Pourquoi l’empathie, l’intuition et l’écoute valent aujourd’hui plus que des tableaux Excel pour créer de la valeur.
Le nouveau visage de la valeur en entreprise
« Combien vaut une heure d’écoute attentive ? » La question pourrait paraître saugrenue aux yeux d’un directeur financier. Pourtant, dans un contexte où la compétition ne se joue plus uniquement sur la productivité ou la maîtrise technique, les entreprises découvrent que l’un de leurs actifs les plus précieux n’apparaît nulle part dans leurs bilans : les soft skills.
Empathie, intuition, écoute, créativité, capacité d’adaptation… Autant de qualités longtemps jugées secondaires par rapport aux compétences techniques ou à la maîtrise des chiffres. Or, aujourd’hui, elles deviennent un levier de croissance, d’innovation et de fidélisation incontournable. « Les soft skills sont les nouveaux actifs financiers », résume une récente étude du World Economic Forum, qui place déjà ces compétences au cœur des métiers de demain.
Du « nice to have » au « must have »
Pendant des décennies, les entreprises ont valorisé avant tout les savoir-faire techniques : maîtriser un logiciel, gérer un budget, produire une analyse chiffrée. Les entretiens d’embauche se focalisaient sur les diplômes, les références, les compétences dites « dures ».
Mais les bouleversements récents — digitalisation accélérée, crises successives, hybridation du travail — ont changé la donne. Dans un environnement mouvant, les organisations ont besoin de collaborateurs capables de s’adapter rapidement, de coopérer, de donner du sens.
Selon LinkedIn, 92 % des recruteurs estiment que les soft skills sont aussi, voire plus importantes que les compétences techniques. Le réseau social professionnel observe également que 89 % des échecs d’embauche sont liés à un déficit de ces qualités humaines, et non à des lacunes techniques.
Quand l’empathie crée plus de valeur qu’un tableur
Or, aujourd’hui. ce qui fait la différence n’est plus seulement la capacité à traiter des chiffres, mais à comprendre les humains derrière.
Une étude de Gallup montre que les managers empathiques augmentent de 23 % l’engagement de leurs équipes. Or, l’engagement n’est pas une abstraction : il se traduit directement en performance économique. Les salariés motivés sont 17 % plus productifs, 21 % plus rentables, et deux fois moins susceptibles de quitter leur entreprise.
Les soft skills, outil de fidélisation
Le coût du turnover est colossal. Selon l’INSEE, remplacer un salarié peut coûter entre 6 et 9 mois de salaire, sans compter la perte de savoir-faire, la démotivation résiduelle et l’impact sur les clients.
Or, ce qui retient les talents, ce n’est plus uniquement le salaire. C’est la qualité de la relation avec le management, la reconnaissance, le sentiment d’être écouté. L’intuition d’un manager qui perçoit le découragement naissant, l’empathie d’un collègue qui prend le temps de soutenir, l’écoute d’un responsable RH… Tous ces gestes invisibles réduisent drastiquement le risque de départ.
En ce sens, l’investissement dans les soft skills est un investissement financier déguisé. Un DRH d’un grand groupe industriel confie :
Chiffrer l’invisible : mission (im)possible ?
Reste la question délicate : comment mettre des chiffres sur l’intangible ? Les entreprises, obsédées par les KPI, peinent à valoriser ce qui ne se compte pas en euros ou en colonnes Excel.
Pourtant, des outils émergent. Certaines directions RH utilisent déjà des indicateurs comme :
- Le Net Promoter Score interne (eNPS) : mesure du taux de recommandation de l’entreprise par ses propres salariés.
- Le taux de rétention : directement influencé par la qualité du management et donc par les soft skills.
- Le coût d’absentéisme : souvent lié à un climat de travail délétère.
- Les enquêtes de climat social : permettant d’évaluer le ressenti des équipes.
En croisant ces données avec des indicateurs financiers (coût du turnover, gain de productivité, satisfaction client), certaines entreprises parviennent déjà à donner une valeur tangible à des compétences a priori invisibles.
Quand l’intuition stimule l’innovation
Au-delà de la fidélisation, les soft skills sont aussi un formidable moteur d’innovation. Dans une économie où les cycles produits s’accélèrent, il ne suffit plus d’avoir les meilleures technologies. Il faut aussi comprendre les usages, anticiper les besoins, imaginer ce qui n’existe pas encore.
Or, cette capacité ne relève pas uniquement de la logique rationnelle. Elle demande de l’intuition, de l’écoute des signaux faibles, une empathie avec les utilisateurs. Steve Jobs, en son temps, expliquait : « Il ne s’agit pas de demander aux gens ce qu’ils veulent, mais de ressentir ce dont ils auront besoin. »
Une étude de Deloitte a montré que les entreprises avec une forte culture d’empathie et de collaboration génèrent 20 % d’innovation en plus que leurs concurrentes. Le lien est clair : l’écoute et l’ouverture d’esprit nourrissent la créativité collective.
Un actif financier… encore absent des bilans
Ironie du sort : alors que les entreprises dépensent des fortunes en logiciels, brevets, infrastructures, elles continuent de sous-valoriser l’un de leurs principaux leviers de création de valeur : le capital humain et relationnel.
Certains économistes parlent de « capital social » pour désigner cet ensemble de compétences douces. Mais contrairement aux brevets ou aux machines, il ne figure pas dans les bilans comptables. « C’est un actif invisible, et c’est là toute la difficulté », explique une chercheuse en management de l’Université Paris-Dauphine.
Cependant, les lignes bougent. Aux États-Unis, certaines entreprises commencent à intégrer dans leurs rapports annuels des indicateurs liés aux soft skills : climat de travail, formation à l’empathie, taux d’écoute managériale. L’idée est simple : ce qui se mesure s’améliore.
Quand les RH deviennent stratèges financiers
Traditionnellement cantonnées au rôle administratif, les ressources humaines deviennent peu à peu stratèges de valeur. En formant, en évaluant et en développant les soft skills, elles contribuent directement à la santé financière de l’entreprise.
Ainsi, investir dans la formation à la communication non-violente, au leadership empathique, à l’intelligence émotionnelle, n’est plus vu comme une dépense « douce », mais comme un levier économique.
Une enquête de McKinsey indique que les entreprises qui investissent massivement dans le développement des soft skills de leurs managers constatent une croissance de leur chiffre d’affaires supérieure de 12 % à celles qui n’y investissent pas.
Les paradoxes de l’IA et du numérique
La montée en puissance de l’intelligence artificielle renforce encore la valeur des soft skills. Tout ce qui est automatisable le sera. Mais l’écoute, l’intuition, l’intelligence émotionnelle restent, pour l’instant, hors de portée des algorithmes.
Autrement dit, plus la machine prend en charge les tâches rationnelles, plus l’humain doit exceller dans ce qui ne peut être codé. « Les compétences humaines deviennent notre avantage comparatif », analyse un consultant en innovation.
Vers un « bilan émotionnel » ?
Demain, verra-t-on apparaître des « bilans émotionnels » dans les entreprises, à côté des bilans financiers ? Certains experts le pensent. Mesurer l’état d’esprit collectif, la qualité des relations, le climat de confiance… pourrait devenir une norme de reporting, au même titre que le développement durable.
De fait, la norme ISO 30414, encore peu connue, propose déjà un cadre pour mesurer le capital humain des organisations. Elle inclut des indicateurs comme l’engagement, la diversité, la santé psychologique. Une avancée qui pourrait transformer en profondeur la manière de piloter une entreprise.