Pour la plupart des salariés, un jour férié est une parenthèse bienvenue. Pour les entrepreneurs, c’est souvent une question de choix ou plutôt de dilemme. Travailler les jours fériés pour ne pas perdre le rythme ou lever le pied au risque de laisser passer une opportunité ? En 2025, dans un monde où l’hyper-connexion est devenue la norme, cette tension entre liberté et contrainte résume à elle seule la condition entrepreneuriale.
1/ Quand les jours fériés deviennent des journées “off/on”
D’après une étude de l’Insee publiée au printemps 2024, près de 65 % des dirigeants de PME et d’indépendants français affirment travailler au moins un jour férié par an. Chez les créateurs d’entreprise et dirigeants de start-up, cette proportion grimpe à près de 80 %.
La raison est simple : la plupart ne peuvent se permettre de couper complètement. Entre la gestion des commandes, la relation client et le suivi des paiements, les impératifs du quotidien ne s’interrompent jamais vraiment.
Pour certains, ces jours sont une opportunité de recul. Pour d’autres, c’est une journée de travail comme les autres, mais vécue en solitaire, loin du rythme collectif.
2/ Le télétravail, allié ou piège ?
Avec la généralisation du numérique, la frontière entre travail et repos s’estompe encore davantage. D’après le baromètre Bpifrance Le Lab 2025, 72 % des dirigeants estiment que la digitalisation leur apporte une plus grande flexibilité dans la gestion de leur temps mais près d’un sur deux reconnaît avoir du mal à décrocher pendant les jours fériés.
Le télétravail, censé offrir plus de liberté, brouille les repères. Un ordinateur ouvert “juste pour vérifier un mail” se transforme souvent en plusieurs heures de gestion administrative. Selon une étude du Laboratoire de Psychologie du Travail du CNAM (2024), 38 % des entrepreneurs en activité depuis plus de trois ans déclarent ne plus distinguer clairement leurs temps de repos, contre 22 % avant la crise sanitaire.
Cette porosité constante finit par peser. Le risque n’est pas tant l’excès ponctuel, mais la répétition silencieuse. L’Observatoire de la Santé et du Bien-Être au Travail (OSBET) note que les dirigeants qui travaillent régulièrement les jours fériés présentent un taux de fatigue chronique supérieur de 27 % à la moyenne des actifs.
3/ Un jour férié, parfois une aubaine commerciale
Pour d’autres, le jour férié est loin d’être synonyme de pause. Dans la restauration, le commerce ou le tourisme, il devient même une opportunité à ne pas manquer.
Selon une étude Kantar 2025, 45 % des consommateurs français effectuent des achats pendant les jours fériés, notamment en ligne. Dans le e-commerce, ces dates représentent en moyenne +12 % de volume de ventes par rapport à un jour ordinaire. Résultat : nombre de dirigeants restent connectés, pilotant promotions et campagnes publicitaires depuis leur smartphone.
Mais ce surcroît d’activité s’accompagne souvent d’une pression accrue. Le secteur du commerce de détail, déjà soumis à une forte saisonnalité, enregistre une hausse de 15 % des burn-out déclarés chez les dirigeants depuis 2022, selon le baromètre Malakoff Humanis 2025. Le besoin de performance, amplifié par les réseaux sociaux et les outils de suivi en temps réel, rend la déconnexion plus difficile que jamais.
4/ Vers une nouvelle culture du temps entrepreneurial
Pourtant, un changement discret s’opère. De plus en plus d’entrepreneurs cherchent à réinventer leur rapport au temps. Les nouvelles générations, notamment celles issues des start-up de la “Gen Z business”, n’associent plus repos et culpabilité.
Une enquête menée par France Digitale et Deloitte en 2025 révèle que 58 % des jeunes dirigeants intègrent désormais des périodes de repos planifiées dans leur agenda professionnel, y compris les jours fériés, considérées comme “moments de recharge stratégique”.
Certaines entreprises vont plus loin : des cabinets de conseil, des artisans et même des restaurateurs adoptent une politique de “repos tournant” les jours fériés, permettant à chacun de souffler sans impacter la production. Ces initiatives, encore marginales, pourraient bien annoncer une nouvelle culture entrepreneuriale, centrée sur la durabilité humaine autant qu’économique.
5/ Trouver son rythme : une question d’équilibre, pas de performance
En 2025, la réussite ne se mesure plus seulement à la productivité. La performance durable passe aussi par la capacité à s’arrêter.
Des chercheurs de l’Université Paris-Dauphine, dans une étude parue en mai 2025, soulignent que les dirigeants prenant régulièrement des jours de repos complets voient leur créativité et leur satisfaction professionnelle augmenter de près de 20 % en moyenne. Le repos, loin d’être une faiblesse, devient un levier stratégique.
Les jours fériés cristallisent cette tension entre ambition et respiration. Ils sont à la fois un symbole de liberté et un révélateur des limites du modèle entrepreneurial français : une économie qui valorise la passion du travail, parfois au détriment du bien-être.
Mais au fil des crises, beaucoup ont compris que tenir dans la durée exige une autre forme de discipline : celle d’apprendre à lever le pied.
En définitive, pour les entrepreneurs de 2025, le vrai luxe n’est plus de travailler sans relâche, mais de savoir quand s’arrêter.
Et si, au fond, profiter d’un jour férié devenait le signe le plus moderne et le plus durable de la réussite ?

