Monter une entreprise à deux : quelles configurations évitent l’implosion

Monter une entreprise à deux : quelles configurations évitent l’implosion une entreprise à deux peut apparaître comme un gage de complémentarité et de solidité. Pourtant, les binômes fondateurs sont aussi ceux qui exposent le plus leur structure à des désaccords profonds, voire à des ruptures irréversibles. Lorsque les responsabilités ne sont pas clairement réparties ou que la gouvernance reste floue, les tensions surgissent rapidement et mettent en péril non seulement la relation, mais aussi l’avenir de la société. Plusieurs exemples français illustrent comment des cofondateurs ont su structurer leur collaboration pour en faire un levier de croissance plutôt qu’un point de friction.

Éviter la duplication des rôles

L’une des erreurs les plus fréquentes consiste à dupliquer les compétences ou à laisser les fonctions de chacun d’empiéter mutuellement. Ankorstore, place de marché destinée aux commerçants indépendants et aux marques européennes, en est un exemple instructif. Les quatre cofondateurs ont pris soin dès le départ de se répartir précisément les responsabilités : technologie pour Nicolas d’Audiffret, produit pour Nicolas Cohen, finance pour Pierre-Louis Lacoste, développement commercial pour Mathieu Alengrin. Cette répartition nette a permis d’éviter les interférences quotidiennes, tout en instaurant une gouvernance lisible pour les investisseurs, qui ont accompagné la croissance rapide de la plateforme dès ses premières levées de fonds.

À l’inverse, Everoad, start-up française de logistique, a connu une trajectoire plus heurtée. L’entreprise avait été lancée avec l’ambition de digitaliser le fret routier européen. Toutefois, l’absence de clarté dans la répartition stratégique entre les deux cofondateurs, combinée à des divergences sur la vision produit, a conduit à un ralentissement de la croissance. La fusion avec la start-up allemande Sennder a permis de relancer l’activité, mais au prix d’une réorganisation profonde. Lorsque les responsabilités manquent de différenciation, c’est toute la chaîne de décision qui se grippe, ralentissant les arbitrages opérationnels et affaiblissant la confiance des partenaires.

Adopter une méthode de décision formalisée

Le fonctionnement à deux exige plus qu’une bonne entente : il nécessite une méthode claire pour trancher les désaccords sans affecter la dynamique. Back Market, référence française du reconditionnement d’appareils électroniques, a été fondé par Thibaud Hug de Larauze, Vianney Vaute et Quentin Le Brouster. Très tôt, ils ont mis en place une organisation structurée autour de comités de décision thématiques, associant des prérogatives claires et un processus de validation collectif. Cette méthode a permis de maintenir une réactivité forte tout en conservant une cohérence stratégique au fil de l’hypercroissance.

Dans un registre différent, Faguo, marque de vêtements soucieuse de son impact environnemental, a été fondée par Nicolas Rohr et Frédéric Mugnier alors qu’ils étaient encore étudiants. Leur entente de départ ne les a pas empêchés de formaliser très tôt un pacte d’associés détaillé, incluant des mécanismes d’arbitrage en cas de blocage. Cette anticipation leur a permis de traverser sans accroc les étapes critiques du développement, notamment l’ouverture du capital à un groupe industriel. En établissant des garde-fous dès la phase de démarrage, ils ont évité les tensions inutiles et renforcé la solidité de leur gouvernance.

Maîtriser la communication entre associés

Les conflits entre cofondateurs ne naissent pas uniquement de visions divergentes : ils proviennent souvent de frustrations accumulées, faute de canaux d’échange efficaces. Alan, néo-assureur santé français, l’a bien compris. Jean-Charles Samuelian et Charles Gorintin ont instauré un rituel de rendez-vous hebdomadaires, distincts des réunions d’équipe, exclusivement dédiés aux échanges entre associés. Ce format, souple mais régulier, permet d’aligner les priorités, d’exprimer les désaccords sans les cristalliser et de réajuster les décisions stratégiques au fil de l’évolution du marché.

La Ruche qui dit Oui, réseau favorisant les circuits courts, a, quant à elle, choisi une gouvernance à géométrie variable, incluant un tiers indépendant dans les discussions stratégiques dès lors que des décisions engageantes de long terme sont abordées. Ce dispositif a été renforcé au moment où l’entreprise a procédé à des levées de fonds externes. La présence d’un regard extérieur au duo fondateur a permis d’objectiver les décisions et d’éviter que les divergences ne deviennent des points de blocage. En période de tension, ce type de structure peut faire la différence entre un différend maîtrisé et une rupture mal gérée.

Préparer la dissociation sans tabou

Les configurations de gouvernance solides sont aussi celles qui envisagent dès l’origine la possibilité d’un départ. ManoMano, plateforme spécialisée dans le bricolage et le jardinage en ligne, a été fondée par Christian Raisson et Philippe de Chanville. Dès les premières phases de structuration juridique, ils ont intégré des clauses de rachat croisé et de sortie partielle, de manière à prévenir tout blocage en cas de divergence ou de volonté d’évolution personnelle. Cette prévoyance leur a permis de continuer à piloter l’entreprise de concert, tout en ménageant la possibilité de réajuster leur rôle à mesure que l’entreprise grandissait.

Chez PayFit, qui propose une solution SaaS de gestion de la paie, la direction tripartite n’a pas empêché une réflexion approfondie sur l’évolution des rôles. Dès 2020, les cofondateurs ont mis en place un processus de réévaluation des fonctions tous les deux ans, assorti d’un dispositif de sortie partielle ou totale fondé sur des critères objectifs : performance, adhésion à la vision, implication. Ce mécanisme, rarement anticipé à ce stade de développement, a permis d’éviter les tensions latentes et de préserver l’élan de croissance, tout en assurant un cadre serein à chaque phase de transformation de la structure.

S’entourer sans diluer l’autorité

Le duo fondateur ne peut pas tout porter indéfiniment. Lorsque l’entreprise atteint une certaine taille, il devient indispensable de déléguer sans pour autant perdre le contrôle stratégique. Swile, acteur de la digitalisation des avantages salariés, a connu une forte expansion dès ses premières années. Pour éviter de surcharger la direction avec des décisions opérationnelles, Loïc Soubeyrand a renforcé l’équipe de direction autour de profils expérimentés, tout en conservant un fonctionnement binôme entre direction produit et direction générale. Cette architecture a préservé la vision initiale tout en professionnalisant l’exécution.

Chez OpenClassrooms, plateforme de formation en ligne cofondée par Pierre Dubuc et Mathieu Nebra, la montée en charge a exigé un ajustement progressif de la répartition des responsabilités. Le fondateur technique a conservé un rôle d’ambassadeur pédagogique, tandis que la direction opérationnelle a été structurée autour de profils issus du conseil et de la gestion de projet. En formalisant cette séparation au moment opportun, l’entreprise a pu continuer à évoluer sans que les décisions stratégiques ne deviennent l’otage d’un consensus permanent.

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