Top 5 des erreurs de pilotage qui plombent les marges sans qu’on s’en aperçoive

Lorsque les marges se contractent sans cause évidente, la tentation est grande d’accuser la conjoncture ou la pression concurrentielle. Pourtant, dans bien des cas, la détérioration silencieuse de la rentabilité trouve son origine à l’intérieur même de l’entreprise. Une série d’erreurs de gestion, souvent invisibles à première vue, altère progressivement la performance sans que les équipes dirigeantes en mesurent l’ampleur. Plusieurs grands groupes français ont dû revoir leurs pratiques après avoir constaté les effets délétères de choix opérationnels mal ajustés.

1. Une politique de remise trop généreuse, mal encadrée

L’effet volume est fréquemment invoqué pour justifier des remises importantes. Mais lorsque la logique commerciale prime sur la discipline de gestion, le résultat net se fragilise. Chez Casino, la guerre des prix engagée durant plusieurs années, notamment à travers ses enseignes de proximité, a conduit à une érosion brutale de la marge brute. Le groupe s’est retrouvé piégé dans une spirale de dépréciations successives sans réelle compensation en parts de marché. L’absence de garde-fous dans les politiques de remises et de promotions peut diluer l’effet des ventes supplémentaires, surtout lorsque la structure de coûts ne permet pas d’absorber cette pression.

Dans la grande distribution, la maîtrise du mix produit est déterminante. Lorsque les vendeurs disposent d’une latitude excessive pour accorder des rabais, les écarts s’accumulent, échappant au contrôle budgétaire. À l’inverse, des entreprises comme Fnac Darty ont rationalisé leurs politiques de remise en renforçant le pilotage analytique de leurs points de vente, avec un système d’alerte dès qu’un écart significatif de marge unitaire est détecté. Une discipline commerciale rigoureuse ne bride pas la croissance, elle en assure la soutenabilité.

2. Des stocks mal dimensionnés qui génèrent des coûts cachés

Surstocker pour « ne pas rater de vente » reste un réflexe courant, surtout dans les industries cycliques. Mais l’impact financier d’un stock excédentaire est rarement visible immédiatement. Valeo, équipementier automobile, a connu des difficultés persistantes de rentabilité sur plusieurs de ses lignes de production, aggravées par des excès de stocks générés pendant les périodes de forte incertitude post-Covid. Entre les coûts de stockage, les dépréciations d’invendus et les obsolescences techniques, le surdimensionnement logistique finit par peser lourdement sur les marges.

À l’inverse, Michelin a investi dans des outils de prévision fine pour aligner plus strictement production, approvisionnement et écoulement. Cette précision logistique permet non seulement d’optimiser le besoin en fonds de roulement, mais aussi de réduire le gaspillage de ressources. Un stock mal calibré n’est pas qu’une immobilisation financière, c’est un facteur de perte silencieuse sur chaque produit écoulé avec retard ou décote.

3. L’absence de pilotage fin de la productivité indirecte

Dans les grandes structures, l’attention reste souvent focalisée sur la productivité des lignes de production, en négligeant celle des fonctions support. Pourtant, les dérives de coûts viennent fréquemment des activités indirectes dont l’efficacité n’est pas systématiquement mesurée. Le groupe Orange, engagé dans une vaste transformation de son organisation interne, a constaté une surdensité administrative dans certains services régionaux, sans impact visible sur la performance opérationnelle. Ce constat a motivé un recentrage des fonctions centrales, assorti d’un plan de redéploiement.

Les directions financières performantes mettent en place des indicateurs d’efficience transversale. Chez Schneider Electric, chaque fonction support dispose d’un cadre de suivi basé sur des ratios opérationnels précis, permettant de détecter les baisses de productivité avant qu’elles n’affectent les comptes consolidés. La rentabilité se joue aussi dans l’optimisation des flux non industriels, et les marges se construisent autant dans les bureaux que dans les usines.

4. Une tarification déconnectée des coûts réels

La tentation de figer les prix par habitude, pour éviter de perturber la relation client, peut s’avérer désastreuse à moyen terme. Dans le secteur du BTP, plusieurs filiales de Vinci ont dû revoir entièrement leur grille tarifaire après avoir constaté un écart croissant entre les devis initiaux et les coûts réels constatés à la fin des chantiers. Cette déconnexion est souvent liée à une sous-estimation des effets cumulés des hausses de matières premières, des délais d’exécution ou de la sous-traitance mal évaluée.

L’exemple de Manitou, spécialiste français du matériel de manutention, est à contre-courant : l’entreprise a intégré un modèle de tarification dynamique ajusté trimestriellement selon l’évolution de ses coûts de fabrication. Cette capacité d’ajustement a permis de préserver sa marge opérationnelle dans un contexte d’inflation industrielle tendue. Un prix trop rigide, même compétitif, finit toujours par se retourner contre l’entreprise si les coûts ne cessent d’augmenter.

5. Des reportings trop agrégés qui masquent les contre-performances

Lorsque les indicateurs sont présentés de manière globale, les écarts significatifs passent sous les radars. L’illusion d’une performance stable au niveau consolidé masque parfois des dérives graves dans certaines lignes de produits ou zones géographiques. L’Oréal, après une phase d’expansion rapide de sa division Asie-Pacifique, a renforcé ses outils de pilotage localisé pour éviter que la croissance apparente ne masque des marges dégradées sur certains marchés. Ce découpage plus granulaire a permis de redresser à temps plusieurs entités déficitaires sans affecter l’image globale du groupe.

Dans les entreprises industrielles, cette myopie peut coûter cher. Airbus a mis en place un système de pilotage des marges par programme, afin d’identifier rapidement les projets sous-performants. Cette vision affinée permet de prendre des mesures correctives ciblées avant que les pertes ne s’accumulent. Un reporting agrégé rassure à court terme, mais fragilise la capacité à anticiper les ruptures de rentabilité.

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