Quand la physique quantique inspire la pensée stratégique (incertitude, superposition des choix…).

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À première vue, le lien entre la physique quantique et la stratégie d’entreprise peut sembler improbable. L’une explore les mystères de l’infiniment petit, des particules qui se déplacent en défiant notre intuition. L’autre s’attache à piloter des organisations, à fixer des objectifs et à prendre des décisions dans un environnement incertain. Et pourtant, les deux univers se rejoignent.

Depuis quelques années, de plus en plus de dirigeants, de coachs en stratégie et même d’écoles de management puisent dans le langage et les concepts de la physique quantique pour repenser la manière de conduire une entreprise. Non pas pour faire de chaque patron un physicien, mais pour s’inspirer de cette science qui accepte l’incertitude, valorise la superposition des possibles et reconnaît que l’observateur influence la réalité.

L’incertitude comme donnée de départ

En physique classique, héritée de Newton, tout est censé être mesurable, prévisible et contrôlable. Si l’on connaît l’état d’un système, on peut prédire son évolution avec exactitude. Mais la mécanique quantique a bouleversé ce paradigme en affirmant que, dans le monde subatomique, on ne peut jamais tout savoir avec certitude.

Le fameux « principe d’incertitude » d’Heisenberg stipule qu’il est impossible de connaître simultanément certaines grandeurs d’une particule, comme sa position et sa vitesse. Autrement dit, l’incertitude n’est pas un défaut de mesure : elle est constitutive de la réalité.

Transposons cela au management : pendant longtemps, les dirigeants ont cherché à éliminer toute incertitude dans leurs décisions, à bâtir des plans quinquennaux impeccables et à verrouiller chaque variable. Mais l’économie mondialisée, les crises sanitaires, la révolution numérique et le climat nous rappellent que l’incertitude est désormais inévitable.

Plutôt que de la craindre, peut-être faut-il, comme en physique quantique, l’accepter comme donnée de départ. La stratégie n’est plus l’art de prévoir parfaitement, mais celui de naviguer avec lucidité dans l’incertain.

La superposition des choix : explorer plusieurs futurs

Un autre concept clé de la physique quantique est celui de la superposition. Une particule peut exister dans plusieurs états simultanément, jusqu’à ce qu’une mesure la « fasse basculer » dans l’un d’eux.

Cette idée peut inspirer une nouvelle manière de concevoir les décisions. Trop souvent, les dirigeants se sentent contraints de trancher rapidement : choisir une option, fermer la porte aux autres. Or, la superposition invite à considérer qu’il est possible – et parfois souhaitable – de maintenir plusieurs options ouvertes en parallèle, de tester différentes voies avant de converger.

C’est ce que pratiquent certaines startups avec le lean startup ou les méthodes agiles : au lieu de parier tout sur une seule stratégie, elles expérimentent plusieurs pistes simultanément, puis observent laquelle « se matérialise » le mieux en fonction du marché.

La superposition stratégique n’est pas un signe d’indécision. C’est une manière d’explorer plusieurs futurs en même temps, d’élargir le champ des possibles avant de s’engager.

L’influence de l’observateur : la stratégie comme acte créatif

En physique quantique, l’observateur n’est jamais neutre. Le simple fait de mesurer un système influence son état. La réalité observée dépend du regard que l’on porte sur elle.

Appliqué au management, ce principe est riche d’enseignements. La manière dont un dirigeant regarde son marché, définit ses priorités ou décrit la situation influence directement la trajectoire de l’entreprise. Une même réalité peut être perçue comme une crise ou comme une opportunité, comme une menace ou comme un levier d’innovation.

Autrement dit, la stratégie n’est pas une lecture objective du monde, c’est un acte créatif. Le récit que construit le dirigeant, les métaphores qu’il utilise, la vision qu’il partage façonnent la réalité vécue par ses collaborateurs et ses clients.

Accepter cela, c’est redonner toute son importance au leadership narratif, à la capacité de formuler un cap clair et mobilisateur.

Les « sauts quantiques » de l’innovation

La physique quantique parle aussi de transitions soudaines, où une particule passe brutalement d’un état à un autre, sans étape intermédiaire. Ces « sauts quantiques » peuvent inspirer la manière dont on pense l’innovation.

Dans beaucoup de secteurs, l’évolution n’est pas linéaire. Les entreprises connaissent des périodes de relative stabilité, puis un basculement soudain lié à une nouvelle technologie, un changement réglementaire ou un bouleversement social. Ces ruptures, souvent redoutées, peuvent pourtant être des opportunités majeures pour celles qui savent les anticiper ou les provoquer.

Une stratégie « quantique » suppose donc d’être attentif aux signaux faibles, de se préparer à l’inattendu et d’accepter que la croissance puisse parfois se jouer dans un saut plutôt que dans une progression continue.

Penser en écosystèmes plutôt qu’en silos

La physique quantique repose aussi sur l’idée d’intrication : deux particules peuvent rester liées, même à distance, et leur état dépend l’un de l’autre. Cette interdépendance, mystérieuse pour notre logique classique, trouve un écho frappant dans l’économie actuelle.

Aucune entreprise n’est isolée. Elle dépend de ses partenaires, de ses clients, de ses fournisseurs, mais aussi des régulations, des ressources naturelles et des dynamiques sociales. La stratégie ne peut donc plus se penser en vase clos. Elle doit intégrer cette logique d’interconnexion, d’écosystèmes. Là encore, la métaphore quantique nous invite à dépasser une vision linéaire et cloisonnée pour adopter une pensée relationnelle et systémique.

De la science à la philosophie managériale

Bien sûr, il ne s’agit pas de transformer chaque dirigeant en physicien théoricien. L’objectif est plutôt d’emprunter aux concepts quantiques une manière d’aborder la complexité. La physique quantique nous apprend qu’il est possible de penser autrement : accepter l’incertitude, valoriser la multiplicité, reconnaître l’influence de notre regard, anticiper les ruptures et intégrer l’interdépendance. En management, cela peut se traduire par des organisations plus souples, des stratégies plus exploratoires, un leadership plus narratif et une culture plus attentive aux signaux faibles.

Témoignages et cas inspirants

De nombreuses entreprises commencent à s’inspirer, explicitement ou non, de cette approche. Les startups de la biotech travaillent souvent en « superposition » de projets : elles explorent plusieurs pistes thérapeutiques en parallèle, sachant que toutes n’aboutiront pas. Les grands groupes du numérique, eux, pratiquent l’intrication à grande échelle, en construisant des écosystèmes de partenaires et de développeurs qui démultiplient leur force d’innovation.

Certaines écoles de management proposent même des modules de « pensée quantique » pour dirigeants, afin de leur apprendre à accueillir l’incertitude et à raisonner en termes de probabilités plutôt que de certitudes.

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