Le retour du “terrain” : pourquoi les grands patrons reprennent la blouse

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On croyait les dirigeants enfermés dans leurs bureaux, protégés des réalités du terrain par une hiérarchie rassurante. Pourtant, une tendance récente, nourrie par les défis de la transformation, fait bouger les lignes : les patrons reprennent la blouse. Ils sortent de l’abstraction stratégique pour renouer avec le concret, en allant observer en première ligne les opérations, les équipes, les clients. Et ce retour sur le terrain n’est pas anecdotique : de nombreuses études post-2024 soulignent combien cette immersion constitue un levier silencieux mais puissant de transformation.

Transformation continue ou panser les plaies invisibles ?

« La transformation est devenue une seconde nature selon PwC » et les dirigeants savent qu’ils ne pourront rédiger un plan dans un bureau et espérer que les équipes le portent aveuglément. Ces transformations fonctionnent mieux quand elles sont ancrées dans la réalité vécue par les collaborateurs dès le départ. Autrement dit, pour accompagner un changement, mieux vaut l’expérimenter en conditions réelles, pas le piloter depuis un powerpoint.

Les grandes mutations (IA, ESG, digitalisation…) amènent les patrons à admettre que les décisions vraiment efficaces s’appuient sur des observations terrain, et pas seulement sur des données ou des projections.

Confiance, compétences et cohésion : les bénéfices invisibles

Une étude de KPMG — CEO Outlook 2024 — révèle que malgré une confiance résiliente dans l’avenir, les dirigeants sont conscients que leur capacité à conduire la transformation est souvent insuffisante. 75 % d’entre eux ne se sentent pas prêts à mener une transformation complexe impliquant l’IA, l’ESG ou les perturbations géopolitiques.

Dans ce contexte, reprendre la blouse sur le terrain devient une façon de réapprendre le leadership par l’expérience directe. En allant écouter, observer et entrer en contact avec les équipes, ils reconstruisent, au-delà des compétences techniques, une relation de confiance et de compréhension mutuelle.

Terrain et transformation : une connexion stratégique

Être sur le terrain, ce n’est pas simplement aller voir de plus près ce qui ne fonctionne pas. C’est aussi saisir les signaux faibles, anticiper les résistances, et détecter les opportunités que personne n’a formalisées. PwC insiste d’ailleurs sur le fait que les transformations trop formelles (plans abstraits, par silos) s’épuisent souvent. Au contraire, une transformation réussie est « out of the box », ancrée dans le vécu, au plus près des besoins réels.

Les dirigeants cherchent ainsi à recalibrer leur vision : faire célébrer les « quick wins », révéler les frustrations sourdes, comprendre les comportements, identifier les vitesses réelles de mise en œuvre. Ce retour permet de corriger les trajectoires en temps réel plutôt que de confirmer des axes peu viables.

Intelligence émotionnelle et résilience stratégique

Face aux défis comme l’introduction de l’IA, l’équilibre entre agilité, sécurité numérique et création de valeur est délicat. Les dirigeants sont conscients du risque de décisions précipitées, sous le syndrome du FOMO (fear of missing out, ndlr) mais cherchent à s’appuyer sur des décisions étayées par le terrain.

Sur le terrain, ils testent les outils, mesurent les réactions, choisissent des orientations plus durables. De fait, cette posture permet de renforcer la résilience stratégique et de confronter les choix à leur faisceau de conséquences concrètes sur la sécurité, sur la charge de travail ou encore sur la culture d’entreprise.

Mobiliser les équipes autrement

Le CEO Outlook 2024 de KPMG montre également que 83 % des dirigeants prévoient un retour complet au bureau d’ici trois ans, contre seulement 64 % en 2023. Ce retour physique au bureau, couplé à un retour informel sur le terrain, tisse une posture de proximité. Le dirigeant cesse d’être lointain pour redevenir acteur du quotidien.

Ce contact humain agit comme un ciment : il revitalise la cohésion, rassure les équipes, stimule la mobilisation. Lorsqu’un dirigeant prend le temps d’écouter, de découvrir les contraintes quotidiennes, il envoie un message fort : je suis là pour comprendre, pas seulement pour ordonner.

Rapprocher stratégie et réalité : l’apprentissage par immersion

Les grands défis d’aujourd’hui (la transformation digitale, l’impact environnemental, l’intégration de l’IA, la gouvernance ESG notamment) ne se règlent pas uniquement dans les cellules de réflexion. Ils s’incarnent sur le terrain. Et les patrons qui le comprennent le mieux sont ceux qui acceptent de se confronter à l’opérationnel.

Ils se repositionnent comme des pivots entre la vision et le réel. Ils observent comment les procédures s’appliquent, comment les équipes réagissent à l’outil IA, comment l’impact ESG est perçu chez les collaborateurs. Cette immersion révèle ce qui fonctionne, ce qui coince, ce qui se transmet ou pas (informations essentielles pour conduire une transformation durable).

Une culture du leader apprenant

Ainsi, le retour sur le terrain redéfinit le leadership : ce n’est plus seulement gouverner, mais apprendre en permanence. Dans un monde VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu), l’humilité d’un dirigeant qui écoute, comprend, corrige, devient une force stratégique.

On laisse la posture de « sachant » pour celle de guide, d’observateur, de facilitateur. Et dans cet espace, l’entreprise se transforme non par des décisions imposées, mais par un mouvement collectif qui part du concret et s’élève vers le stratégique.

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