Le futur appartient aux dirigeants conteurs

Ceux qui savent raconter leur vision captivent talents, investisseurs et clients. Ceux qui ne savent pas… disparaissent. En effet, un dirigeant, aujourd’hui, ne se contente plus d’aligner des chiffres, de dresser des tableaux Excel ou de brandir des slides PowerPoint. Le monde a changé. Les marchés sont saturés, l’attention des consommateurs est fragmentée, et les talents les plus brillants ne se laissent plus séduire par un salaire ou une promesse de stock-options.

Ce qu’ils cherchent, avant tout, c’est une histoire dans laquelle s’inscrire. Et cette histoire, seul le dirigeant peut la raconter.

On ne compte plus les exemples de patrons visionnaires qui ont façonné leur destin — et celui de leurs entreprises — par la force de leurs mots. Steve Jobs décrivant l’iPhone comme « un téléphone, un iPod et un navigateur Internet, réunis dans un seul appareil » ; Elon Musk martelant son objectif de « rendre l’humanité multiplanétaire » ; ou encore Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, affirmant haut et fort qu’il « ne voulait pas être un homme d’affaires, mais sauver la planète ».

Tous avaient en commun une capacité rare : raconter une histoire claire, cohérente et mobilisatrice.

Pourquoi les dirigeants doivent-ils devenir conteurs ?

La réponse tient en trois mots : talents, investisseurs, clients.

  • Les talents : la nouvelle génération n’entre pas dans une entreprise uniquement pour y faire carrière. Elle cherche du sens, un projet auquel contribuer. Une vision bien racontée devient un aimant. « Si vous voulez recruter des personnes brillantes, dit Simon Sinek, donnez-leur une cause, pas un job. »
  • Les investisseurs : au-delà des chiffres, ils veulent croire à une trajectoire. Les levées de fonds les plus spectaculaires ne se jouent pas uniquement sur des business plans, mais sur la conviction que le dirigeant sait où il va et peut embarquer le monde avec lui.
  • Les clients : saturés de publicités, ils ne prêtent plus attention aux arguments rationnels. Mais une histoire sincère, racontée avec conviction, peut les toucher. Ce n’est pas un hasard si des marques comme Tesla, Nike ou Airbnb dominent leur secteur : elles ne vendent pas seulement des produits, elles racontent une vision du monde.

Les produits se copient, les services se banalisent, la technologie s’homogénéise et le récit devient l’ultime avantage compétitif.

La rhétorique au service du leadership

Être conteur, ce n’est pas improviser un discours enflammé. C’est maîtriser les ressorts de la rhétorique, cet art vieux de 2 500 ans qui fit la puissance des orateurs grecs et romains.

Aristote distinguait déjà trois piliers :

  • L’ethos : la crédibilité du narrateur. Un dirigeant doit incarner son récit. S’il prêche la durabilité mais voyage en jet privé, son histoire s’effondre.
  • Le logos : la logique de l’argumentation. Une vision doit s’appuyer sur des faits, des preuves, une stratégie tangible.
  • Le pathos : l’émotion. C’est ce qui fait vibrer, ce qui donne envie de suivre.

Les grands conteurs du monde des affaires maîtrisent ce triangle. Jobs associait logos (une technologie réelle), ethos (sa posture de visionnaire) et pathos (le fameux « one more thing » qui faisait chavirer les foules). Musk, malgré ses excès, sait susciter l’émotion en parlant de Mars comme d’une nouvelle frontière.

L’art du récit en entreprise

Mais comment concrètement devenir ce dirigeant-conteur que tous attendent ?

1/ Partir d’une vision claire : sans cap, pas d’histoire. La narration ne peut pas maquiller le vide. Un récit puissant repose sur une ambition nette, un « pourquoi » profond.

2/ Mettre en scène des personnages : les talents, les clients, les partenaires… Le dirigeant ne raconte pas son histoire, mais une histoire collective dans laquelle chacun peut trouver sa place.

3/ Créer une tension : tout récit a besoin d’un obstacle. Une entreprise doit identifier les défis à surmonter (pollution, fracture numérique, mobilité, énergie…) pour donner du relief à son projet.

4/ Ouvrir une perspective : le récit n’est pas un constat, mais une promesse. C’est la vision d’un futur désirable, auquel on a envie de contribuer.

En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement de « raconter » une histoire, mais de mettre en récit une transformation.

Prenons un exemple concret : WeWork

Adam Neumann, son fondateur, avait bâti une histoire autour du « futur du travail », une communauté mondiale de créateurs. Pendant quelques années, cette narration a envoûté investisseurs et collaborateurs, permettant de lever des milliards. Mais faute d’alignement entre le récit et la réalité économique, l’histoire s’est effondrée. Leçon : un récit peut séduire, mais il doit rester crédible.

La disparition silencieuse des dirigeants sans récit

À l’inverse, ceux qui ne savent pas raconter… disparaissent. On ne se souvient pas des entreprises qui n’ont pas su donner du sens à leur action. Combien de grands patrons du CAC 40, malgré des résultats impressionnants, restent inconnus du grand public ? Combien d’entreprises disparaissent dans l’indifférence parce qu’elles n’ont jamais su formuler ce qu’elles apportaient vraiment ?

Pour faire simple, ne pas raconter son histoire, c’est accepter d’être effacé.

L’ère du « leadership narratif »

Un terme émerge dans les écoles de management : le narrative leadership. Il ne s’agit plus seulement de piloter, de décider, de gérer, mais d’inspirer par le récit.

Harvard, Stanford ou HEC intègrent désormais des modules de storytelling dans leurs programmes. Certaines entreprises font appel à des dramaturges, des écrivains, voire des scénaristes pour aider leurs dirigeants à structurer leur vision.

Les risques du mauvais storytelling

Attention toutefois : le récit n’est pas une baguette magique. Mal maîtrisé, il peut se retourner contre celui qui l’emploie. Trois écueils guettent les dirigeants-conteurs. D’abord ce qu’on pourrait appeler le vernis. Il s’agit de raconter une belle histoire sans l’incarner dans les actes. Le public ne pardonne plus l’écart entre discours et réalité.

Ensuite, la manipulation : exagérer ou mentir pour séduire. À l’ère des réseaux sociaux, les contre-vérités sont rapidement démasquées.

Enfin, l’ « entre-soi ». Une mauvaise pratique qui consiste à: construire un récit qui parle uniquement aux initiés, mais qui laisse le grand public indifférent.

Le storytelling n’est pas un artifice, mais un outil d’alignement entre une vision, des actes et une communauté.

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