Entretien exclusif avec Jean-Luc Petithuguenin, président du groupe Paprec.
Quel a été votre parcours jusqu’à Paprec ?
Tout juste sorti de l’Essec, j’ai été contrôleur de gestion puis directeur financier d’une entreprise de chimie puis j’ai dirigé une entreprise de travaux publics avant d’entrer comme chargé de mission à la Générale des Eaux. Très vite j’ai évolué dans l’entreprise jusqu’à devenir directeur des pôles recyclage et nettoyage industriel. à cette époque, je dirigeais 15 000 salariés !
C’est à ce moment là que vous avez repris Paprec ?
Oui, et les gens n’ont pas vraiment compris à l’époque pourquoi je décidais de quitter mon poste confortable avec un grand bureau, trois secrétaires, un chauffeur, etc. pour me retrouver à nouveau dans ma petite 205 ! Je suis passé d’un poste où je dirigeais 15 000 personnes à une entreprise de 45 salariés. Les gens m’ont alors vu comme un drôle de type. Ils ne comprenaient pas que j’ai voulu faire ce choix de mon plein gré ! Aujourd’hui, on me dit que j’ai eu raison de me lancer ! La façon dont est vu l’entrepreneuriat en France de nos jours est très différente de la perception qu’on en avait dans les années 90.
Justement, en quoi l’entrepreneuriat a changé entre le moment où vous vous êtes lancé et maintenant ?
Il est beaucoup plus facile aujourd’hui de trouver des fonds d’investissement prêts à investir et accompagner des jeunes entreprises. Sur un plan psychologique également, je trouve qu’il est beaucoup plus aisé de se lancer maintenant. L’entrepreneuriat commence à être reconnu dans la société. Les gens prennent conscience que ce sont les entrepreneurs qui prennent des risques pour créer de l’emploi.
Face à la difficulté d’entreprendre quand vous vous êtes lancé, avez-vous eu peur d’échouer ?
Oui, ce qui m’obsédait à l’époque était la peur de ruiner ma famille. Mes quatre enfants étaient déjà nés et je craignais vraiment que, si j’échouais dans mon projet d’entrepreneur, ma femme et mes enfants se retrouvent à la rue. Il faut dire qu’à l’époque, l’entrepreneur était obligé de mettre sa maison en caution dès qu’il se lançait. Alors mon premier réflexe a été de faire changer mon contrat de mariage pour le passer en séparation de biens. Et j’ai attribué la maison familiale à ma femme.
Pourquoi avoir fait le choix de reprendre une entreprise alors que vous aviez déjà un poste de direction ?
Jean-Marie Messier est arrivé à la tête de la Générale des Eaux et la stratégie du groupe a changé. M. Messier obligé Henri Proglio à revendre Paprec, la petite entreprise de recyclage que j’avais moi-même acheté pour le compte de la Générale des Eaux. Dès que j’ai entendu que l’entreprise était en vente, j’ai demandé à la racheter. J’ai fait ce choix car j’avais déjà une assez claire conscience que le recyclage était un marché très prometteur. Et j’avais l’impression que les grandes multinationales pensaient que ce secteur était un métier sans avenir !
Quelle a été la plus grande difficulté dans le développement de Paprec ?
Ça a été la crise de Lehman Brothers en octobre 2008. Cette crise a provoqué une panique sur les marchés financiers qui s’est transmise au marché des matières premières dès le mois de novembre. Il s’est passé une chose incroyable : pendant un trimestre, les marchés se sont complètement fermés ! Finalement, face à un marché où tous les prix s’étaient écroulés, un turc a décidé un jour d’acheter quelques centaines de milliers de tonnes de ferrailles à prix cassés. Ça a été le premier signe qui a permis de ranimer les marchés. Deux ans plus tard, le marché a même connu des records historiques dans le prix de vente des matières premières !
Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier dans votre réussite ?
Sans hésiter, la qualité de mes collaborateurs. Je suis fier d’avoir réussi en restant fidèle à une idée qui était celle de la diversité, alors que la plupart des gens me disaient qu’avec des idées comme celles-ci j’allais me casser la figure. Je suis régulièrement surpris par les savoirs-faire de mes collaborateurs. Apprendre aux gens à sauter 1m60, puis 1m80, puis 2m10 : c’est cela ma plus grande fierté !
Vous expliquez vouloir concrétiser vos convictions humanistes au sein de Paprec. N’est-ce pas difficile de le faire dans un si grand groupe ?
Non, car je ne suis pas un dirigeant qui est arrivé du jour au lendemain dans une entreprise de 3 500 personnes. Quand vous arrivez dans une entreprise avec sa propre histoire, il est très difficile d’y installer une vision humaniste. Il va vous falloir combattre toutes les mauvaises habitudes, toutes les personnes qui pensent que pour réussir il faut marcher sur les autres. Chez Paprec, nous avons veillé dans tous nos recrutements à embaucher des personnes qui correspondent à nos valeurs. Nous choisissons des personnes qui savent bien travailler en collectif, qui n’ont pas trop d’égo et qui sont gentilles. Nous appliquons également cette valeur de diversité en ne faisant pas de discrimination vis-à-vis des seniors ou des femmes lors de nos embauches.
Vous placardez même ces valeurs à l’entrée de chacune de vos usines je crois ?
Oui, il y est écrit notamment « Nous sommes fiers de nos différences de race, de culture, d’éducation, de sexe,… ». Nous ne prônons pas la diversité pour faire la charité, nous sommes fiers de cette diversité qui nous rend plus forts. Si un salarié est discriminé car il s’appelle Mohammed par exemple, je veux qu’il puisse aller voir son directeur en lui disant que ce n’est normal, et pas conforme à ce que pense le président.
Vous vous engagez dans plusieurs actions de mécénat et de sponsoring, pourquoi ?
Concernant le mécénat, je pense que, quand une entreprise réussit, elle se doit d’avoir un engagement citoyen clair. Concernant le sponsoring, je pense que c’est une belle façon de faire connaître notre activité et nos valeurs au grand public. Nous sommes engagés dans la voile depuis 10 ans car nous soutenons Jean-Pierre Dick qui vient de terminer 4e au Vendée Globe. Nous avons choisi la voile car c’est un sport écolo et que les skippers sont des gens humbles, intelligents, et pas corrompus par l’argent. Cela correspond bien à nos valeurs.
3 conseils de Jean-Luc Petithuguenin
- Aimer ! Il faut aimer ses clients, aimer ses collaborateurs, aimer ses actionnaires, et même aimer ses banquiers ! Avec quatre fois le mot amour, on peut déplacer des montagnes !
- Se préoccuper des autres : Un entrepreneur qui applique sincèrement le fait de se préoccuper de ses clients et de ses collaborateurs a pas mal de chances de réussir.
- Aller au bout de soi-même. Si on ne va pas au bout de soi-même et qu’on finit par échouer, on s’en veut beaucoup. Sur tous les sujets, je fais mon maximum pour aller au bout de ce que je sais et ce que je peux faire. Et quand ça ne réussit pas, j’ai tout de même la satisfaction d’être allé au bout de moi-même. Quand on va au bout de soi-même, en faisant tous les efforts possibles, la plupart du temps on réussit.