Start-up : la transparence salariale, l’atout de cohésion interne

Difficile de changer la culture d’un pays. La loi Pacte a mis un pied dans la fourmilière. Ainsi, elle a contraint  les entreprises cotées à publier l’écart entre le salaire de leurs dirigeants et les salaires moyen et médian. En ce qui concerne les  femmes, elles sont payées en moyenne 25 % de moins que les hommes en France. Notamment, elles perçoivent 9 % de moins que leurs homologues masculins à âge et poste égaux.  Depuis le 1er mars 2019, les entreprises de plus de 1 000 salariés doivent publier leur « index de l’égalité femmes-hommes ».

Le fait de dévoiler son salaire et de le rendre public est souvent tabou dans les entreprises en France. Les discussions autour de ce sujet sont difficiles à aborder. La question de la rémunération alimente les tensions et les jalousies. Elle met en lumière des inégalités notamment entre les femmes et les hommes. Pourtant certaines sociétés n’hésitent pas à se lancer dans une démarche de transparence sur la manière dont elles rétribuent leurs salariés. Plusieurs start-up issues de pays comme les États-Unis ou encore le Royaume-Uni ont déjà fait le choix de la clarté. Elles définissent des critères précis ou en donnant la possibilité à leurs collaborateurs de fixer eux-mêmes leurs salaires. Dans l’Hexagone, des initiatives se multiplient. Zoom sur ce phénomène.

Une pratique appréciée dans les pays anglo-saxons

Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, le dévoilement du salaire et la culture de la transparence font partie des habitudes professionnelles. Depuis 2013, la start-up américaine Buffer, spécialisée dans la gestion des réseaux sociaux d’entreprise, a mis en place plusieurs démarches. Notamment en publiant les chiffres d’affaires, les rapports mensuels de progression et en permettant en interne d’accéder à tous les mails envoyés entre les salariés. La société a également décidé de publier les rémunérations de tous ses membres via un document accessible en ligne. On peut alors découvrir que le PDG et fondateur de l’entreprise Joel Gascoigne gagne 236 315 dollars par an. Afin de fixer les salaires, une formule mathématique a été appliquée selon le rôle dans la firme, l’ancienneté, l’expérience, ainsi que le lieu de domicile.

Selon Leo Widrich, co-fondateur de la start-up, cette démarche a provoqué une diminution importante des demandes d’augmentation. Elle a a engendré des relations plus ouvertes et apaisées entre les collaborateurs. L’entreprise anglaise Smarkets, qui propose avec sa plateforme de simplifier les paris en ligne sur les événements sportifs et politiques, a instauré un système. Celui-ci permet de décider des augmentations de salaire collectivement. Pour obtenir une promotion, le salarié doit solliciter cinq de ses collègues afin de lui apporter des arguments et des propositions de la rémunération qu’il devrait posséder. Une enquête et des réunions sont ainsi réalisées pour  comparer les offres, avec les sociétés du marché. L’augmentation est ensuite fixée, mais si le collaborateur n’est pas d’accord, il peut lui-même définir sa propre rémunération.

Des start-up françaises s’y mettent aussi

La start-up Lucca

La start-up Lucca qui conçoit des logiciels Saas pour gérer les processus administratifs et de ressources humaines permet à ses collaborateurs de fixer eux-mêmes leur salaire. Cependant, à la condition de disposer de trois ans d’ancienneté. Pour y parvenir, les employés doivent faire preuve de conviction et disposer d’arguments convaincants, au cours de deux réunions. La première se passe devant un groupe composé de salariés et de dix membres du comité de direction, où chacun doit expliquer les raisons de l’augmentation de son salaire. Tous peuvent alors communiquer leur avis de façon directe ou anonyme à la personne concernée. Au cours de la deuxième assemblée, les salariés ont la possibilité de modifier leur demande ou de rester sur leur position initiale.

Comment fixer les salaires ?

La décision finale leur revient donc et les rémunérations sont fixées pour un an. On dévoile ensuite les salaires au sein de l’entreprise. Ils sont de 3 à 4 % plus élevés que si le dirigeant les avait fixés seul. Selon Gilles Satgé, le PDG de la société, ce système permet de fortifier l’engagement des salariés, de favoriser la rentabilité et le développement de la start-up puisque les collaborateurs sont plus heureux et moins tendus, en ce qui concerne la rémunération.

La start-up Alan qui propose une assurance santé en ligne pour les entreprises et les indépendants, a, elle, fait le choix de réaliser une grille de salaires, à partir de critères clairs et de la communiquer  auprès de ses salariés pour que chacune et chacun sache à quoi correspond précisément sa rémunération. Le niveau de salaire se construit ainsi selon deux éléments. D’abord, le rôle au sein de l’entreprise, fondé sur des critères d’impact, d’indépendance, et de leadership.

Un jeune salarié touchera un salaire de base tandis qu’un employé avec un niveau d’expérience plus ancien obtiendra plusieurs milliers d’euros de plus. Ensuite, l’intéressement au capital sous la forme de BSPCE (Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise, options attribuées gratuitement aux salariés pour acheter des titres d’une société, ndlr). Un collaborateur qui a un niveau plus important d’équity (investissement en fonds propres, ndlr) reçoit donc une rémunération plus élevée.

Une démarche similaire à Buffer dans l’Hexagone

Une nouvelle démarche est apparue depuis juillet dernier, avec Rodolphe Dutel, fondateur de la start-up remotive.io, qui développe une plateforme dédiée aux professionnels souhaitant se lancer comme travailleurs à distance. Ex-salarié de l’entreprise Buffer, il a créé un tableau en ligne dénommé « Startupers français : Et si on partageait anonymement nos salaires ? » accessible via un Google SpreadSheet (tableur en ligne qui permet réaliser des feuilles de calcul, de les modifier et de travailler dessus à plusieurs, ndlr) ouvert à tous. Objectif : inciter les salariés travaillant dans des start-up à divulguer leur rémunération et leur poste anonymement, afin de casser les codes et de permettre de changer les habitudes notamment sur la négociation et l’égalité salariale homme/femme.

Ils doivent en autre indiquer la localisation et la taille de leur établissement au niveau des salariés, les fonds levés qu’il a pu réaliser ainsi que leur nombre d’années d’expérience et d’ancienneté au sein de celui-ci. Actuellement, 596 personnes dont 120 femmes ont ainsi déjà participé à cette initiative comme des CEO, des développeurs ou des ingénieurs. La majorité des répondants indique qu’ils réalisent entre 40 et 50 heures de travail hebdomadaires et se considèrent comme sous-payés.

Ces initiatives de la part de certaines start-up visant à lever le voile sur la rémunération se développent ainsi peu à peu dans l’Hexagone. La transparence des salaires pourrait réduire les tensions ainsi que les écarts et les inégalités, sous réserve de les encadrer. C’est que révélait une étude Harris Interactive réalisée en 2016 pour Glassdoor, site d’offres d’emplois qui invite également les anciens et actuels salariés à noter leur environnement de travail de façon anonyme.  77 % des Français demandent plus de clarté sur les salaires et 63 % se disent d’accord pour dévoiler leur rémunération, convaincus que cette décision permettrait de diminuer les inégalités salariales.

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