L’État vous décourage de réussir en tant qu’auto-entrepreneur

Le régime de la micro-entreprise a été conçu pour favoriser la liberté d’entreprendre. Il attire chaque année des dizaines de milliers de Français, séduits par sa simplicité apparente. Mais une fois l’activité lancée, nombreux sont ceux qui se heurtent à une série de freins structurels. Charge fiscale déconnectée des réalités, absence de protection sociale digne de ce nom, inéligibilité à de nombreux dispositifs d’accompagnement : tout se passe comme si l’État décourageait la réussite quand elle naît en dehors des cadres traditionnels.

Un régime qui sanctionne la croissance

Dès que leur chiffre d’affaires progresse, les auto-entrepreneurs doivent intégrer la TVA, puis quitter le régime simplifié au-delà d’un certain seuil. Ce basculement, loin d’être fluide, implique une complexité administrative accrue, souvent décourageante. En 2023, la Fédération des auto-entrepreneurs (FNAE) a alerté sur les effets pervers de ce plafond : près d’un tiers des micro-entrepreneurs concernés choisissent de réduire leur activité volontairement pour ne pas sortir du régime. 

Ce frein à la croissance se retrouve également dans l’approche bancaire. Selon une étude réalisée par l’Observatoire de la création d’entreprise (BPI France Création), 67 % des micro-entrepreneurs n’obtiennent pas les financements nécessaires lorsqu’ils souhaitent se développer, essentiellement en raison de leur statut. Ni société, ni salarié, ils restent une catégorie à part, peu lisible pour les financeurs comme pour les assurances professionnelles.

Peu de droits, mais des contrôles renforcés

Le micro-entrepreneur paie ses cotisations sociales mensuellement ou trimestriellement. Mais ce paiement proportionnel n’ouvre que des droits très partiels. Les arrêts maladie sont peu indemnisés, la retraite reste modeste, et le droit au chômage est quasi inexistant. L’allocation des travailleurs indépendants (ATI), instaurée en 2019, plafonnée à 800 € par mois sur six mois, est soumise à des conditions si strictes qu’elle n’a concerné que 911 bénéficiaires en 2021 selon la DARES.

Parallèlement, les contrôles se multiplient. En 2023, la Direction générale des finances publiques a augmenté de 20 % les vérifications ciblant les micro-entreprises, notamment celles opérant via des plateformes numériques. Le cas de Deliveroo a largement alimenté la méfiance : en 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé la requalification de contrats de livreurs en salariat déguisé. Cette jurisprudence alimente une suspicion générale sur le statut, même pour ceux qui exercent de manière parfaitement autonome.

Exclus de l’accompagnement public

La majorité des dispositifs publics destinés à soutenir la création ou la croissance d’entreprise – Bpifrance, France 2030, les appels à projets de l’Ademe ou les aides à l’innovation – excluent de fait les micro-entrepreneurs. La FNAE souligne que ces dispositifs exigent la création d’une structure juridique classique (SAS, SARL) pour y accéder. Résultat : des entrepreneurs porteurs de solutions concrètes et actives sur le terrain sont disqualifiés, faute d’un statut juridique conforme aux exigences administratives.

Même les grands programmes de soutien à la transition écologique, comme le plan France Relance, conditionnent les aides à un niveau de structuration juridique et comptable inaccessible à la majorité des auto-entrepreneurs. En 2022, l’Insee comptait pourtant plus d’un million d’actifs sous ce régime, soit un quart de l’ensemble des travailleurs indépendants en France.

Des structures obligées d’en sortir pour exister

Nombre d’acteurs aujourd’hui installés sur le marché ont dû abandonner leur statut de micro-entrepreneur bien avant d’avoir atteint une taille critique. C’est le cas de la plateforme Shine, fondée en 2017, qui s’adressait justement aux indépendants et freelances. Son équipe fondatrice avait initialement envisagé un développement léger en micro-entreprise. Ils ont rapidement créé une SAS pour pouvoir accéder à des levées de fonds, obtenir des agréments réglementaires et contractualiser avec des partenaires financiers. Leur succès a été possible uniquement en renonçant à leur régime initial. 

Même constat pour les fondateurs de LegalPlace, LegalStart ou Freebe : chacun a d’abord démarré dans un esprit d’entrepreneuriat souple et individuel, avant de se structurer juridiquement pour accéder au marché. Le statut de micro-entrepreneur n’a été pour eux qu’un point de départ temporaire, vite abandonné sous la pression des contraintes institutionnelles.

Un modèle institutionnel en décalage avec les usages

Les discours publics promeuvent l’agilité, la prise de risque et l’innovation. Mais le cadre administratif, fiscal et social français continue de privilégier les formes entrepreneuriales classiques. Le succès individuel reste suspect dès lors qu’il s’affranchit des structures habituelles. Pour les travailleurs indépendants, le message implicite est clair : entreprendre oui, mais pas trop. Et surtout, pas seul. L’essor de collectifs comme Indie Workers ou de services comme Portail Auto-Entrepreneur illustre ce besoin d’accompagnement spécifique. 

Ces acteurs pallient les carences du système en proposant du conseil juridique, des outils de facturation, des simulateurs de revenus… autant de services qui devraient être fournis ou facilités par l’État lui-même. En 2023, la plateforme Freebe – dédiée aux freelances – recensait plus de 25 000 utilisateurs réguliers, preuve d’un besoin massif d’encadrement accessible, simple et adapté.

Une précarité renforcée par l’absence de représentation

Les micro-entrepreneurs, bien que omniprésents dans des secteurs comme la livraison, le conseil ou la communication, restent sous-représentés dans les instances de dialogue social. En 2021, l’Union des auto-entrepreneurs a alerté sur l’absence de siège spécifique pour les indépendants dans les discussions relatives à la réforme des retraites. Cette mise à l’écart institutionnelle a pour effet direct de marginaliser leurs besoins dans l’élaboration des politiques publiques. 

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a recommandé en 2023 une meilleure intégration des représentants des indépendants dans les négociations sectorielles. Pour l’heure, aucune mesure concrète n’a été prise. Ce déficit de représentation limite la possibilité d’adapter le régime aux réalités du terrain, accentuant la fragilité des parcours entrepreneuriaux isolés.

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