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Entrepreneur

Interview de Emilie Daversin, Cofondatrice de VO2 GROUP

Cofondatrice de VO2 GROUP, une société de conseil en transformation digitale qu’elle a créée avec son mari, Emilie Daversin enchaîne avec une deuxième entreprise. Seule cette fois-ci, elle lance Feminalink. Rencontre.

Comment en êtes-vous arrivée à l’entrepreneuriat ?

Après une école de commerce, j’ai entamé ma carrière à New York, dans le domaine de l’évènementiel. Pendant plusieurs années, j’ai également fait ce qu’on appelle de l’entertainment en France ainsi qu’à l’étranger. Je travaillais pour des corporates, de grandes structures dans la mode ou le luxe, issues de capitales européennes ou encore de Moscou ou Miami. J’ai décidé de faire un break. Cette vie s’avérait assez prenante et je voulais en changer. Beaucoup rêveraient d’avoir le début de carrière que j’ai eu. Mais moi, je rêvais d’entrepreneuriat. J’ai d’abord aidé mon mari, Florent Daversin, sur un projet, une sorte de premier essai. Quelques mois plus tard, je l’ai rejoint dans l’aventure de VO2 GROUP, au moment de sa création. Étant donné qu’il vient du monde du CRM (ndlr : il était un consultant en informatique), j’ai pu lui apporter un certain regard sur la manière de se développer. J’ai joué ce rôle un peu structurant alors que lui, était davantage au contact des clients et du marché.

Quelles ont été les étapes de développement de VO2 GROUP ?

Mon mari détenait, dès le départ, un bon réseau de freelances, grâce à son métier en tant que consultant indépendant. Il souhaitait le développer afin de monter sa propre structure, avec seulement une dizaine de consultants. À ce moment-là, je lui ai proposé de l’accompagner et de travailler son réseau de proximité, là où nos concurrents détenaient, sans doute, une approche plus commerciale. Structurer ce petit réseau nous a permis d’intégrer plusieurs grands comptes, pour nous élargir progressivement par la suite. Après cela, nous avons commencé à recruter sur la demande de nos clients, puisque le marché indépendant à tendance à faire un peu peur. Nous avons ensuite poursuivi notre développement de façon plus classique en structurant commercialement l’entreprise. Pour l’anecdote, nous avons dû revoir le site car certains pensaient qu’il s’agissait d’une boîte de sport à cause de l’indicateur de performances, VO2. Depuis 2015, nous détenons une première filiale étrangère, implantée au Canada. L’approche s’avère différente de la précédente, qui était 100 % axée sur le réseau. De plus en plus d’entreprises procèdent comme nous l’avons fait étant donné qu’il y a davantage d’indépendants.

Vous n’avez donc pas eu besoin de lever des fonds ?

Non, cela n’était pas nécessaire au moment de la création de l’entreprise. Florent continuait à effectuer des missions auprès de nos clients pendant six mois/un an, ce qui fait que nous n’avions aucun besoin de financements extérieurs. Cela a très bien marché tout de suite. L’intérêt de disposer de grands comptes demeure qu’il s’agit de missions pour le long terme, solides et fiables. Et puis, nous avons commencé dans notre salon, au sens littéral du terme. J’ai conservé les photos des premières soirées que nous avions réalisées avec notre réseau de consultants indépendants ! Nous n’avons jamais pris de bureaux avant d’en avoir réellement besoin. En revanche, nous avons fait le choix, dès le début, d’investir dans des bureaux comme placement immobilier, pour ne pas avoir à payer la location par la suite et pouvoir les louer si besoin. Au final, nous nous sommes toujours débrouillés pour rester complètement autonomes.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans le choix de ce modèle ?

La première difficulté demeure de sortir des modèles classiques. Nous ne faisons pas partie de ceux issus de métiers créatifs avec un directeur artistique et quelques freelances. D’emblée, nous étions face à de sérieux concurrents, qui disposaient d’importantes équipes et collaborateurs, majoritairement en CDI. Le fait que nous travaillions exclusivement avec des indépendants avait pour incidence que les gens ne comprenaient pas bien notre business model. Personne ne croyait en la capacité de VO2 GROUP à se développer comme nous l’avons réalisé. Il y avait également le fait que nous travaillons « en famille ». Mon mari n’avait pas d’associé classique avec des études équivalentes ou un profil plus technique. Sur le marché, la norme reste deux ou trois partenaires, sortis de grandes écoles. Nous ne représentions pas le profil type de créateurs donc il a fallu s’imposer.

Et au niveau structurel ?

Notre culture freelance engage certaines particularités liées à l’organisation. Lorsque nous avons commencé à recruter des salariés, il nous a fallu structurer une équipe. Généralement, les gens font l’inverse : ils détiennent des salariés et découvrent l’univers freelance. En ce qui nous concerne, les salariés que nous recrutons doivent faire preuve d’un esprit très freelance, c’est-à-dire qu’ils doivent se montrer autonomes et détenir l’envie de se dépasser. Cela constitue notre « baseline » (ndlr : ligne de conduite). Chacun vient avec ses ambitions, une envie de les défendre et d’aller au-delà de celles-ci. Nous avons tenu à garder ce mix entre indépendants et collaborateurs, et ne faisons pas de différence, ce qui, selon moi, fait le succès de la boîte. Quand nous organisons des évènements, les indépendants comme les salariés, sont réunis. Une culture qui s’avère pourtant très loin des standards actuels dans le métier.

Justement, quelle est votre vision du marché ?

Aujourd’hui, personne n’est capable de dire exactement comment sera le marché demain. De grands sujets comme le Big Data, les réseaux sociaux, le digital, avancent. Mais il ne faut pas oublier que, derrière cela, il y a toute une transformation qui doit s’opérer au sein des entreprises, ce qui prend énormément de temps. Le temps du journalisme, des consommateurs, n’est pas celui de la structuration des entreprises. Cela fait maintenant quatre ans que nous allons au salon du Big Data. Nous étions les premiers. Aujourd’hui, on commence à peine à voir émerger des projets. Il s’agit de la partie immergée de l’iceberg. Je ne parle pas de la publicité sur les réseaux sociaux, qui constitue encore autre chose. Selon moi, il reste de très belles perspectives pour l’univers du digital, mais il faut d’abord tout faire matcher, ce qui nécessite un savoir-faire spécifique.

Récemment, vous avez créé, seule, Feminalink. Pouvez-vous nous en dire plus ?

À l’époque, je me trouvais dans un milieu très masculin, et j’ai ressenti la difficulté d’avoir une carrière au féminin. Cela passe par des collaborateurs qui ne comprennent pas toujours votre place, votre rôle… Je suis quand même restée très longtemps simplement la femme du boss. J’ai alors décidé de me rapprocher d’un certain nombre de réseaux professionnels, et j’ai constaté qu’un réel enjeu existe pour les femmes. Elles sont confrontées à de nombreux challenges, quels que soient leur âge ou leur profession. Certes, il y a LinkedIn, mais cette plateforme n’est pas forcément la plus adaptée pour une femme issue du monde professionnel, qui souhaite rester 100 % authentique. L’idée principale demeure de démocratiser ce statut de femmes entrepreneures au même titre que celui des cadres en créant le premier média social professionnel pour les femmes. Voilà pourquoi j’ai eu l’idée de créer un réseau digital ambitieux avec des corporates, des recruteurs, des profils professionnels féminins et surtout des outils premiums. Je disposais déjà des équipes pour le développer. Nous sommes d’ailleurs incubés dans les locaux de VO2 GROUP.

Ne pensez-vous pas que les femmes influentes détiennent déjà leur propre réseau ?

Il est vrai qu’une femme influente dispose déjà de son réseau et n’a pas nécessairement besoin de cette solution. En ce sens, nous ne visons qu’une petite tranche de la population. L’approche n’est pas globale, mais s’avère très segmentée. Je pars du principe que les personnes qui vous inspirent au quotidien sont celles qui font partie de vos cercles de proximité. En règle générale, les femmes savent le faire dans le secteur privé mais pas dans celui professionnel, ce qui est vraiment dommage. Je pense qu’il reste nécessaire de recréer un lien avec l’ensemble du marché féminin. Après, du côté des difficultés, cela constitue un réel défi que d’expliquer ce positionnement à trois ou quatre millions de femmes, face à tous les autres réseaux professionnels déjà présents sur le marché. À l’heure actuelle, aucun investissement de ce type, aussi lourd, ne s’effectue. Il est question d’un véritable projet tech’ avec d’importantes ambitions. On ne trouve pas d’équivalent sur le marché.

Sur le plan personnel, j’imagine que vous avez dû faire des sacrifices… Lesquels ?

J’ai des amies entrepreneures qui présentent des difficultés à trouver une nounou… Pour moi, cela demeure non négociable. Mon mari et moi, avons rapidement eu quelqu’un qui venait faire les repas à la maison. J’ai la chance de ne pas aimer faire à manger (rire), même si cela constitue un moment agréable à passer en famille. Certains investissements rattachés à la vie personnelle demeurent tout aussi importants que ceux professionnels. Quand on est entrepreneur, investir pour pallier certaines contraintes de nature personnelle aide énormément. J’ai deux petites filles et suis tombée enceinte du troisième pendant la période où je créais Feminalink. La surprise en pleine création de boîte ! L’un de mes premiers investissements a été de prévoir quelqu’un pour se lever la nuit durant les semaines qui suivirent l’accouchement. Le sommeil, c’est aussi non négociable. Autrement, on n’y arrive pas. Je ne suis pas non plus pour le télétravail car il reste difficile d’expliquer à ses enfants qu’on est là mais qu’on n’est pas disponible. L’entrepreneuriat confère néanmoins certaines libertés. Les horaires peuvent plus facilement être aménagés et il est possible de partir en plein milieu de la journée faire une activité avec ses enfants comme du poney. Je prends également le temps de marcher une heure par jour et on a fait construire une douche au bureau.

4 Conseils D’Emilie Daversin

  • Ne pas se tromper sur ses investissements. Certains ne sont pas nécessaires alors que d’autres s’avèrent très importants. Il s’agit de préserver son équilibre pro/perso.
  • Rester proche de ses équipes. La tentation est souvent grande de se mettre en retrait, surtout quand on est en open space. Il faut garder un peu de temps pour soi mais ne jamais exclure les équipes.
  • être prêt à faire un autre métier que celui de départ. Il faut savoir s’adapter et être prêt à lâcher si quelqu’un se révèle meilleur que soit ou si on éprouve plus de plaisir à faire ce qu’on fait.
  • Ne pas avoir peur de laisser partir les gens. Accepter de voir partir certains collaborateurs afin qu’ils gardent une bonne image de l’entreprise fait partie de la croissance. Si on ne l’accepte pas, cela peut provoquer des situations douloureuses.

« Beaucoup rêveraient d’avoir le début de carrière que j’ai eu. Mais moi, je rêvais d’entrepreneuriat. »

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