Les entreprises qui reprennent la main sur leurs données : comment elles s’y prennent

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Face à l’explosion des volumes d’informations générées chaque jour, de plus en plus d’entreprises françaises s’emparent de la question de la souveraineté numérique. Non pas dans une logique strictement défensive, mais pour regagner en maîtrise opérationnelle, renforcer leur compétitivité et créer de nouveaux leviers de croissance. Reprendre la main sur ses données ne se limite plus à une exigence réglementaire : c’est devenu un enjeu stratégique structurant. Plusieurs groupes, issus de secteurs aussi divers que l’énergie, la distribution ou l’industrie, ont engagé des transformations profondes pour ne plus dépendre d’infrastructures ou de solutions qu’ils ne contrôlent pas.

Déployer des infrastructures maîtrisées pour héberger les données critiques

Le premier levier d’autonomie repose sur la capacité à internaliser les actifs numériques les plus sensibles. EDF, dont les activités couvrent aussi bien la production que la distribution d’électricité, a développé son propre cloud interne pour héberger les données liées à la gestion du réseau, aux simulations énergétiques et à la maintenance prédictive des infrastructures. Cette initiative, lancée dès 2018 avec le projet Nuage, visait à sécuriser les flux stratégiques tout en garantissant une conformité totale aux exigences de confidentialité et de cybersécurité.

À la même période, Airbus a pris des mesures similaires pour ses activités de défense et d’aéronautique. Le groupe a renforcé ses capacités d’hébergement sur des serveurs souverains, en complément de ses partenariats technologiques. Il ne s’agissait pas de rompre avec les géants américains du cloud, mais de reprendre la main sur les couches critiques du stockage et du traitement, en particulier pour les données liées aux systèmes embarqués ou à la simulation militaire. L’objectif est clair : ne plus subir les risques induits par l’externalisation excessive.

Créer une gouvernance transversale pour redonner du sens à la donnée

Reprendre le contrôle technique ne suffit pas si les données restent cloisonnées ou peu exploitables. Chez Renault, un programme de transformation interne a été lancé pour unifier les référentiels métiers entre les différentes marques et fonctions. Baptisé Digital Factory, ce dispositif repose sur une architecture centralisée pilotée par une cellule transverse mêlant DSI, métiers opérationnels et data analysts. Le résultat : une meilleure qualité des données, une accélération des projets d’IA embarquée et une réduction significative des doublons dans les bases de production.

L’approche adoptée par LVMH illustre un autre angle stratégique : la donnée comme actif créatif et commercial. Le groupe a mis en place un pilotage unifié de ses données clients à l’échelle mondiale, avec la création d’un hub de gouvernance rattaché à la direction CRM. Cela permet d’assurer une cohérence globale tout en respectant la singularité de chaque maison. La structuration progressive de cette gouvernance permet à LVMH de personnaliser finement ses offres, sans céder aux logiques intrusives souvent reprochées aux plateformes externes.

Réduire la dépendance aux plateformes dominantes

La question de la souveraineté passe aussi par une révision des outils utilisés au quotidien. Décathlon, par exemple, a entrepris une migration progressive de ses outils collaboratifs vers des solutions européennes ou open source, tout en redéveloppant en interne certaines briques de son système d’information. L’enjeu est double : protéger les flux internes et se libérer des contraintes contractuelles ou économiques imposées par les solutions propriétaires. Cette transition s’accompagne d’un effort conséquent de formation pour faire monter en compétences les équipes sur des environnements plus maîtrisables.

Le groupe La Poste, quant à lui, a structuré une stratégie globale de réduction de la dépendance aux GAFAM, avec un engagement clair vers des outils souverains, aussi bien pour les communications internes que pour les services numériques proposés aux clients. Le développement de son propre cloud public, La Poste Cloud, vient renforcer cette volonté d’autonomie, tout en permettant à ses filiales d’exploiter des données sensibles dans un cadre sécurisé et nationalement hébergé.

Sécuriser les données à la source pour limiter les fuites en aval

L’exposition croissante des entreprises aux cybermenaces les pousse à agir en amont, en intégrant la sécurité dès la conception des processus. Engie, groupe énergétique opérant dans plus de 70 pays, a investi dans la mise en place d’un système de classification automatique des données, couplé à un chiffrement natif des fichiers métiers les plus sensibles. Cette logique de “ security by design “ permet d’éviter que la maîtrise de la donnée ne repose uniquement sur des pare-feux ou des procédures a posteriori.

Carrefour, dans un tout autre secteur, adopte une démarche similaire dans la gestion de ses données clients. Avec le développement de son offre de retail media, le groupe a fait le choix d’une infrastructure de collecte et d’analyse en propre, indépendante des grands réseaux publicitaires. Ce recentrage permet de garantir la traçabilité des données utilisées dans les campagnes ciblées, et de répondre plus finement aux attentes des consommateurs en matière de respect de la vie privée.

Acculturer les collaborateurs pour transformer la donnée en levier opérationnel

Une donnée maîtrisée n’a d’intérêt que si elle est exploitée intelligemment. C’est sur ce principe qu’Air Liquide a structuré son programme interne Data Academy, destiné à former plusieurs milliers de collaborateurs aux fondamentaux de la culture data. L’ambition n’est pas de faire de chacun un expert, mais d’installer un réflexe analytique au cœur des métiers, depuis la maintenance jusqu’aux achats. Cette montée en compétence transversale permet de faire émerger des cas d’usage concrets, tout en réduisant la dépendance aux prestataires extérieurs.

BNP Paribas suit une logique comparable avec la mise en place d’un programme de data ownership dans ses directions métiers. Chaque département est désormais responsable de la qualité et de la pertinence des données qu’il utilise. Cette responsabilisation redonne du sens aux flux d’information et facilite l’émergence de projets à forte valeur ajoutée, comme l’optimisation du scoring de risque ou la lutte contre la fraude.

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