Dans de nombreuses entreprises, la vitesse est devenue une seconde nature : décider plus tôt, agir plus vite, réduire chaque délai pour ne pas se laisser distancer. Dans un marché où la concurrence s’intensifie, la digitalisation transforme les règles du jeu et les clients exigent toujours plus, la course contre la montre semble incontournable. Pourtant, un paradoxe se dessine depuis quelques années : plus les dirigeants veulent gagner du temps, plus le risque de perdre le cap augmente. Pas par manque de compétences, mais par manque de clarté.
1/ Le paradoxe confirmé par les chiffres
Une étude de Harvard Business Review (2024) révèle que 48 % des dirigeants reconnaissent avoir pris des décisions trop rapides entraînant des corrections coûteuses.
Ces “corrections” ne ressemblent jamais à des erreurs visibles. Elles se transforment en :
- heures de mails pour rectifier ;
- réunions improvisées pour réexpliquer ;
- ajustements techniques ou organisationnels ;
- tensions et incompréhensions dans les équipes.
Autrement dit : du temps perdu qui n’apparaît dans aucun KPI. Dans les PME françaises, où les équipes sont réduites et les ressources limitées, l’impact est encore plus fort. Et pourtant, face à la pression, beaucoup de dirigeants… accélèrent encore.
2/ Pourquoi les dirigeants accélèrent trop ? La peur du retard
Le moteur principal, c’est la peur d’être dépassé. Tout semble urgent : les clients qui changent d’avis, les concurrents qui innovent, les marchés qui mutent. Alors le dirigeant compresse tout :
- réunions plus courtes,
- décisions plus rapides,
- processus simplifiés,
- validation express.
Mais ce gain apparent devient vite un piège. Car aller vite sans aligner l’équipe, c’est créer du flou. Et le flou est la première source de temps perdu.
3/ Quand la vitesse crée du flou : les erreurs du quotidien
On le voit dans des situations très banales :
- un projet lancé sans cadre clair ;
- une consigne orale mal comprise ;
- une décision prise dans l’urgence sans vérification ;
- une mauvaise priorité qui occupe l’équipe pendant trois jours.
Des scènes qui semblent anodines… mais qui représentent une part immense du temps perdu en entreprise. Selon McKinsey, 27 % du temps opérationnel part dans des clarifications tardives. Autrement dit : dans la réparation d’erreurs créées par l’accélération.
4/ La contagion de la pression : quand le dirigeant va vite, tout le monde va vite
Il existe aussi un facteur psychologique peu évoqué : la vitesse du dirigeant contamine l’équipe. Quand un CEO accélère, l’équipe se met en mode urgence :
- moins de recul,
- plus d’erreurs,
- hausse du stress,
- baisse de concentration.
Le résultat ? Une productivité qui chute, malgré une impression d’activité intense.
5/ Le temps gagné n’est jamais utilisé pour réfléchir
Ironie de la situation : les minutes gagnées par l’accélération ne sont presque jamais utilisées pour ce qui ferait vraiment gagner du temps.
- La réflexion.
- La stratégie.
- La structuration.
Le dirigeant gagne du temps pour remplir des heures, pas pour mieux penser. Pourtant, les études sont explicites :
- Les dirigeants qui consacrent au moins 20 % de leur temps à la réflexion prennent des décisions plus durables (MIT Sloan, 2024).
- Ceux qui planifient systématiquement avant d’exécuter réduisent les révisions de projets de 40 % (BPI France).
- Ceux qui délèguent après avoir clarifié divisent par deux le temps perdu en corrections.
6/ Ce n’est pas la vitesse qui fait gagner du temps, mais le départ
Le véritable paradoxe est là : le temps se gagne au début, pas pendant la course.
Gagner du temps n’est pas une question d’accélération. C’est une question d’anticipation, de structure, de précision. Les dirigeants qui réussissent à sortir de cette spirale disent souvent la même chose : “J’ai arrêté d’aller vite seul. J’ai commencé à avancer avec mon équipe.”
7/ La vraie clé : la coordination
Trois leviers, simples mais puissants, transforment la vitesse en efficacité :
- la coordination,
- l’alignement,
- la communication.
Ce ne sont pas des concepts spectaculaires. Ils ne font pas gagner du temps immédiatement. Mais ce sont eux qui, sur la durée, évitent d’en perdre massivement.
8/ La question n’est plus : “Comment aller plus vite ?”
La véritable question devient : “Comment éviter de repartir en arrière ?” Et la réponse est rarement dans l’urgence. Elle est toujours dans la clarté.

