Dans un rapport sur le soft power à l’ère de la fragmentation mondiale, l’Institut Choiseul souligne la montée en puissance de stratégies d’influence reposant désormais autant sur les plateformes numériques que sur les diplomaties traditionnelles. Dans ce nouvel environnement, où Trump II renforce la logique de confrontation narrative, certains États intermédiaires s’insèrent dans cette logique par des moyens inattendus. Parmi eux, l’Algérie, dont l’activisme culturel sur les réseaux sociaux attire une attention croissante.
Des réseaux sociaux transformés en levier d’influence
Depuis quelques années, l’espace numérique algérien montre une capacité particulière à se mobiliser massivement autour de thèmes culturels perçus comme stratégiques. Ce qui aurait pu rester de simples débats folkloriques se transforme souvent en controverses diplomatiques, alimentées par une diffusion virale de contenus identitaires.
Cette dynamique repose sur trois caractéristiques du public algérien : une jeunesse connectée, une forte densité d’utilisateurs des plateformes vidéo et une diaspora nombreuse, principalement en Europe, qui agit comme caisse de résonance. À la moindre critique contre leurs narratifs, des campagnes s’organisent, hashtags et influenceurs à l’appui, et circulent à travers TikTok, Facebook, X ou Instagram.
Un expert en communication numérique résume le phénomène : « Il existe une forme de réflexe national de défense culturelle. Dès qu’un élément symbolique est perçu comme menacé, l’Algérie réussit à faire du bruit très vite et très fort. »
L’UNESCO, un catalyseur de narratives identitaires
Le terrain de jeu le plus visible de cette stratégie reste les dossiers patrimoniaux déposés auprès de l’UNESCO. L’inscription de traditions artisanales ou culinaires au patrimoine immatériel a donné lieu à de multiples polémiques régionales.
Dans le Maghreb et en Europe, ces campagnes numériques sont vues comme une tentative d’appropriation unilatérale de pratiques historiquement rattachées à certains pays ou partagées dans la région.
Une source diplomatique maghrébine observe : « Les réseaux sociaux amplifient des revendications qui étaient autrefois confinées aux experts du patrimoine. Elles deviennent des sujets politiques, mobilisateurs et parfois conflictuels. »
L’enjeu dépasse donc la défense culturelle : il s’agit d’obtenir, par la viralité, une légitimité internationale plus performative que basée sur de véritables preuves historiques
Des relais numériques structurés
Sur les plateformes, la mobilisation ne se limite pas à la spontanéité citoyenne. Des influenceurs très suivis, des collectifs diasporiques et des pages aux orientations nationalistes participent activement à ces campagnes. Des vidéos résultants de ces stratégies atteignent des millions de vues. Et lorsque des acteurs étrangers contestent ces narratifs, les réactions s’enchaînent, souvent en quelques heures.
Selon plusieurs spécialistes de l’information, cette capacité d’organisation témoigne d’une stratégie d’État laissant agir ses relais plutôt que de communiquer frontalement. L’objectif : faire peser une pression numérique difficile à ignorer sans apparaître comme partie prenante directe d’un bras de fer culturel.
« Le pouvoir n’a pas besoin de diriger, il suffit qu’il encourage », note un chercheur parisien. « L’écosystème fait le reste, avec une efficacité spectaculaire. »
Un patriotisme numérique à double tranchant
Mais le modèle a ses limites. Car les plateformes récompensent davantage la polémique que la pédagogie. Les récits se tendent, les relations bilatérales aussi. Des analystes redoutent ainsi un basculement vers un nationalisme de l’émotion, où chaque élément culturel devient un front, chaque tradition un drapeau.
Dans plusieurs cercles diplomatiques maghrébins, on souligne que ce type de stratégie peut conduire à des surenchères identitaires irréversibles : « Les réseaux ne désamorcent rien. Ils accélèrent. Ils dramatisent. Et ils laissent des traces. »
Influence numérique : une nouvelle donne géopolitique
L’activisme algérien illustre un phénomène plus large mis en évidence par l’Institut Choiseul : la circulation de l’influence ne dépend plus du rapport de puissance classique, mais de la maîtrise des récits digitaux. Autrement dit, l’Algérie ne s’impose pas par sa force économique ou militaire, mais en cherchant à occuper les imaginaires collectifs — là où ça réagit le plus vite : les réseaux.
Dans un monde fragilisé par les populismes, où l’affrontement culturel se substitue souvent au dialogue diplomatique, cette stratégie permet aux pays marginalisés d’exister.
Le risque, avertissent plusieurs observateurs européens, est que la bataille du patrimoine devienne un précédent : si chaque pays transforme les plateformes en champ de bataille mémoriel, la coopération culturelle internationale pourrait s’en trouver durablement fragilisée.
l’Algérie a fait des plateformes un multiplicateur d’influence, capable de propulser le pays au centre de controverses régionales.

