Chaque fois que l’Insee publie une nouvelle étude sur les salaires, le monde de l’entreprise retient son souffle. Non pas par simple curiosité statistique, mais parce que ces chiffres racontent l’environnement dans lequel évoluent les dirigeants, les fondateurs et les entrepreneurs. Recruter, motiver, fidéliser, anticiper : tout commence par une compréhension fine des dynamiques salariales.
La dernière étude en date apporte un éclairage précieux, voire incontournable. En 2023, 1 % des salariés du privé ont gagné plus de 10.219 euros nets par mois, soit 7,5 fois le Smic. En parallèle, le salaire médian s’est établi à 2.730 euros nets en 2022. Deux chiffres, mais deux mondes. Pour un entrepreneur, cette fracture n’est pas une abstraction : elle influence directement les stratégies RH, les marges de manœuvre, la compétitivité et la capacité d’attraction de son entreprise.
Cet article explore ce que ces données signifient réellement pour celles et ceux qui créent, dirigent et transforment les entreprises françaises.
1/ Le paysage salarial : une donnée économique, mais aussi stratégique
Les entrepreneurs le savent mieux que quiconque : le salaire n’est jamais un simple coût. C’est un levier. Un signal. Un investissement. Mais pour maîtriser ce levier, encore faut-il comprendre la réalité du marché.
Le top 1 % des salariés concentre les talents rares, les compétences critiques, les profils experts des secteurs phares : finance, tech, industrie, conseil, ingénierie de pointe. Ces métiers surpayés tirent vers le haut une partie des grilles salariales, mais pas toutes. La majorité du marché reste ancrée autour du salaire médian.
Pour un dirigeant, cela signifie une chose simple : la guerre des talents est asymétrique.
Certains postes coûtent de plus en plus cher. D’autres restent relativement accessibles. Tout l’enjeu est de savoir où positionner son entreprise et comment construire une politique salariale cohérente.
2/ À quoi ressemble le salarié du “top 1 %” ? Et pourquoi cela concerne les entrepreneurs
L’étude de l’Insee dresse un profil type :
- Homme (encore très majoritairement)
- Cadre supérieur ou dirigeant
- Très diplômé
- Localisé en métropole, surtout en Île-de-France
- Dans des secteurs à forte valeur ajoutée
Pourquoi cela intéresse un entrepreneur, même en dehors de ces secteurs ?
Parce que ce top 1 % agit comme un aimant sur le marché du travail. Il impose un référentiel, une norme de rémunération indirecte. Même si une PME n’a pas vocation à proposer des salaires à 10.000 euros, elle est impactée par les attentes qui se diffusent chez les cadres, par les comparaisons, par la tension sur certains métiers.
Autrement dit : le haut du marché tire tout le reste. Et ignorer ces mouvements, c’est risquer d’être déconnecté.
3/ Le salaire médian : le vrai indicateur pour les dirigeants
Dans la majorité des entreprises françaises, surtout les PME et TPE, ce n’est pas le top 1 % qui détermine le terrain, mais bien le salaire médian. À 2.730 euros nets, il incarne la réalité quotidienne :
- les compétences intermédiaires,
- les postes techniques,
- les fonctions support,
- les rôles opérationnels qui permettent à une structure de tourner.
C’est cette base, souvent invisible, qui détermine la cohésion interne, la satisfaction des équipes, la fidélisation. Pour un entrepreneur, le salaire médian est une boussole. Il permet de calibrer des grilles salariales réalistes, compétitives sans être explosées, attractives sans fragiliser la trésorerie.
4/ Ce que révèlent les écarts : une polarisation qui oblige les entrepreneurs à faire des choix
Le fossé entre le milieu et le sommet se creuse. Et si cela paraît lointain, c’est en réalité un signal stratégique majeur.
Pourquoi ? Parce que la polarisation du marché du travail crée trois défis pour les entrepreneurs :
1. Une concurrence accrue sur les talents rares
Les experts tech, les ingénieurs industriels, les data scientists, les financiers spécialisés… voient leur prix grimper. Pour les attirer, une PME doit trouver d’autres leviers : flexibilité, sens, autonomie, participation, culture interne.
2. Une pression sur les cadres intermédiaires
Ils ne font pas partie du top 1 %, mais observent ce qui s’y passe. Le risque : un décalage entre leurs attentes et ce que l’entreprise peut proposer.
3. Une tension sur la cohésion interne
Quand l’écart salarial s’élargit, l’importance de la transparence, du dialogue et de l’équité perçue devient cruciale.
Les entrepreneurs qui réussissent ne sont pas ceux qui paient le mieux, mais ceux qui expliquent mieux, qui structurent mieux leurs décisions, qui donnent du sens.
5/ Ce que ces chiffres changent concrètement dans la gestion d’une entreprise
L’étude de l’Insee n’est pas un simple rapport : c’est un outil d’aide à la décision. Voici ce qu’un entrepreneur peut en tirer :
1. Repenser sa stratégie de recrutement
- Identifier les postes “rares” où la rémunération doit être ajustée.
- Renforcer la marque employeur pour compenser une incapacité à aligner les salaires avec les grands groupes.
- Miser sur l’apprentissage, l’évolution interne, la formation.
2. Ajuster les grilles salariales
Même sans exploser les budgets, il est possible de :
- lisser les écarts,
- rendre les progressions plus lisibles,
- introduire des primes de performance ciblées,
- utiliser des avantages non monétaires.
3. Anticiper les attentes des nouvelles générations
Les jeunes diplômés arrivent sur le marché avec une vision plus critique des écarts salariaux. Ils veulent comprendre :
- pourquoi un salaire,
- comment il évolue,
- quelle trajectoire réelle est possible.
Une entreprise qui communique clairement sur ces sujets se distingue immédiatement.
4. Construire une culture économique interne
Les salariés sont de plus en plus sensibles à la transparence.
Un dirigeant gagne à :
- expliquer les coûts,
- présenter les marges,
- montrer les arbitrages réels,
- associer les équipes aux résultats quand c’est possible.
6/ Vers un marché du travail qui impose un nouveau rôle aux entrepreneurs
Les chiffres de l’Insee montrent un pays où les écarts se creusent, mais où la valeur du travail évolue aussi. Pour les entrepreneurs, cela signifie une chose : l’époque où le salaire suffisait à attirer et retenir est derrière nous.
Le rapport au travail change. Les attentes changent. Les priorités changent.
Les dirigeants qui réussiront demain seront ceux qui savent :
- parler vrai,
- donner du sens,
- offrir une expérience professionnelle qui dépasse la rémunération,
- construire des équipes plurielles où chacun trouve sa place.
Mais cela commence par une compréhension lucide du paysage : un marché où le top 1 % fait rêver ou irrite, où la médiane structure la majorité, et où les entrepreneurs naviguent entre ambition, contraintes et responsabilités.
7/ Ce que les entrepreneurs doivent retenir
- Le top 1 % gagne plus de 10.219 € : un indicateur, pas un modèle à suivre.
- Le salaire médian à 2.730 € : c’est là que tout se joue pour 80 % des entreprises.
- Les écarts se creusent : il faut compenser par de la transparence, du sens et une culture interne solide.
- Le marché devient plus complexe : la politique salariale devient un outil stratégique, pas seulement un budget.
Les chiffres de l’Insee ne disent pas seulement où en est la France : ils montrent aux entrepreneurs comment mieux anticiper, mieux construire et mieux diriger.

