Réapprendre à diriger comme au premier jour : sans certitudes

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Il fut un temps où vous aviez tout à prouver. Le monde était un territoire vierge, votre énergie un carburant inépuisable et chaque décision un tremblement de terre potentiellement glorieux. Aujourd’hui, vous êtes dirigeant. Vous avez des titres, des rapports à lire, des réunions à endurer. Les certitudes se sont installées, douillettement. Et c’est là que réside le piège : le confort des certitudes tue l’audace.

Vous vous souvenez de la première fois que vous avez dirigé, même une petite équipe ? De ce mélange de crainte et de fascination, de la sensation que chaque geste comptait et pouvait tout changer ? Imaginez maintenant retrouver cette posture, mais avec vingt, trente, parfois quarante ans de carrière derrière vous. Impossible, me direz-vous ? Et pourtant, c’est exactement ce que le monde exige aujourd’hui.

Les certitudes : un poison lent mais silencieux

Rien ne tue plus la créativité d’une organisation que la croyance que « nous savons déjà ». Les certitudes, aussi confortables soient-elles, sont des chaînes invisibles. Elles transforment des leaders en administrateurs et des créateurs en technocrates. Une stratégie gagnante d’hier peut devenir une prison dorée demain.

Prenez l’exemple des grandes entreprises technologiques qui régnaient sur leur marché, convaincues que leur formule était indestructible. Kodak pensait que les pellicules resteraient éternelles. Nokia croyait que le design et la robustesse suffiraient à dominer l’avenir du mobile. Et pourtant… nous savons tous comment l’histoire s’est écrite. Parce que ces dirigeants avaient oublié l’émerveillement du premier jour, ils ont oublié de se poser les questions qui fâchent : “Et si tout changeait ? Et si je me trompais ?”

Les dirigeants qui réussissent ne sont pas ceux qui accumulent des certitudes, mais ceux qui cultivent la capacité à douter, constamment. Le doute n’est pas une faiblesse, c’est un muscle. Et comme tout muscle, si vous ne l’entraînez pas, il s’atrophie.

Revenir au premier jour : la méthode de l’étonnement

Réapprendre à diriger, c’est accepter de redevenir un novice. Cela commence par une pratique simple mais terriblement inconfortable : l’étonnement volontaire. Chaque jour, interrogez votre univers professionnel avec des yeux neufs. Posez des questions naïves : « Pourquoi faisons-nous vraiment ça ? », « Que se passerait-il si nous partions de zéro ? », « Qu’est-ce que je ne sais pas que je devrais savoir ? »

Le leader qui doute crée un climat où le doute devient un moteur, et non une menace. Les équipes sentent cette authenticité. Elles s’autorisent elles-mêmes à questionner, à expérimenter, à proposer des idées folles. C’est ainsi qu’émerge l’innovation véritable, celle qui ne se limite pas à une mise à jour cosmétique de l’existant.

Imaginez : vous entrez dans votre bureau demain, et vous posez cette question simple à vos managers : « Si nous étions une start-up qui n’existe que depuis six mois, que ferions-nous différemment ? » Le choc de réalisme pourrait être brutal, mais il est nécessaire. C’est là que commence la magie du premier jour.

La peur comme carburant

On ne peut pas réapprendre à diriger sans renouer avec la peur. La peur est le signal que vous êtes encore vivant. La peur est le carburant des décisions audacieuses. Elle est ce que les dirigeants trop confortables n’ont plus jamais : le frisson de l’inconnu.

Pourtant, dans nos entreprises modernes, nous avons transformé la peur en tabou. Nous avons bâti des organigrammes comme des forteresses, aligné des KPI comme des boucliers, et empilé des réunions pour anesthésier le vertige. Résultat ? Des leaders qui ne ressentent plus l’urgence, et des équipes qui suivent un rythme mécanique.

Réapprendre à diriger, c’est accepter que chaque décision peut être un saut dans le vide. C’est se réveiller tous les matins avec l’idée que l’échec est possible – et que c’est exactement ce qui rend chaque succès mémorable.

Les rituels de remise en question

Le doute ne doit pas être un état passager. Il doit devenir un rituel. Et comme tout rituel, il demande discipline et courage. Voici quelques pratiques que vous pouvez adopter dès aujourd’hui pour réintroduire l’incertitude dans votre leadership :

1/ Changer de perspective : discutez avec vos clients, vos fournisseurs, ou même des inconnus. Écoutez des voix qui ne font pas partie de votre écosystème habituel. Vous serez surpris de la quantité de vérités ignorées.

2/ Le « débrief sans filtre » : après chaque projet, demandez non pas ce qui a marché, mais ce qui a échoué, et pourquoi personne n’a alerté avant.

3/ Expérimenter sans filet : lancez de petites initiatives où le risque est réel et visible. Observez, apprenez, ajustez. L’expérience vaut plus que toutes les certitudes.

4/ Casser la routine : changez d’environnement, modifiez l’ordre des priorités, réinventez les rituels quotidiens. La nouveauté aiguise la curiosité.

Ces pratiques ne sont pas anodines. Elles sont un rappel constant que votre leadership n’est pas un acquis, mais un art vivant.

L’humilité comme super-pouvoir

Il y a un paradoxe que peu de dirigeants acceptent : le pouvoir réel naît de l’humilité. L’humilité n’est pas synonyme de faiblesse ; c’est la capacité à reconnaître que l’on ne sait pas tout, et que chaque jour offre une nouvelle leçon.

Les dirigeants les plus respectés dans l’histoire récente ne sont pas ceux qui ont accumulé des titres, mais ceux qui ont conservé cette soif d’apprendre. Ils posent des questions, ils écoutent, et surtout, ils se trompent ouvertement sans craindre de perdre leur stature.

L’humilité fédère les équipes. Quand les collaborateurs perçoivent que leurs idées influencent véritablement le cap, leur engagement s’en trouve décuplé. L’adaptabilité exige cette inclusion, qui devient un levier stratégique incontournable.

Repenser l’échec

Si vous voulez vraiment diriger comme au premier jour, il faut changer votre relation avec l’échec. Les startups le savent : chaque revers est un enseignement, chaque erreur un tremplin. Les entreprises traditionnelles ont tendance à sanctuariser la réussite et à diaboliser l’échec. Le résultat ? Une culture de peur et d’inaction.

Adopter la mentalité du premier jour, c’est faire de l’échec un allié. Installez des rituels qui analysent, partagent et célèbrent l’échec comme une source d’apprentissage. Transformez les erreurs en récits de courage et d’expérimentation. Vos équipes s’en inspireront naturellement, et l’innovation finira par irriguer chaque action.

Le leader comme explorateur

Réapprendre à diriger, c’est redevenir explorateur. Loin des certitudes, loin des routines, loin des tableaux Excel qui donnent l’illusion de la maîtrise. C’est accepter que l’entreprise n’est pas un navire figé mais un océan en mouvement, et que vous êtes à la fois capitaine et navigateur.

Chaque jour, posez-vous cette question : « Si j’étais confronté à tout cela pour la première fois, que ferais-je différemment ? » Et surtout, écoutez la réponse. Elle pourrait être inconfortable, risquée, déstabilisante… exactement ce qu’il vous faut.

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