Demandez à n’importe quel dirigeant ce qu’il pense de la « culture d’entreprise », et vous aurez probablement une réponse enthousiaste. Pourtant, dans les faits, la culture est souvent réduite à des slogans muraux, des valeurs affichées mais peu incarnées ou encore des mantras appris mais oubliés.
La culture d’entreprise est un organisme vivant, pas un PowerPoint. Elle naît des comportements réels, des choix quotidiens, des tensions et des évolutions. Et surtout, elle ne se décrète pas. Elle se construit dans la durée.
Culture déclarée vs culture vécue
Un écart grandissant existe dans beaucoup d’entreprises entre la culture déclarée (ce que l’on dit vouloir incarner comme la « bienveillance », « excellence », « autonomie ») et ce qui est vécu, ce que les collaborateurs vivent vraiment au quotidien (pression, micro-management, silos).
Cet écart génère du cynisme, de la méfiance, de la distance émotionnelle. Créer une culture vivante, revient à réconcilier l’intention et l’expérience réelle.
La culture comme écosystème
Plutôt que de la concevoir comme un cadre rigide, on peut penser la culture comme un écosystème vivant, avec des racines : l’histoire, les motivations fondatrices. Il s’agit d’un sol fertile où les valeurs sont partagées et sincères.
On peut la voir comme les conditions météo où le contexte est le marché et les tensions internes. Certains compare les dirigeants à des jardiniers, des leaders qui cultivent activement la culture où des organismes vivants, les individus, la nourrissent par leurs actes.
Dans cette métaphore, la culture évolue, mute, s’adapte et se réinvente.
Les principes pour une culture vivante
Pour qu’elle reste inspirante, cohérente et mobilisatrice, elle doit être écoutée, incarnée et ajustée en continu. Voici cinq principes fondamentaux pour cultiver une culture vivante et non simplement déclarative :
1/ L’écoute continue
La culture ne se décrète pas d’en haut : elle se capte sur le terrain. Elle s’incarne dans les gestes quotidiens, les décisions informelles, les non-dits, les symboles, les ressentis. C’est pourquoi une culture vivante nécessite des espaces d’écoute réguliers.
Cela peut prendre la forme de rituels de feedback, de temps d’échanges ouverts, de baromètres anonymes, de walk & talk, ou encore de cercles d’observation culturelle. L’enjeu n’est pas seulement de « mesurer l’engagement », mais de sentir les glissements, les signaux faibles, les aspirations émergentes.
Écouter la culture, c’est aussi écouter ses contradictions, ses tensions, ses marges. C’est là que se jouent souvent les évolutions les plus fertiles.
2/ La « congruence » des leaders
La culture ne tient pas d’abord par les mots, mais par les modèles vivants que les collaborateurs observent au quotidien. Si les dirigeants ne vivent pas les valeurs qu’ils affichent, la culture s’effondre — ou devient cynique.
Un principe clé : chaque comportement du management est un message culturel. Prôner la transparence, mais éviter les sujets sensibles. Louer la confiance, tout en micro-manageant les équipes. Parler d’inclusivité, sans remettre en question ses cercles décisionnaires : tout cela sabote la cohérence.
À l’inverse, quand un leader ose reconnaître une erreur, demande un feedback, donne du pouvoir réel ou incarne la vulnérabilité, il fait vivre les valeurs dans le réel. Cette congruence est le socle de toute culture crédible.
3/ L’adaptation constante
Une culture figée est une culture qui meurt lentement. Ce qui a fait le succès d’une startup à 10 personnes peut devenir un frein à 200. Ce qui était adapté à un marché local peut devenir inopérant dans un contexte international.
Pour rester vivante, la culture doit être en mouvement permanent. Cela ne signifie pas renier ses fondements, mais questionner ses formes : certains rituels sont-ils devenus vides ? Certaines valeurs doivent-elles être précisées, enrichies, redéfinies ? Certains comportements jusque-là tolérés sont-ils devenus inacceptables ?
Mettre en place des mécanismes d’ajustement culturel, c’est accepter que la culture évolue avec l’organisation, sans perdre son âme.
4/ La transparence sur les tensions
Dans beaucoup d’organisations, la culture officielle masque des réalités inconfortables : des écarts entre discours et pratique, des tensions non verbalisées, des dilemmes éthiques tus. Or, une culture vivante intègre ses contradictions.
Plutôt que de cacher ou nier les tensions, il s’agit de les rendre visibles, discutables, transformables. Cette transparence crée de la maturité collective. Elle transforme la culture en un espace de vérité partagée, et non de façade institutionnelle.
5/ La célébration de ce qui fonctionne
La culture ne se transmet pas uniquement par les valeurs écrites, mais par les histoires qu’on raconte, les comportements qu’on valorise, les moments qu’on célèbre. Une culture vivante sait reconnaître et amplifier les signaux positifs. Il ne s’agit pas seulement de féliciter les résultats, mais de mettre en lumière les attitudes alignées avec la culture : un acte de courage, une coopération réussie, une gestion de conflit constructive, un feedback donné avec justesse.
Créer des « histoires culturelles » ou des récits réels qui incarnent les valeurs, donne une chair vivante à la culture. Ces histoires deviennent contagieuses. Elles inspirent, elles guident, elles transmettent.
Culture figée = culture morte
Beaucoup d’entreprises créent un « manuel culturel » comme un document figé. Mais dans les faits, cela fige le vivant : ce qui devrait évoluer devient dogmatique.
Voici quelques exemples de dérives :
- “On est comme une famille” → refus de confronter, de se séparer.
- “Chez nous, c’est la performance avant tout” → surcharge chronique, départs en série.
- “On est tous alignés” → disparition de la diversité de pensée.
La culture vivante, elle, accueille le désaccord, les évolutions, les paradoxes.
Le rôle central des dirigeants
Créer une culture vivante, c’est un travail de jardinage permanent.
Cela implique pour les dirigeants de renoncer à tout contrôler, d’accepter de ne pas tout savoir, d’écouter les signaux faibles voire d’ajuster leur posture en fonction du climat réel. Ce n’est pas une posture de surplomb, mais une posture d’attention et d’évolution.