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100 000 entrepreneurs : le défi de sensibiliser les jeunes à l’entrepreneuriat

Interview de Philippe Hayat : « Beaucoup de jeunes pensent qu’il faut obligatoirement être riche pour pouvoir créer son entreprise. Ils se donnent ainsi une « bonne raison » pour ne jamais avoir à se lancer »

Quel est le parcours professionnel qui vous a conduit à créer 100 000 entrepreneurs ?

Dès 1993, j’ai créé et repris des entreprises que j’ai ensuite développées et revendues. Trois aventures entrepreneuriales dans trois secteurs très différents : l’industrie, les technologies et les services. Parallèlement à mon parcours d’entrepreneurs, j’ai travaillé en tant que professeur en création d’entreprise à l’ESSEC puis à Sciences Po. J’ai toujours été attaché à la notion de transmission de l’expérience professionnelle et cette aspiration s’est concrétisée avec la fondation de l’association à but non lucratif 100 000 Entrepreneurs, dont la vocation est de transmettre l’esprit d’entreprendre aux jeunes de 13 à 25 ans.

Pourquoi cette envie de transmettre ?

Je crois que la transmission de l’expérience fait partie des rôles de l’entrepreneur. L’entrepreneur travaille pour lui-même, pour son entreprise, pour ses salariés et gagne de l’argent. Mais il y a un moment où cela ne suffit plus et où l’entrepreneur doit avoir un rôle citoyen.

Tous les entrepreneurs ont-ils la même vision que vous ?

Les entrepreneurs, qui sont au cœur de leur activité, n’ont en général pas le temps de se consacrer à autre chose qu’à leur entreprise. Mais nous avons tout de même 1500 entrepreneurs, tous en activité, inscrits dans notre base. Ils prennent le temps d’aller parler une demi-journée devant des collégiens ou des lycéens. Je peux vous dire que l’envie de transmettre reste un état d’esprit assez répandu. Il n’y a qu’à voir le nombre d’entrepreneurs qui viennent vers nous chaque année.

Parlez nous de votre association, pourquoi l’avoir nommé « 100 000 Entrepreneurs » ?

Tout simplement parce que notre objectif est de faire 100 000 interventions par an dans des classes de 30 élèves et donc de toucher 3 millions de jeunes chaque année. Pourquoi cela ? Parce qu’il y a 6 millions de jeunes scolarisés entre 13 et 25 ans de la 3e à bac + 5. Si on en touche 3 millions, cela représente la moitié. Je crois que ce n’est qu’en agissant à cette échelle qu’on pourra faire enfin évoluer les mentalités au sujet de l’entrepreneuriat. L’objectif de 100 000 entrepreneurs se place sur le long terme.

Pourquoi avez-vous choisi de vous adresser aux élèves à partir de la 3e ?

C’est en classe de 3e que commencent à se dessiner les premières réflexions sur l’orientation professionnelle. Une option de découverte professionnelle a été mise en place par l’éducation nationale pour ces élèves et il est demandé aux élèves de réaliser un stage de 5 jours en entreprise. La classe de 3e est le meilleur moment pour commencer à stimuler l’intérêt des jeunes à la culture d’entreprendre.

Comment les entrepreneurs sont-ils formés pour intervenir auprès des jeunes ?

Il y a un guide explicatif adapté à chaque niveau (collège, lycée et enseignement supérieur) ainsi qu’une séance de formation destinée à sensibiliser les intervenants sur le message à transmettre aux élèves et la manière de s’adresser à eux, ce qui n’est pas facile.

Quand vous dites à un élève « je fais du logiciel et je suis leader sur mon marché », ils ne comprennent ni logiciel, ni leader, ni marché. Nous avons donc conçu une vraie méthodologie pour parler aux élèves.

Comment réagissent les élèves aux interventions des entrepreneurs ?

Ils sont très attentifs. Au début, ils se demandent ce qu’on fait là. Ils ne connaissent pas vraiment le monde de l’entreprise et encore moins la notion d’entrepreneuriat mais, si on arrive à s’adresser à eux avec leurs mots, qu’on les fait entrer dans notre univers, ils s’intéressent rapidement. On demande à l’entrepreneur d’orienter son intervention vers les questions (De quoi ai-je besoin pour concevoir mes produits ? Où ai-je été chercher l’argent ? Comment ai-je fait pour évaluer le montant de l’argent nécessaire ?…). L’entrepreneur raconte son histoire en interactivité avec les jeunes.

Avez-vous des retours de vos interventions ?

Oui, et ce sont justement ces retours qui nous ont conduits à mettre en place au sein de l’association deux types d’actions supplémentaires. Nous proposons désormais un programme de parrainage entre l’entrepreneur et une classe : pendant l’année scolaire, l’entrepreneur intervient à plusieurs reprises auprès des élèves, les invite à visiter son entreprise et aide les enseignants à leur trouver des stages. Nous avons aussi développé des actions de tutorat pour les élèves de bac à bac +5. Ce programme s’adresse aux élèves porteurs d’un projet entrepreneurial. Un entrepreneur suit l’élève tout au long de l’année et le conseille sur son projet.

Comment financez-vous cette association ?

Au début nous avons été financés par des sponsors (principalement SAP, PPR, SFR) et par la subvention public du Codice, un comité créé par le ministère de l’économie pour permettre la diffusion de l’économie après des jeunes. Nous nous sommes également rendus éligibles afin de pouvoir bénéficier de la taxe d’apprentissage : on peut demander aux entrepreneurs de nous verser une partie de leur taxe d’apprentissage, ce qui nous permet de nous financer d’une façon plus régulière.

Lors de vos cours à Sciences Po, vous répétez à vos élèves : « Ne dites plus : je n’ai pas d’argent donc je ne peux pas entreprendre ». Expliquez nous.

Beaucoup de jeunes pensent qu’il faut obligatoirement être riche pour pouvoir créer son entreprise. Ils se donnent ainsi une « bonne raison » pour ne jamais avoir à se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat !

J’essaie de bien faire comprendre à mes élèves que trouver de l’argent n’est pas un problème si le projet s’avère bon. Il est tout à fait possible de lever des fonds auprès d’actionnaires ou de banquiers. Mes élèves me répondent alors en général que si ce n’est pas d’eux mêmes que viennent les fonds de leur entreprise, ils risquent d’en perdre tout contrôle. Mais il faut savoir qu’on peut très bien aller trouver des fonds à l’extérieur de l’entreprise et en garder entièrement le contrôle opérationnel. Ne pas avoir d’argent ne doit pas être un frein pour ceux qui veulent d’entreprendre.

Pensez-vous qu’il est difficile en France de créer son entreprise ?

Non, je ne crois pas. C’est une idée reçue qu’il faut dépasser.

La masse de documents administratifs ne représente-t-elle pas un obstacle ?

La situation évolue en France et les démarches administratives pour une création d’entreprise se simplifient. Aujourd’hui on peut se rendre aux CFE – Chambre de Commerce pour une entreprise et Chambre des Métiers pour une profession libérale ou artisanale – et s’immatriculer en quelques jours seulement. Il ne faut alors que 10 jours pour recevoir son Kbis. Et si vraiment cet aspect administratif vous rebute, il existe des offices de formalités qui peuvent tout régler cela pour vous à moins de 1 000 euros. Un nouveau statut pour l’auto-entrepreneur vient même d’être voté : si vous débutez votre activité avec un chiffre d’affaire faible, une simple déclaration au CFE reste désormais nécessaire, vous n’avez même pas besoin de vous immatriculer (Ndlr : Loi de modernisation de l’économie du 22 juillet 2008). Démarrer son activité en France est devenue, malgré ce que l’on en dit, assez facile.

Pensez-vous que l’information soit suffisamment claire ?

Il y a beaucoup de sources d’informations disponibles : des sites de références comme ceux de l’APCE ou du Ministère des PME et, bien sur les différentes Chambres de Commerce. Je pense franchement que l’entrepreneur qui s’arrête à la difficulté de s’immatriculer n’est pas fait pour être entrepreneur ! L’immatriculation représente peut être la moindre des difficultés qu’il rencontrera.

5 mots pour définir un bon entrepreneur ?

Je dirais : volontaire, imaginatif, persévérant, vendeur et chef d’équipe. Toutes ces qualités doivent être également soutenues par une bonne dose de bon sens.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur ?

Mon premier conseil est de ne pas se donner de mauvaises raisons pour ne pas se lancer. Je m’explique : on peut entreprendre à n’importe quel âge et dans n’importe quelle condition. Il n’est pas forcément utile d’attendre d’avoir une expérience, un réseau, de l’argent…

Il existe selon moi deux préalables à l’acte d’entreprendre :

  • •Savoir si on a une âme d’entrepreneur et si on a réellement envie de le devenir. Beaucoup de gens se lancent dans un projet de création alors qu’ils ne possèdent pas un esprit d’entrepreneur et beaucoup d’autres n’osent pas se lancer car ils ignorent qu’ils sont par nature de vrais entrepreneurs. Il faut bien se connaître et savoir ce qu’on désire vraiment faire dans la vie avant de créer son entreprise. être entrepreneur n’est pas qu’un choix professionnel, c’est avant tout un choix de vie. Il faut déjà se poser la question de base : Est-ce que j’ai envie de travailler pour moi ou pour les autres ? Il faut être en cohérence avec soi-même.
  • •S’assurer que son idée d’entreprise est bonne. Il faut avoir conscience que les bonnes idées restent rares : environ 99 % des idées peuvent être considérées comme mauvaises. Il faut vraiment prendre le temps d’étudier son projet avant de se lancer, c’est-à-dire qu’il faut confronter son idée au marché, aller interroger des clients, des fournisseurs, des concurrents, réaliser une vraie étude de marché… tout cela pour se rendre compte sur le terrain de la pertinence ou non de l’idée.

Quels sont les pièges à éviter par le futur entrepreneur ?

Je dirais d’abord qu’il ne doit pas avoir peur de parler de son idée et d’interroger beaucoup de monde à ce sujet. Il faut confronter son idée au marché car cela demeure la seule façon de savoir si elle est bonne ou non. Le piège réside dans le fait de rester seul dans son coin avec son idée.

Ensuite, il doit bien faire attention à qui il donne le capital. Le capital de l’entreprise représente la seule décision irréversible pour un entrepreneur : il est crucial d’être très précautionneux avant de donner des parts de capital à quelqu’un. Si on a besoin de lever de l’argent, il faut bien étudier toutes les solutions possibles afin de trouver celles qui ne sont pas trop gourmandes en termes de capital.

Enfin je voudrais ajouter que la clé se trouve dans le fait de bien savoir s’entourer. Lorsque l’on est entrepreneur, il faut accorder l’essentiel de son emploi du temps à vendre, dégager/générer des commandes et animer son équipe. Le reste doit être délégué ou sous traité pour avoir le temps de se concentrer sur les tâches majeures. Je pense, par exemple, qu’il est judicieux de faire le choix d’embaucher une secrétaire car, même si cela coûte un peu d’argent, le temps économisé sera utilisé à promouvoir et vendre son produit, et donc à faire plus de profits.

Quels sont vos futurs projets ?

Je crée actuellement SERANA capital, un fond d’investissement à but lucratif pour aider les entrepreneurs désirant développer des entreprises en leur donnant les moyens financiers nécessaires.

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