Pendant longtemps, le leadership a été associé à des compétences dites « rationnelles » telles que la planification, l’analyse, la logique ou encore la stratégie. Les émotions étaient perçues comme parasites, signes de faiblesse ou d’instabilité.
Mais cette vision est aujourd’hui dépassée. L’intelligence émotionnelle s’impose comme une compétence stratégique majeure, en particulier dans les environnements complexes, incertains, humains. Décider ne consiste pas seulement à calculer. Cela implique de ressentir, d’écouter, d’anticiper les impacts humains. Et pour cela, l’émotion devient un guide.
Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle ?
Le terme popularisé par Daniel Goleman désigne la capacité à :
- Identifier ses émotions et celles des autres.
- Comprendre leur impact sur les comportements.
- Réguler ses réactions.
- Créer des relations saines, basées sur l’empathie et la lucidité.
Appliquée à la stratégie, l’intelligence émotionnelle permet de lire les signaux faibles dans les équipes, de décoder les résistances au changement, de prendre des décisions qui intègrent la dimension humaine ainsi que d’inspirer, fédérer voire même rassurer dans les moments critiques.
L’erreur du « tout rationnel »
Les dirigeants formés aux écoles de commerce ou aux modèles industriels ont souvent appris à « faire abstraction des émotions ». Mais cette approche a ses limites.
En effet, elle ignore les effets de la peur, de la colère, du stress dans les dynamiques collectives et produit des décisions déconnectées du terrain. Aussi, elle rend les organisations plus froides, donc plus rigides.
Or, l’émotion n’est pas l’ennemie de la raison. Elle en est la boussole complémentaire.
Les émotions comme indicateurs stratégiques
Voici quelques émotions courantes et leur valeur stratégique :
- La peur : révèle un enjeu majeur, un besoin de sécurité ou d’anticipation.
- La colère : pointe une injustice, un désalignement.
- La tristesse : signale une perte, un besoin de deuil ou de transition.
- La joie : éclaire ce qui fonctionne, ce qui donne du sens.
- Le dégoût : alerte sur ce qui est contraire à nos valeurs.
Plutôt que de les censurer, le leader peut apprendre à les écouter comme des indicateurs subtils dans sa prise de décision.
L’empathie comme avantage concurrentiel
Or, un dirigeant capable d’empathie stratégique comprend les attentes non dites de ses équipes ainsi que les besoins émotionnels des clients. Il peut voir les résonances symboliques d’un projet. Il crée ainsi des produits, des expériences et des dynamiques collectives plus pertinentes, plus engageantes, plus durables.
Bonne nouvelle : cette compétence se travaille. Quelques leviers concrets telle que la pratique de la pleine conscience pour détecter ses états internes ou encore un feedback émotionnel dans les équipes. Il est possible également de faire des formations spécifiques à la régulation émotionnelle. Il est même parfois conseillé de tenir un journal de bord émotionnel pour suivre l’impact des décisions sur soi et les autres.
Ces pratiques ne “psychologisent” pas le business. Elles humanisent la stratégie.
Vers un leadership intégral
L’intelligence émotionnelle ne remplace pas les outils classiques de décision. Elle les complète, les enrichit, les humanise. Un dirigeant qui sait ressentir, écouter, ajuster devient plus agile, plus fédérateur. Il est plus inspirant.
C’est ce type de leader que les organisations recherchent dans un monde incertain : un décideur connecté à l’humain.
Le courage de ralentir pour mieux décider
Ralentir peut sembler contre-intuitif, voire dangereux pour un leader. Pourtant, face à l’accélération constante des flux d’informations, des changements et des injonctions, la véritable performance stratégique repose de plus en plus sur la capacité à ralentir pour mieux discerner.
Le ralentissement n’est pas une fuite ou une faiblesse : c’est un acte de lucidité. C’est s’offrir l’espace nécessaire pour penser en profondeur, sentir les enjeux invisibles, distinguer l’essentiel de l’accessoire. Il permet de sortir de la simple réaction pour entrer dans une action plus alignée, plus fine, plus impactante.
Ce temps de pause (qu’il prenne la forme d’une retraite, d’un moment de silence quotidien, ou simplement d’un pas de côté dans l’agenda) permet d’élargir sa perspective. Et souvent, ce recul ouvre à des solutions plus créatives, plus humaines, plus systémiques.
La qualité de présence comme levier d’influence
Au-delà des compétences techniques ou stratégiques, ce qui marque profondément dans un leadership, c’est la qualité de présence. Être pleinement là, sans distraction, sans masquer ses émotions, avec une attention entière, crée un espace rare. Dans ce type de présence, les collaborateurs se sentent vus, entendus et reconnus.
Cette présence n’est pas une question de charisme inné, mais d’attention entraînée. Elle suppose d’avoir pacifié son propre bruit intérieur, d’avoir appris à écouter sans projeter, à parler sans imposer.
Paradoxalement, plus un leader prend soin de lui, développe son intelligence émotionnelle et accepte de ralentir, plus il devient présent. Cette présence devient un levier d’influence puissant — non pas basé sur l’autorité, mais sur la qualité de la relation.
Elle permet de transformer les réunions en espaces de co-création, les conflits en opportunités de croissance, et les organisations en lieux vivants, porteurs de sens.