De nombreuses entreprises françaises ressentent un malaise discret : malgré des résultats corrects, des délais qui s’allongent, des erreurs répétées et des équipes épuisées trahissent un problème sous-jacent. Ce phénomène a un nom : le manque de compétences.
C’est un sujet sensible, souvent tabou, parfois même invisible. Pourtant, il est devenu l’un des enjeux numéro un des dirigeants. Selon l’Apec, 71 % des entreprises déclarent manquer de compétences clés. Et pour les PME, ce chiffre grimpe à 78 %.
Le problème n’est pas seulement de recruter. Le défi est plus large : détecter les lacunes avant qu’elles ne se transforment en crise. Comprendre ce qui manque, ce qui s’érode, ce qui devrait être renforcé. Et, surtout, agir.
Un phénomène qui s’installe : quand les compétences s’usent en silence
Les compétences ne disparaissent pas du jour au lendemain. Elles se dégradent lentement, au rythme des évolutions technologiques, des départs non remplacés, des changements de process ou des nouveaux marchés.
L’OCDE estime que près de 32 % des compétences actuelles ne seront plus pertinentes d’ici 2030. À l’inverse, des métiers entiers nécessitent désormais des qualifications qui n’existaient pas il y a cinq ans.
Une entreprise peut donc être rentable, performante, reconnue… tout en étant fragilisée de l’intérieur.
Le manque de compétences se manifeste souvent par des signes diffus :
- Un taux d’erreurs qui augmente.
- Des projets qui prennent du retard.
- Des collaborateurs qui se sentent dépassés.
- Des recrutements qui échouent.
- Un manager qui « bouche les trous » en permanence.
- Une dépendance excessive à quelques experts.
Ces signaux faibles sont précieux : ce sont eux qui permettent de détecter ce que l’on appelle une fracture de compétences.
Étape 1 : écouter ce que disent (ou ne disent pas) les équipes
La première manière de détecter une carence, c’est d’écouter ceux qui sont aux commandes : les salariés.
Selon une étude LinkedIn Workplace Learning, 59 % des collaborateurs affirment manquer de compétences sur des sujets essentiels à leur poste. Mais seulement 27 % osent l’exprimer clairement.
Pourquoi ? Par peur d’être jugés, par manque de temps ou parce qu’ils ne savent pas à quoi ressemblerait une solution.
Dans certaines entreprises, on découvre une lacune de compétences seulement quand un projet échoue. Dans d’autres, un simple entretien informel révèle un besoin colossal.
Les meilleurs outils d’écoute interne sont souvent les plus humains :
- entretiens individuels réguliers ;
- feedbacks structurés ;
- observation des interactions dans les équipes ;
- questionnaires anonymes ;
- analyses des irritants du quotidien.
Une entreprise qui n’écoute pas ne peut pas détecter.
Étape 2 : cartographier les compétences… même celles qu’on croit acquises
La cartographie des compétences est devenue un levier stratégique. C’est un inventaire précis de ce que l’entreprise sait faire… et de ce qu’elle ne sait pas encore faire.
En 2025, les PME commencent enfin à s’équiper de ces outils, longtemps réservés aux grands groupes. Les plateformes RH basées sur l’IA permettent désormais de :
- visualiser les compétences présentes par métier ;
- identifier les trous dans la raquette ;
- anticiper les futurs besoins ;
- mesurer l’obsolescence de certaines expertises ;
- détecter les talents sous-exploités.
La Dares estime que les entreprises dotées d’une cartographie claire diminuent de 40 % les risques d’inadéquation des compétences dans les deux ans.
Une cartographie n’est pas un fichier figé : c’est une photo vivante, qu’il faut réactualiser régulièrement.
Étape 3 : analyser les performances sans tomber dans le micro-contrôle
Le manque de compétences ne se résume pas à un écart entre deux chiffres. Il s’observe aussi dans :
- les pratiques de travail ;
- la fluidité des processus ;
- la qualité du service rendu ;
- la capacité d’une équipe à collaborer.
Un retard persistant dans un service peut révéler une lacune de maîtrise. Une équipe débordée peut manquer d’organisation. Une hausse des erreurs peut indiquer un besoin de formation.
Mais attention : analyser ne veut pas dire surveiller. Une bonne analyse de performances vise à comprendre, pas à sanctionner.
Étape 4 : regarder le marché, la concurrence bouge vite
Parfois, ce n’est pas l’interne qui alerte, mais l’externe.
Si vos concurrents se digitalisent à grande vitesse, s’ils intègrent l’IA générative, automatisent leurs flux ou déploient de nouvelles gammes… et que votre entreprise peine à suivre, il ne s’agit pas d’un manque d’efforts, mais d’un manque de compétences émergentes.
L’Insee montre que les entreprises qui investissent dans les compétences numériques ont une croissance 30 % plus rapide que les autres.
Le marché donne une information simple : Si vous ne vous adaptez pas, lui, il le fera sans vous.
Les solutions : comment combler les manques sans désorganiser l’entreprise
Une fois le diagnostic posé, se pose la vraie question : comment agir ?
Les solutions existent, et elles sont souvent complémentaires.
Solution 1 : la formation, mais pas n’importe laquelle
La formation est le réflexe naturel. Mais pour être efficace, elle doit être :
- ciblée (répondre à un besoin réel) ;
- agile (formats courts, micro-learning, ateliers pratiques) ;
- continue (pas un événement ponctuel).
Le marché de la formation professionnelle a progressé de 8 % en 2024, preuve que les entreprises investissent.
Les formations les plus demandées : compétences digitales, management, analyse de données, cybersécurité, transition écologique.
Bien formé → bien armé.
Solution 2 : la mobilité interne, un trésor souvent sous-estimé
On l’oublie souvent : les compétences les plus adaptées sont parfois déjà là.
L’Apec révèle que 52 % des postes transformés en 2025 proviennent de la mobilité interne.
Créer des passerelles, proposer un nouveau rôle, repositionner un talent… c’est plus rapide, moins coûteux, plus fiable.
Solution 3 : le recrutement ciblé, quand l’expertise manque réellement
Si une entreprise a un besoin stratégique (cybersécurité, IA, automatisation, normes ESG…), la meilleure solution peut être de recruter directement un expert.
Mais le recrutement n’est pas une solution magique. Il fonctionne s’il est :
- anticipé ;
- structuré ;
- aligné avec la stratégie ;
- accompagné d’un transfert de compétences interne (mentorat).
Un expert seul ne change pas tout : il doit diffuser son savoir.
Solution 4 : l’accompagnement terrain, là où tout se joue
Mentorat, tutorat, binômes, coaching… Ce sont souvent ces méthodes simples qui accélèrent le plus la montée en compétences.
Selon France Travail, les salariés accompagnés sur le terrain progressent 2,5 fois plus vite.
Parce qu’on apprend mieux avec quelqu’un qui montre, plutôt que quelqu’un qui explique.
Solution 5 : l’innovation interne, créer un environnement qui fait grandir
Une entreprise qui donne le droit d’essayer, de tester, de se tromper même, construit naturellement ses compétences.
Hackathons internes, projets transverses, réunions d’innovation, ateliers agiles… plus l’entreprise libère l’initiative, plus elle fait émerger les talents.
Détecter le manque de compétences, c’est protéger l’avenir
L’enjeu n’est pas seulement RH. Il est stratégique, économique, humain.
Une entreprise qui sait identifier ses lacunes peut :
- anticiper les transformations du marché ;
- réduire ses coûts ;
- fidéliser ses équipes ;
- améliorer sa performance ;
- renforcer sa résilience.
Plus encore : elle offre à ses salariés la possibilité de grandir, de se réinventer, d’évoluer sans quitter le navire.
En 2025, les entreprises capables de détecter les manques de compétences avant qu’ils ne deviennent des failles seront celles qui dureront.

