Parfois, cocher une case ne suffit pas. La to-do list (ce bon vieux compagnon de route des entrepreneurs, des dirigeants pressés et des porteurs de projets débordés) semble avoir atteint ses limites. Pourtant, elle trône toujours en bonne place sur les bureaux, les tableaux blancs et les applis mobiles à la mode. Alors pourquoi, malgré sa promesse de clarté et d’organisation, cette liste censée sauver nos journées finit-elle souvent par nous faire culpabiliser davantage que nous faire avancer ?
Il est temps de remettre les pendules à l’heure : la to-do list ne marche pas toujours. Et ce n’est pas (entièrement) votre faute.
Le mythe de la productivité par la liste
Pendant longtemps, on nous a vendu la to-do list comme l’arme absolue de la productivité. Un outil simple, visuel, rassurant. On y inscrit, noir sur blanc, toutes les choses que l’on doit faire. On en retire un plaisir coupable à chaque tâche rayée, à chaque objectif accompli. C’est gratifiant, parfois même euphorisant.
Mais ce que les gourous de l’organisation oublient de dire, c’est que la to-do list est aussi une trappe mentale, un gouffre dans lequel s’évanouissent nos priorités, notre concentration et, parfois, notre moral.
Premier problème : trop de tâches, pas assez d’intention
Les dirigeants, plus que quiconque, sont confrontés à un flot ininterrompu de micro-décisions et d’urgences. Résultat : leurs to-do lists ressemblent davantage à des inventaires à la Prévert qu’à des plans d’action. Une dizaine, une vingtaine, parfois une trentaine de tâches hétérogènes s’y entassent : répondre à cet email, préparer cette réunion, relancer ce client, publier sur LinkedIn, signer ce contrat, recruter ce talent, faire un point RH…
En réalité, ce n’est pas une liste de tâches. C’est un cimetière d’intentions.
Et quand tout est important, rien ne l’est vraiment. Ce trop-plein génère une forme de paralysie cognitive : on ne sait plus par où commencer. On procrastine. On panique. Et à la fin de la journée, cette fameuse liste, loin d’être vidée, s’est parfois allongée.
Le cerveau humain n’est pas fait pour suivre une liste
Autre vérité qu’on préfère ignorer : notre cerveau déteste les longues to-do lists. Ce n’est pas une question de discipline, mais de biologie.
Le psychologue soviétique Bluma Zeigarnik a démontré dès les années 1920 que nous nous souvenons mieux des tâches inachevées que des tâches terminées. C’est ce qu’on appelle l’effet Zeigarnik. Résultat : chaque tâche non cochée reste active dans notre esprit, comme une notification mentale permanente.
Autrement dit, une to-do list à rallonge devient vite un facteur de stress chronique. Plutôt qu’un outil d’organisation, elle se transforme en machine à culpabiliser. Vous avez avancé sur des sujets importants ? Tant pis : vous ne voyez que ce que vous n’avez pas fait. Et votre cerveau vous le rappelle, encore et encore.
La productivité, ce n’est pas cocher des cases
Trop souvent, on confond activité et productivité. Une journée remplie de cases cochées n’est pas nécessairement une journée efficace. D’ailleurs, combien de fois vous est-il arrivé de finir une journée exténué… tout en ayant le sentiment de ne pas avoir avancé sur ce qui comptait vraiment ?
C’est le piège des to-do lists : elles nous poussent à prioriser le court terme, à privilégier les tâches faciles et rapides à accomplir, au détriment des chantiers plus ambitieux mais plus flous, plus exigeants, moins immédiatement gratifiants.
Un dirigeant ou un entrepreneur ne devrait pas passer ses journées à “traiter du courant”. Son rôle est stratégique. Vision, alignement, arbitrage. Et ça, ça ne rentre pas bien dans une to-do list.
Ce qu’il faut faire à la place : changer de paradigme
Faut-il pour autant jeter sa to-do list à la poubelle ? Pas forcément. Mais il est urgent de la remettre à sa place : celle d’un outil secondaire, au service d’une approche plus stratégique de la gestion du temps et de l’attention.
Voici quelques pistes concrètes pour reprendre le contrôle.
1/ Passez de la to-do list à la “done list”
Contre-intuitif ? Pas tant que ça. Une “done list” consiste à noter, en fin de journée, tout ce que vous avez réellement accompli. Cela permet de prendre conscience de votre avancement réel, même sur des tâches qui n’étaient pas “prévues”. Et surtout, cela alimente un sentiment de progression – carburant essentiel à la motivation.
Ce rituel simple permet aussi d’identifier vos dérives : que faites-vous spontanément ? Quelles tâches vous aspirent hors de votre cadre initial ? C’est un outil d’auto-diagnostic puissant.
2/ Travaillez avec des “objectifs de résultat” plutôt que des “tâches”
Une tâche, c’est “Appeler Jean”.
Un objectif de résultat, c’est “Obtenir l’accord de Jean pour le lancement du partenariat X”.
La différence est de taille. La tâche est un moyen, l’objectif est une fin. Travailler à partir d’objectifs vous pousse à clarifier vos intentions, à structurer votre action, à anticiper les blocages.
Cette logique permet aussi de mieux déléguer, car vous ne confiez pas une “action à faire”, mais un “résultat à obtenir”. Et ça, pour un dirigeant, c’est une compétence vitale.
3/ Planifiez des blocs de temps, pas des tâches
C’est ce que les anglo-saxons appellent le time blocking. Plutôt que de faire une liste linéaire, vous réservez des plages horaires à des catégories de travail : 9h-11h pour les sujets stratégiques, 11h-12h pour les appels, 14h-15h pour la création de contenu, etc.
Pourquoi ça marche ? Parce que vous structurez votre journée autour de votre attention, pas autour d’une suite de cases à cocher. C’est une manière de créer un “agenda intentionnel” qui tient compte de vos pics d’énergie, de votre environnement, de vos priorités du moment.
4/ Faites le ménage : la méthode du “pas aujourd’hui”
Votre to-do list déborde ? Appliquez la méthode du “Not Today”. Passez en revue chaque tâche, et demandez-vous : *doit-elle vraiment être faite aujourd’hui ?* Si non, archivez-la ou planifiez-la dans un système extérieur (agenda, outil de gestion de projet…).
Ce filtrage vous permet de concentrer vos efforts sur l’essentiel, et d’alléger votre charge mentale. Ce que vous ne faites pas aujourd’hui est parfois aussi important que ce que vous faites.
5/ Réservez du temps pour ne rien faire (oui, vraiment)
Les créateurs d’entreprise ont tendance à surcharger leurs journées comme on remplit un chariot avant un blizzard. Et pourtant, certaines des meilleures idées, décisions ou prises de recul naissent dans les moments de vide.
Prévoyez des plages de respiration. Sans écran. Sans réunion. Et sans objectif. Juste du temps pour penser. Pour observer. Pour écouter. Et pour reconnecter avec le “pourquoi” derrière le “quoi”.
Ce n’est pas du luxe. C’est du leadership.