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Entrepreneur

Interview de Eric de Goussencourt, PDG du réseau Clopinette

Véritables réseaux de boutiques physiques, fondés en 2011, l’enseigne Clopinette s’est imposée comme un acteur dominant de la cigarette électronique et Eric de Goussencourt, trouver sa stratégie pour la faire se démarquer. Avec plus de 90 boutiques en France et 18 millions de chiffre d’affaires en 2016, la marque a su se différencier de ses concurrents pour séduire ses clients. 

Quel est votre parcours d’entrepreneur ?

Après une école d’ingénieur textile, j’ai été salarié pendant environ trois ans au sein de différentes structures. Très vite, j’ai décidé de monter ma propre société et de devenir chef d’entreprise. J’ai fondé une société d’import-export de textile en Chine, qui existe toujours mais dont je ne m’occupe plus beaucoup. Ainsi, j’ai créé plusieurs sites internet dédiés à la vente de déguisements, de chaussettes,… J’ai, en quelque sorte, testé tous les genres et styles possibles de sites internet, jusqu’au jour où j’ai entendu parler de la cigarette électronique. C’est là que tout a démarré. Les produits n’avaient pas la même qualité qu’aujourd’hui et étaient vendus par des stations-services. D’emblée, j’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire et j’ai été convaincu par la nécessité de créer un site spécialisé, bien que celui-ci ne fasse pas partie de mon domaine habituel.

Vous êtes vous lancé seul dans l’aventure ?

J’ai rencontré mon associée à la chambre de commerce de Caen, lors d’une réunion pour les commerçants sur les sites internet. Nous avons discuté tous les deux et avons décidé de nous lancer. Le site est sorti au mois de janvier 2011. Ce lancement ne représentait pas un énorme risque en soi car mon associée était déjà dirigeante et possédait un site internet. Quand vous êtes déjà présent sur la toile, le risque financier lié au lancement d’un nouveau site s’avère faible. Les premiers vrais risques, que nous avons pris, résidaient dans l’ouverture des boutiques.

En quoi l’ouverture de boutiques constituait-elle de « vrais risques » ?

On trouvait le produit principalement dans les stations Total. Il existait très peu de boutiques physiques, quatre ou cinq en France. En lançant notre première boutique en avril 2011, quatre mois après le lancement du site internet, nous faisions partie des précurseurs. Ce lancement rapide est lié au fait qu’à l’ouverture du site internet, nous nous sommes rendu compte que notre siège social n’était pas fait pour recevoir les clients. Certains allaient sur notre site, regardaient l’adresse du siège social à Caen et venaient directement pour acheter le produit. Ils voulaient en savoir plus et tester le produit. Nous avons constaté que nous ne pouvions pas continuer uniquement à travers un site internet et qu’il fallait que nous ouvrions une boutique.

Aujourd’hui, les achats se font-ils par internet ou en boutique ?

Nous avons deux catégories de clients : ceux qui connaissent bien le concept, sont habitués à un produit type et achètent sur internet, notamment s’ils n’ont pas de boutique près de chez eux. La majorité des prospects préfère venir en boutique car elle a besoin de conseils ou de tester le produit. La première fois que des clients viennent chez nous, ils veulent acheter un modèle qui correspond à leur utilisation et besoin spécifique. Nous proposons notamment différents goûts avec environ 150 références. Lorsqu’ils reviennent, nous leur faisons tester des nouveautés s’ils le désirent. Nous avons, à peu près, cinq à six nouveautés qui sortent tous les mois. Sur internet, étant donné qu’on ne peut pas tester un produit, notre site nous sert principalement afin que les clients géolocalisent les boutiques mais aussi à proposer toutes les nouveautés.

Malgré l’essoufflement, vous gardez une croissance positive, comment l’expliquez-vous ?

Les premières années, nous avons assisté à l’explosion du secteur. Il s’agissait de la découverte du produit et le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Tout le monde en parlait et voulait essayer le produit. Les gens recherchaient une alternative au tabac et allaient acheter naturellement une cigarette électronique. Nous avons eu énormément de clients et, rapidement, sept ou huit concurrents sont apparus. La croissance était telle qu’il fallait ouvrir de plus en plus de boutiques, mais au final ceux qui sont restés, ce sont ceux qui avaient une stratégie sur le long terme. Il a fallu tenir lors de la retombée, se structurer et posséder des boutiques avec une stratégie imparable, un concept et une culture d’achat.

La plupart des acteurs était des indépendants et il y avait finalement peu de chaînes comme Clopinette. Un peu comme en téléphonie, il y a quelques années, où on trouvait une boutique tous les cent mètres avec différentes marques. Aujourd’hui, il reste seulement trois marques. De la même manière, nous sommes trois, principalement, à nous partager le marché avec beaucoup de petits indépendants qui possèdent leur boutique.

Concrètement, cela s’est passé comment ?

Je crois qu’au début nous avons eu de la chance parce que nous avons décidé d’y aller à fond. Nous avons ouvert le premier magasin en avril, celui de Paris en septembre et deux autres en décembre. Par la suite, nous en avons ouvert un par mois. Nous avions compris qu’il fallait accélérer davantage le développement pour ne pas rester un indépendant avec trois ou quatre magasins. De là, nous avons fait appel à la franchise. Nous sommes allés voir un cabinet spécialisé car nous ne savions pas réellement ce qu’était une franchise, un contrat avec des règles précises.

En deux mois, nous avions établi le contrat de franchise et tout le savoir-faire du franchisé, ce qu’il fallait faire pour réussir… En clair, nous avons travaillé comme des malades ! Un an après l’ouverture de la première boutique, en mai 2012, nous avons ouvert notre première franchise. Nous avons alors pu investir dans le marketing et dans le commercial. Le deuxième point qui a joué en notre faveur repose sur le fait que beaucoup de nos concurrents proposaient des marques qu’ils revendaient. Nous voulions avoir notre marque propre. Nous avons ainsi décidé de travailler avec nos fabricants afin qu’ils développent nos propres saveurs. Autrement dit, lorsque vous venez chez Clopinette, vous découvrez quelque chose que vous ne trouvez pas ailleurs.

Sur quoi avez-vous travaillé en marketing au juste ?

Il s’agit du point le plus important puisqu’il fallait communiquer sur nos saveurs, sur l’origine de la cigarette électronique. On entendait que c’était dangereux donc il fallait rassurer le client sur la qualité de nos produits. Toutes nos cigarettes électroniques étaient contrôlées et nos liquides d’origine française. Nous laissions le soin à nos concurrents de faire venir leurs produits des pays de l’Est ou de la Chine. Nous voulions rassurer le client en leur disant : « ce que vous mettez dans vos poumons, c’est français ! »

Comment avez-vous vécu la concurrence des buralistes ?

Si je refais le lien avec la téléphonie, les buralistes vendent des produits pré-chargés mais cela reste quelque chose de très basique. Nous ne vendons pas du tout les mêmes modèles. Les nôtres sont beaucoup plus évolués et efficaces, et nous avons un rôle beaucoup plus fort dans le conseil. La clientèle qui achète chez le buraliste doit se contenter d’un modèle de base avec deux à trois saveurs qu’ils ne peuvent pas essayer.

De nombreux clients qui ont acheté chez les buralistes viennent par la suite chez nous car ils recherchent d’autres choses. Un peu comme le téléphone, que l’on va rarement acheter chez le buraliste car on a besoin de conseils, de savoir comment cela fonctionne, d’avoir un modèle évolué… Un client qui vient chez nous prend son temps (environ une demi-heure, ndlr) pour choisir le modèle dont il a besoin. Cela s’avère impossible dans un bureau de tabac !

Quel est votre objectif 2017 ?

Mon souhait (je ne sais pas si je vais réussir), serait d’ouvrir de manière exponentielle de nouvelles boutiques. Le pôle franchise dépend des gens qui frapperont à notre porte et de leur profil. Nous participons aux salons liés à la franchise ainsi qu’à des magazines afin de faire connaître notre marque et nos franchisés actuels veulent parfois ouvrir d’autres boutiques. Ils nous demandent de réserver une zone en fonction de leurs recherches.

Le rythme actuel s’avère d’une ouverture par mois environ. D’autre part, nous négocions actuellement avec les banques et des fonds pour en ouvrir davantage en propre, entre dix et trente en 2017. Nous projetons de réaliser 20 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2017. Nous avons fait 18 millions d’euros en 2016 et, honnêtement, il reste difficile de savoir si ce qu’on a mis sur le papier se réalisera ou non. Cela dépend indissociablement des ouvertures de magasins et de leur rapidité à atteindre la profitabilité.

Avez-vous fait appel aux banques dès le début ?

Pas pour la toute première boutique puisque nous n’avions pas à payer de bail, juste un loyer. Pour les autres boutiques, nous avons dû y faire appel car il y avait des droits à payer. Cela s’est avéré compliqué étant donné que certaines banques refusent systématiquement tout ce qui est lié à la cigarette électronique. En moyenne, il faut compter soixante mille euros pour l’ouverture d’une boutique mais cela dépend de la ville et du droit au bail. Une boutique peut coûter trente mille euros comme trois cent mille. Les locaux dans les centres commerciaux constituent de bonnes opportunités car ils peuvent se révéler tout de suite opérationnels avec quasiment pas de travaux, sans droit au bail. Il suffit parfois de déposer ses meubles.

Qu’est-ce qui vous freine, actuellement, dans votre développement ?

Le financement pose le plus de problèmes finalement car les banques ne donnent pas l’argent facilement. Pour qu’une banque suive, il faut à chaque fois présenter le bilan de l’entreprise et elles ne sont pas à la recherche d’un développement rapide. Si j’essaye de les convaincre chiffres à l’appui que je vais doubler de taille tous les ans mais que je vais devoir faire appel à 10 % de crédit en plus chaque année, elles ne voudront pas me suivre. Elles restent frileuses pour investir et prennent le moins de risques possibles.

Vous êtes désormais seul à la barre du navire. Cela est-il plus difficile ?

L’année dernière, j’ai racheté les parts de mon associée, ce qui fait, qu’aujourd’hui, je suis seul à bord. Nous nous sommes séparés en bonne entente mais nous n’avions pas la même vision de la société. Cela s’est passé naturellement. Je me rends compte, aujourd’hui, que cela n’est pas forcément plus difficile. ll faut toutefois bien avouer que je me suis entouré de personnes compétentes au sein de l’équipe de direction, plus compétentes  parfois que moi d’ailleurs. Concrètement, mes talents sont limités dans certains domaines comme la comptabilité et  les ressources humaines. L’essentiel n’est pas d’être le meilleur partout mais d’être entouré par d’experts. Personnellement, je préfère, par exemple, déléguer les finances et les relations avec les banques aux personnes qui maîtrisent ces domaines.

4 Conseils d’Eric de Goussencourt

  • Il faut oser et prendre des risques. Il y a toujours une part de risques dans les réussites. Si on ne risque pas et que l’on attend passivement, on reste petit.
  • Se différencier des autres. Proposer les mêmes produits que tout le monde n‘a rien d’attrayant pour personne.
  • Recruter des personnes compétentes.
  • Travailler sur un concept global. Il faut savoir définir sa clientèle et bien choisir celle qui correspond à sa vision.

« En deux mois, nous avions établi le contrat de franchise et tout le savoir-faire du franchisé, ce qu’il fallait faire pour réussir… En clair, nous avons travaillé comme des malades ! »

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