheminée et des solutions de chauffage à biomasse, a initié une démarche similaire sur ses sites de production. En supprimant les postes de chefs d’atelier intermédiaires, l’entreprise a redonné aux chefs d’équipe une responsabilité directe sur la performance industrielle. Pour sécuriser cette transition, elle a mis en place un accompagnement managérial intensif ainsi qu’un système de reporting allégé mais rigoureux. Cette évolution organisationnelle a permis de maintenir une forte compétitivité, tout en renforçant l’implication des équipes dans l’atteinte des objectifs de production.

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