Parfois, les chiffres ne disent pas tout. Il y a aussi ce qu’on voit, entend et ressent sur le terrain : un incubateur où seules deux femmes pitchent, une réunion où une fondatrice doit encore prouver sa légitimité, un café où des entrepreneures parlent autant financement que regard porté sur elles. En France, l’entrepreneuriat avance, mais l’égalité femmes-hommes suit un rythme plus lent.
1/ Un paysage qui change, mais pas assez vite
Commençons par les faits. Selon l’Insee, 43 % des nouvelles entreprises sont créées par des femmes, un chiffre en hausse constante depuis dix ans. Sur le papier, l’écart se réduit.
Mais dès qu’on s’éloigne de la simple création d’entreprise, les inégalités réapparaissent :
- Seulement 30 % des entreprises employeuses sont dirigées par des femmes.
- Dans les start-up innovantes, la proportion chute : moins d’1 fondatrice sur 5.
- Et dans les levées de fonds, le déséquilibre est spectaculaire : 88 % des capitaux levés en France vont à des équipes fondées exclusivement par des hommes (étude Sista / BCG, 2023).
Les femmes entreprennent, oui. Mais accéder aux mêmes moyens que leurs homologues masculins reste une autre histoire.
2/ L’écart qui se joue dès la première rencontre
Il y a ce détail que beaucoup de femmes entrepreneures racontent, parfois avec humour, parfois avec lassitude : lors des rendez-vous avec des investisseurs ou des banques, les questions ne portent pas toujours sur la même chose.
Aux hommes, on demande souvent : « Comment allez-vous faire croître votre entreprise ? »
Aux femmes, on demande parfois encore : « Êtes-vous sûre d’avoir le temps ? » ou « Votre projet est-il bien sécurisé ? »
Ce ne sont pas des impressions. Une étude menée par la Banque Européenne d’Investissement a montré que les femmes se voient poser davantage de questions orientées vers le risque, alors que les hommes reçoivent des questions orientées vers le potentiel. Le résultat ? Un impact direct sur la confiance… et sur les financements obtenus.
3/ La charge invisible qui complique la route
Derrière les chiffres, il y a la réalité. La plupart des femmes entrepreneures jonglent avec plusieurs vies à la fois : la vie de cheffe d’entreprise, la vie personnelle, familiale, sociale… et cette fameuse charge mentale que les études montrent encore très inégalement répartie.
Selon l’Observatoire de l’Équilibre des Temps, les femmes consacrent en moyenne 1h30 de plus par jour aux tâches domestiques et familiales que les hommes.
Dans un quotidien entrepreneurial, cela se ressent :
- rendez-vous plus difficiles à caler,
- journées plus longues,
- pauses inexistantes,
- nuits plus courtes.
Mais malgré cela, elles avancent. Elles s’organisent autrement, réinventent leur rapport au temps, s’entourent, délèguent, ou apprennent à dire non : des gestes simples qui deviennent des outils de survie.
4/ L’égalité n’avance pas seule : elle se construit
Heureusement, la France n’est plus immobile sur la question. Plusieurs initiatives publiques et privées cherchent à réduire les écarts :
Le fonds “Sista x Bpifrance”
Créé pour augmenter la visibilité et le financement des start-up fondées par des femmes.
Le plan “Entreprendre au féminin” du gouvernement
Qui vise à soutenir les créatrices d’entreprise avec des programmes de formation et d’accompagnement.
Les réseaux dédiés
Comme FCE, Les Premières, Sista, Willa, Bouge Ta Boîte… qui forment, mentorent, connectent, ouvrent des portes. Et ça fonctionne : les entrepreneures accompagnées par un réseau ou un incubateur ont 2 fois plus de chances d’obtenir un financement, selon une étude de l’Observatoire de l’Entrepreneuriat Féminin.
5/ Des trajectoires qui racontent un autre visage de l’économie
Derrière chaque femme entrepreneure, il y a une histoire de courage discret.
- Celle qui a quitté un CDI confortable pour ouvrir un atelier artisanal.
- Celle qui a développé une start-up tech malgré un écosystème encore très masculin.
- Celle qui a monté son entreprise tout en élevant deux enfants, construisant son projet pendant les siestes ou tard le soir.
- Celle qui a subi un refus bancaire, puis un deuxième, puis un troisième… avant de décrocher enfin un soutien grâce à un réseau de femmes.
Leur point commun ?
- Elles avancent.
- Elles prennent la parole.
- Elles s’imposent sans s’excuser.
6/ L’égalité n’est pas encore acquise mais elle est en marche
L’entrepreneuriat féminin en France progresse, mais l’égalité reste un horizon plutôt qu’une réalité. Les chiffres s’améliorent, les mentalités bougent, les réseaux se multiplient.
Et surtout : les femmes ne demandent plus la permission d’exister économiquement.
Elles prennent leur place, même quand elle n’était pas prévue pour elles.
L’égalité hommes-femmes dans l’entrepreneuriat se construit, pas à pas, à coups d’audace, de solidarité, de détermination.
Et si la route est encore longue, une certitude s’impose : l’avenir de l’entrepreneuriat français se fera avec elles, pas à leur place.

