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Entrepreneur

Lhyfe entre en Bourse sur le marché d’Euronext avec une levée de fonds de 118 millions d’euros

Matthieu Guesné, fondateur et Président Directeur-général, Lhyfe

Interview de Matthieu Guesné, fondateur et Président Directeur-général, Lhyfe.

Comment vous est venue l’idée de Lhyfe ?

J’ai travaillé pendant longtemps dans la recherche. J’ai dirigé trois centres de recherche au sein du Commissariat à l’énergie atomique. Il y en a deux à Nantes et un à Quimper. L’équipe la plus importante était dans le stockage des énergies renouvelables par l’hydrogène et les batteries.

Je connaissais très bien les deux domaines et j’y ai découvert que de nombreuses sociétés allaient lancer dans les 3 à 5 ans des véhicules à hydrogène, que ce soit des bus, des bateaux ou encore des voitures. A l’occasion de nos travaux de recherche, j’ai compris qu’il était impossible d’acheter de l’hydrogène vert et renouvelable à un coût raisonnable.

Nous pouvions simplement acheter l’hydrogène fossile et nous décalions juste le problème du pot d’échappement à la production d’hydrogène si nous nous basions sur le fossile. Je me suis dit qu’il fallait absolument résoudre cet enjeu et c’est pour cela que j’ai créé Lhyfe pour y répondre et rendre l’hydrogène disponible partout en Europe, de façon écologique et économique.

Quelles ont été les différentes étapes jusqu’à la création de l’entreprise ?

J’ai lancé la société en 2017, avec 7 associés rencontrés notamment dans le cadre de mon parcours professionnel et de mes études. Nous avons développé le concept, le projet et trouvé le premier site. Nous avons financé ce site à l’aide d’une première levée de fonds de 8 millions d’euros et avons commencé à recruter massivement à partir de 2019. Nous avons ensuite connu une croissance exponentielle du fait des programmes hydrogènes allemands, européens puis français, italiens, portugais… Depuis ce temps-là, nous nous sommes développés un développement exponentiel. Nous sommes implantés maintenant dans dans 11 pays. Pour des raisons techniques, nous implantons nos premiers sites à terre mais notre prototype de production en mer nous permet de continuer à poursuivre cet objectif initial !

Est ce qu’il y a eu des modifications par rapport au concept depuis le début ?

Au début, nous avons travaillé d’abord sur la production d’hydrogène renouvelable en mer. Parce que l’idée initiale et ce qui est toujours notre objectif, c’est de produire de l’hydrogène en mer. Là-bas, l’énergie renouvelable et notamment les énergies éoliennes, qu’elles soient posées ou flottantes, foisonnent beaucoup plus que sur la terre et de plus il n’y a pas de problème de place. Nous avons la ressource en eau et notre objectif, c’est aussi d’oxygéner les océans. Nous avons effectué des travaux avec des collaborateurs de notre entreprise qui bossent à l’Outre-mer, qui travaillent sur cette oxygénation des océans afin de corriger les effets néfastes de la pollution.

Quelles ont été les grandes étapes jusqu’à aujourd’hui ?

Aujourd’hui, nous avons un portefeuille commercial représentant une capacité totale de production installée de 9,8 GW à travers l’Europe. C’est assez pharaonique ! Nous avons fait le premier projet, à terre, en Vendée. Pour la première usine que nous avons conçue, nous avons sécurisé le terrain, nous l’avons financée, construite. Nous avons aussi trouvé des clients pour tout cet hydrogène. En parallèle, nous avons développé des équipes internationales pour dupliquer ce projet partout en Europe sur la base du savoir-faire que nous avions acquis.

Nous sommes arrivés à montrer que c’était possible aujourd’hui de faire de l’hydrogène à prix compétitif et de gagner de l’argent, car il faut que ce soit rentable, tout en créant de l’emploi et en étant heureux de le faire. Nous avons ouvert tout de suite en 2020 une filiale en Allemagne. Et puis maintenant nous sommes implantés dans onze pays en Europe, des pays scandinaves jusqu’à l’Espagne. Nous sommes entrés en Bourse sur le marché d’Euronext en mai, à travers une levée de fonds de 118 millions d’euros, ce qui a permis l’entrée d’investisseurs institutionnels à notre capital mais aussi de milliers d’investisseurs individuels. Nous avons inauguré en septembre la première plateforme-pilote de production d’hydrogène en mer au monde.

Pour la première fois, une usine flottante alimentée en électricité par une éolienne flottante, produira de l’hydrogène en mer. Cette plateforme d’une puissance d’1 MW va produire jusqu’à 400 kg d’hydrogène renouvelable par jour. Mais les projets sur lesquels nous travaillons, seront – à terme – 100 fois plus puissants. A un horizon 2030-2035, l’offshore pourrait représenter une capacité installée additionnelle d’une puissance de l’ordre de 3 GW pour Lhyfe.

Je suppose que vous avez dû lever des fonds avant d’entrer en Bourse ?

Alors, initialement, nous avons levé des fonds en equity, quasi-equity. Ensuite, nous avons eu de la dette, des subventions, des avances remboursables. L’année dernière, nous avons fait un tour de financement en obligations convertibles. Parmi ces obligations convertibles, une bonne partie sont convertibles en actions, avec des grands noms comme la Banque des Territoires et SWEN Capital Partners, qui opère des fonds mutuels, avec Andera Partners, et puis avec Mitsui. Ce sont des investisseurs qui sont venus en pré-IPO pour soutenir le développement et l’introduction en bourse de la société. Au global : nous avons levé de l’ordre de 184 M€ depuis 2019.

Avant d’ouvrir votre usine, il s’est passé quoi ?

En 2017, j’ai lancé le projet. En 2018, nous avons trouvé le premier site pour construire notre première usine en Vendée. Nous nous sommes très vite entendu avec Alain Leboeuf qui était à l’époque le président du Syndicat de l’énergie de la Vendée. Maintenant, il est président de la Vendée. Avec lui, en 2018 nous avons trouvé le premier site où nous avions la disponibilité d’eau de mer pour alimenter notre électrolyseur, l’électricité renouvelable et le foncier. En 2019, nous avons démarré la conception détaillée, la sécurisation du terrain.

Le projet Lhyfe a été officiellement annoncé en même temps que notre première levée de fonds, en janvier 2020. En septembre de la même année, nous avons posé la première pierre du site, nous l’avons inauguré 1 an après, en septembre 2021. En décembre, soit 4 mois après, la Ville de La Roche-sur-Yon a inauguré sa station multi-énergies, et son bus à hydrogène a pu commencer à transporter des voyageurs avec de l’hydrogène renouvelable produit à quelques dizaines de kilomètres, à partir d’eau et de vent. C’est un site opérationnel qui a produit ses premiers kilos d’hydrogène au 4ème semestre 2021.

Quels vont être les défis à venir ?

Les défis à venir vont être de dupliquer cela partout en mettant en exergue que l’hydrogène n’est pas une énergie de demain, c’est l’énergie d’aujourd’hui. Tout le monde dit que l’hydrogène vert n’est pas compétitif comparé à l’hydrogène gris, d’origine fossile, et nous nous démontrons qu’il l’est dès aujourd’hui. Notre enjeu, c’est un enjeu d’évangélisation autour de l’hydrogène vert renouvelable qui est aujourd’hui, à la pompe, en Vendée, moins cher qu’un plein de diesel. C’est moins cher pour la mobilité et c’est aussi compétitif pour l’industrie.

Je suppose que vous allez attaquer d’autres pays ?

Nous avons des projets en Finlande, en Suède, en Norvège, au Danemark, à Bénélux, aux Pays-Bas, également en Allemagne, Suisse, France, Italie, Espagne, Portugal…

Quelles ont été les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées jusqu’à présent et comment les avez-vous surmontées ?

Nous avons rencontré des difficultés techniques puisqu’aujourd’hui nous produisons de l’hydrogène vert renouvelable et que nous sommes les premiers au monde à arriver à connecter un électrolyseur de taille industrielle à un parc éolien. Je ne parle pas d’un démonstrateur de RD. Nous nous sommes dotés de la dream team en termes d’ingénieurs qui ont réussi à surmonter tous ces problèmes technos, nous avons donc un savoir-faire, une propriété industrielle, une propriété intellectuelle qui est liée à la gestion de l’intermittence des énergies renouvelables.

Nous savons le réaliser à un prix très compétitif et nous avons su développer nos softwares et nos hardwares pour tout gérer et le faire de façon extrêmement efficace. En 2022, nous avons réédité l’expérience de la 1ère mondiale avec Sealhyfe, notre pilote de production d’hydrogène en mer. Personne n’avait jamais produit d’hydrogène en mer, dans les conditions difficiles de l’offshore, en autonomie… Et puis au début, il n’y avait pas de plan hydrogène, nous avons vraiment dû évangéliser les gens sur ce qu’était l’hydrogène. Maintenant, nous voyons que dans les sondages, un tiers des Français sait exactement ce que c’est que l’hydrogène. Mais à l’époque, ce n’était pas du tout le cas. Nous avons dû beaucoup expliquer le rôle et l’intérêt de l’hydrogène.

Vous allez avoir pas mal de nouvelles implantations ?

Aujourd’hui, nous avons des bureaux dans 11 pays d’Europe. Nous avons ouvert des filiales en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, en Suède, en Espagne et Royaume-Uni, et nous avons des bureaux en Belgique, Finlande, Norvège et au Portugal.

Le nombre de collaborateurs a dû rapidement croître. Vous êtes combien aujourd’hui ?
Nous étions 130 à mi-septembre et nous continuons de recruter. Nous avons doublé les effectifs tous les six mois au cours des 2 premières années donc effectivement, cela va vite ! Les partenariats que nous lions, comme celui signé avec l’investisseur japonais, Mistui, qui est le deuxième plus gros conglomérat qui est extrêmement bien cortiqué et gréé pour l’export, nous aide à nous développer et nous emmener un peu plus loin que l’Europe. Nous avons dès le début identifié ce challenge RH. Ce qu’il faut, c’est le savoir, et nous nous gréons et nous nous challengeons pour cet enjeu.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis que vous avez entrepris ?

Ce qui m’a le plus surpris, c’est que nous n’avons pas tellement de problèmes de ressources. Il y a en Europe une très grande prépondérance des politiques gouvernementales qui ont une forte influence sur les orientations alors qu’aux US c’est un peu différent. C’est plutôt les entrepreneurs. Là où j’ai été agréablement surpris, c’est que nous sommes capables de faire des histoires californiennes en France.

Nous sommes capables de doubler les effectifs, de lever des fonds de façon extrêmement conséquente. Quand vous regardez les fonds que nous avons levés aussi bien les fonds d’amorçage à 8 millions d’euros que les dizaines de millions que nous avons levés l’année dernière, c’est vraiment des levées de fonds de type US. Nous sommes capables de faire cela en Europe. Les gens sont prêts, les gens en veulent. Et moi, quand j’étais tout jeune ingénieur, quand je suis sorti de l’école en 2006, tout le monde voulait aller chez Orange, EDF et Total. Aujourd’hui, tout le monde veut bosser en start-up donc c’est hyper chouette de ne pas avoir de problèmes de recrutement et d’avoir des gens qui se conscientisent et qui veulent autre chose.

Est-ce que cela est facile de construire votre dream-team ?

C’est un enjeu du quotidien que mon associée Nolwenn Belléguic, en charge des RH, a géré avec brio. Nous avons réussi les deux premières années à ne perdre personne. Nous avons gardé tout le monde alors que, comme pour toute création de société, il y a eu des hauts et des bas. Cela a l’air facile à dire quand on est en interview et a posteriori, mais cela exige beaucoup d’énergie, beaucoup de travail ici et il a fallu se retrousser les manches en permanence. Et maintenant que nous rayonnons, nous arrivons à attirer les talents. Désormais, il faut arriver à fidéliser puis à continuer à croître tout en gardant notre âme.

Un point particulier que vous souhaitez aborder ?

Si nous voulons remplacer le gaz et le pétrole, il va nous falloir beaucoup d’hydrogène et donc beaucoup d’électricité ! De notre côté, en nous appuyant sur notre portefeuille commercial, nous avons pour ambition de disposer de plus de 3 GW d’hydrogène vert et renouvelable à horizon 2030, rien qu’à terre. mais nous ambitionnons aussi d’installer 3 GW additionnels en mer d’ici 2030 – 2035. Pourquoi ? Parce que les éoliennes offshore sont 3 fois plus grandes qu’à terre et qu’il y a beaucoup plus de vent, donc elles produisent deux fois plus d’énergie. Vous avez un rapport six par rapport à une production à terre. En plus, transporter du gaz, c’est beaucoup plus facile que transporter de l’électricité, donc on peut aussi les installer plus loin des côtes, pour une meilleure acceptabilité. Enfin, l’hydrogène est aussi beaucoup plus facile à stocker que l’électricité.

Pour moi, si nous voulons que l’hydrogène soit rentable, il faut développer, comme l’Allemagne le fait, comme le Danemark le fait, comme les Pays-Bas le font, comme l’Écosse le fait également, la production d’hydrogène en mer. C’est vraiment le sujet que nous portons en France. C’est crucial pour nous d’avoir une trajectoire pour produire une très grande quantité d’hydrogène. L’hydrogène vert et renouvelable, c’est le nouveau carburant vert donc il faut le produire comme on le faisait avec l’ancien carburant sur des plateformes en mer. 

« Nous sommes capables de faire des histoires californiennes en France. Nous sommes capables de doubler les effectifs, de lever des fonds de façon extrêmement conséquente. »

3 Conseils de Matthieu Guesné

  • L’Énergie que vous mettez dans la bataille, c’est la clé.
  • Structurez votre société en pensant à demain.
  • Entourez-vous de talents. 

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