Fonder une entreprise sur Mars : penser à partir de contraintes extrêmes

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Un exercice de pensée radical pour repenser toutes les bases : énergie, autonomie, communication, leadership

Quand la planète rouge devient le miroir de nos limites

C’est une salle blanche à l’odeur de métal froid, au centre de recherche de Pasadena, Californie. Sur l’écran principal, Mars s’étale dans toute sa poussière orangée. Une poignée d’ingénieurs y travaillent, mais ce jour-là, l’exercice n’a rien de scientifique. Il s’agit d’un jeu mental : et si vous deviez fonder une entreprise sur Mars ?

Pas dans cinquante ans, quand tout sera balisé. Mais demain matin. Avec les moyens d’aujourd’hui.

L’objectif ? Forcer dirigeants et entrepreneurs à se libérer de tout héritage terrestre. Sur Mars, rien n’est donné : pas d’air, pas d’eau libre, pas d’énergie en continu, pas de réseau Internet fiable, pas même la certitude de survivre à la semaine. Dans un tel contexte, chaque décision devient existentielle. Et, étrangement, c’est dans cet environnement hostile que se révèlent les idées les plus audacieuses pour réinventer la façon de créer et de diriger une organisation ici, sur Terre.

Sur Mars, la règle est brutale : pas d’énergie, pas de vie.

À 225 millions de kilomètres de la Terre, le Soleil brille deux fois moins fort. Les panneaux solaires produisent moins, et chaque mètre carré compte. L’énergie nucléaire compacte est une option, mais chaque kilo envoyé depuis la Terre coûte des millions.

Sur Terre, la plupart des entreprises consomment d’abord, optimisent ensuite. Sur Mars, l’ordre s’inverse : il faut sécuriser la production d’énergie avant même de concevoir le premier produit ou service.

« La première question n’est pas combien ça va coûter, mais comment vais-je générer suffisamment d’énergie pour que le projet existe ? » explique Leïla N’Guyen, ingénieure en systèmes autonomes et consultante auprès de start-up spatiales.

Elle poursuit : « Cette contrainte radicale oblige à intégrer la sobriété énergétique dès la conception. On ne peut pas se permettre de construire quelque chose qui pompe 50 % de la production quotidienne. Sur Mars, un watt gaspillé est un risque vital. »

Leçon pour la Terre : considérer l’énergie comme une ressource stratégique dès l’origine, pas comme une facture mensuelle inévitable. Les entreprises qui partiraient de ce principe sur Terre repenseraient radicalement leurs modèles, leurs outils et leur impact environnemental.

Quand le réapprovisionnement n’existe pas : être autonome

Sur Terre, une entreprise peut commander une pièce en 48h, voire en deux heures si elle est à Paris, New York ou Tokyo. Sur Mars, le réapprovisionnement prend… entre 6 et 9 mois. Et encore, si une fusée est prévue et qu’il n’y a pas de tempête solaire.

Cela change tout.

Cela signifie que l’entreprise martienne doit être capable de produire, réparer, réutiliser et recycler tout sur place. Les chaînes logistiques infinies que nous considérons comme normales disparaissent.

Marc Eberlin, entrepreneur suisse ayant participé à un programme de simulation martienne en Islande, raconte : « Nous avions une imprimante 3D et une réserve limitée de polymères. Une pièce cassée pouvait nous mettre en danger. La seule option était de concevoir des objets modulaires, faciles à démonter, dont les pièces pouvaient être refondues et réimprimées. On a fini par fabriquer nos outils avec des parties de meubles. C’était du bricolage… mais c’était de l’autonomie. »

Leçon pour la Terre : concevoir des systèmes résilients, capables de fonctionner même lorsque la chaîne d’approvisionnement se rompt. Les crises récentes — pandémie, pénurie de composants électroniques — ont montré que même sur Terre, la dépendance logistique est une faiblesse structurelle.

Maîtriser  la communication comme culture d’entreprise

Sur Mars, un simple message met entre 4 et 24 minutes à arriver sur Terre, selon la position des planètes. Autrement dit, aucune conversation en temps réel n’est possible avec le reste du monde.

Pour un chef d’entreprise habitué à la réunion Zoom instantanée, c’est un bouleversement.

Il faut anticiper, rédiger des messages complets, imaginer les réponses probables, prendre des décisions sans pouvoir vérifier en direct.

Sofia Alvarez, psychologue spécialisée dans les équipages isolés, le résume ainsi : « Sur Mars, la communication est lente par nature. Elle force à une discipline : on ne se parle pas pour se rassurer, on échange pour agir. Et surtout, on apprend à décider sans attendre la validation constante d’un supérieur ou d’un partenaire. »

Leçon pour la Terre : ralentir la communication peut parfois l’améliorer. Les organisations obsédées par l’instantanéité se noient dans des échanges superficiels. Un délai, même volontaire, favorise des réponses plus réfléchies et réduit le bruit informationnel.

Leadership : diriger sans filet, une question de survie

Dans un environnement aussi hostile, le leadership n’est plus une question de style managérial ou de “soft skills” tendance. C’est une question de survie collective.

Sur Mars, un leader ne peut pas tout savoir, ni tout décider. Il doit s’entourer de personnes capables de prendre des initiatives critiques sans attendre des instructions détaillées.

Cela implique de recruter non pas pour des CV parfaits, mais pour des profils capables d’apprendre vite, de garder leur sang-froid et de collaborer même dans le désaccord.

« Le chef d’entreprise martien doit accepter d’être parfois inutile », explique Amadou Diallo, ancien officier de marine et formateur en gestion de crise. « Si l’équipe est bien préparée, elle peut prendre les bonnes décisions sans vous. Sur Mars, le micro-management est un danger mortel. »

Leçon pour la Terre : former des équipes réellement autonomes et leur faire confiance. Les leaders qui contrôlent tout ralentissent la prise de décision et fragilisent la résilience globale.

L’innovation forcée mais sur la base du recyclage

Les contraintes martiennes ne laissent pas de place à la complaisance.

Elles forcent à une innovation « frugale », où chaque idée doit résoudre plusieurs problèmes à la fois.

Un exemple : un module d’habitation pourrait être conçu pour capter l’énergie solaire, recycler l’air, filtrer l’eau et produire de la nourriture en hydroponie — le tout avec des matériaux recyclés sur place.

Sur Terre, on appellerait cela de la « durabilité ». Sur Mars, c’est juste de la logique.

Ce type de pensée systémique pourrait transformer des industries entières ici-bas.

Pourquoi ne pas concevoir des usines capables de recycler 100 % de leurs déchets en ressources ? Pourquoi ne pas développer des bureaux produisant leur propre énergie et nourriture ? Mars rend ces idées urgentes… mais elles sont déjà pertinentes sur Terre.

Vivre et travailler sur Mars, même dans une simulation, révèle la vérité nue sur les relations humaines.

L’isolement, le manque de ressources, la promiscuité… tout amplifie les tensions. Les conflits mineurs deviennent des menaces. La transparence, la clarté des attentes et la gestion émotionnelle ne sont plus des “plus” : elles deviennent structurelles.

Sofia Alvarez insiste : « Dans un environnement extrême, la moindre ambiguïté peut coûter cher. On ne peut pas se permettre de “deviner” ce que l’autre veut dire. Sur Terre, on laisse beaucoup d’implicite dans le management. Sur Mars, on l’élimine. »

Leçon pour la Terre : instaurer une communication claire et explicite dans les équipes, même en période de confort apparent, pour éviter les crises lorsque la pression augmente.

Du jeu mental à l’outil stratégique

Des entreprises terrestres commencent à utiliser l’analogie martienne comme outil de formation.

Elles placent leurs équipes dans des scénarios où chaque ressource est limitée, chaque délai rallongé, chaque décision critique.

Non pas pour se préparer à la colonisation spatiale, mais pour apprendre à penser hors du cadre, à détecter les failles de leurs systèmes et à cultiver une résilience authentique.

L’agence de design stratégique Red Horizon, par exemple, organise des “Mars Sprints” : trois jours où une équipe de direction doit concevoir une entreprise viable sur la planète rouge, avec un budget, une infrastructure et une équipe fictive.

« À la fin, les dirigeants comprennent que ce n’est pas un exercice de science-fiction », raconte sa fondatrice, Kira Holmström. « C’est une manière radicale de poser la question : si tout était à réinventer, que garderiez-vous ? »

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