Longtemps considéré comme une condition pour émerger dans un marché saturé, le storytelling ne s’impose plus avec la même évidence. De plus en plus d’entreprises choisissent aujourd’hui de ne pas raconter, mais de prouver. Ce changement de cap ne repose pas sur un rejet de la communication, mais sur une volonté de précision, de sobriété, et surtout de cohérence. Quand la promesse est claire, la démonstration peut suffire.
Faire de la performance une stratégie éditoriale
Une entreprise qui refuse le récit n’est pas silencieuse pour autant. Elle privilégie un discours d’action, fondé sur des preuves. Mais cette approche exige un niveau d’exécution sans faille. Les résultats doivent être quantifiables, les engagements tenus, les indicateurs maîtrisés. À défaut, l’absence de narration devient un aveu d’inconsistance. La parole non fictionnelle demande une rigueur supérieure : aucun effet de style ne vient camoufler les approximations.
Airbus a structuré sa communication corporate sur cette logique. Ses livrables, ses rapports d’activité et ses engagements ESG sont conçus comme des supports d’information, pas comme des vecteurs émotionnels. La performance opérationnelle du groupe, sa capacité à tenir des jalons critiques et à livrer des appareils certifiés selon les exigences les plus strictes, constituent à eux seuls une identité de marque perçue comme robuste et engagée. Ce choix se traduit également dans la façon dont les filiales s’expriment : chacune s’aligne sur des formats standardisés, orientés résultat, sans superposition de récits fondateurs ou d’histoires de marque.
Communiquer sobrement ne signifie pas s’effacer
L’absence de mise en scène ne revient pas à l’effacement. Ce positionnement séduit particulièrement des publics exigeants, peu sensibles à l’émotion et très attentifs à la constance. C’est notamment le cas dans l’ingénierie, l’infrastructure, ou la santé, où la marque s’exprime avant tout par la solidité de ses solutions. Mais même dans ces environnements, un minimum de lisibilité est attendu. Il ne s’agit pas de raconter, mais de rendre visible la valeur ajoutée, par des formats lisibles, une documentation claire, des preuves d’impact.
Suez, acteur majeur du traitement de l’eau et des déchets, incarne cette exigence de sobriété maîtrisée. L’entreprise privilégie des formats clairs, des données environnementales certifiées, des démonstrateurs techniques. Chaque publication met en avant des résultats obtenus, une capacité à livrer des projets complexes, sans recours à une mise en scène narrative. Cette posture se retrouve aussi dans le choix de ses supports : site web épuré, documentation contractuelle rigoureuse, absence de tonalité affective dans les communications internes. La marque ne cherche pas à séduire, elle cherche à être comprise.
Renoncer au récit, mais pas au sens
Éviter le storytelling ne signifie pas renoncer à tout effort de projection. Une marque doit rester lisible, identifiable, compréhensible. L’abandon du récit impose alors de redoubler d’attention sur les éléments de langage, les canaux utilisés, le rythme des prises de parole. L’intention stratégique doit être perceptible, même si elle n’est pas scénarisée. C’est souvent sur ce point que la démarche échoue : ne rien raconter, mais ne rien expliquer non plus.
Chez Bouygues Construction, la communication institutionnelle repose sur une pédagogie rigoureuse des engagements, notamment dans les domaines carbone, biodiversité et sécurité. Chaque orientation stratégique est documentée, expliquée, et associée à des indicateurs concrets. Le message n’est jamais incarné par une histoire personnelle : il est porté par des arbitrages rendus explicites, des résultats chiffrés, et une volonté de clarté dans la conduite du changement. Cette stratégie s’applique jusque dans les appels d’offres, où chaque ligne de réponse vise à démontrer une maîtrise, et non à construire une image symbolique.
Faire émerger une identité sans mise en scène
Toute entreprise a besoin d’un axe fort. Le récit peut le servir, mais il n’est pas indispensable. Une identité de marque peut aussi émerger d’une logique documentaire, d’un vocabulaire spécifique, d’une stabilité dans les supports produits. Certaines entreprises françaises ont réussi à bâtir leur notoriété sans jamais recourir à une figure emblématique, à une genèse fondatrice ou à une fiction valorisante. Leur singularité vient d’un discours net, maîtrisé, dont la clarté devient une marque de fabrique.
C’est notamment le cas de Safran, équipementier aéronautique et défense. L’entreprise s’appuie sur un discours homogène entre ses filiales, fondé sur la maîtrise technologique, les délais tenus, et les certifications obtenues. La marque ne repose ni sur une saga familiale ni sur un imaginaire collectif. Elle s’affirme à travers un vocabulaire constant, une documentation de haut niveau, et une exigence formelle dans tous les supports. Cette cohérence est prolongée jusque dans les documents internes de formation, où la neutralité du ton, la précision des formulations et la logique d’exposition participent à installer une culture sans emphase, mais pleinement identitaire.
Privilégier la lisibilité à la mise en récit
Une marque qui choisit de ne pas raconter doit redoubler d’effort sur la structuration de son message. Il ne suffit pas de s’en remettre aux produits, aux chiffres ou aux communiqués techniques. La lisibilité devient un enjeu central. Cela passe par des formats éditoriaux adaptés, par un plan de diffusion cohérent, et par une capacité à adapter la preuve à chaque public. Le discours doit être intelligible sans recours à l’artifice.
Dans le groupe Orange, les efforts menés depuis plusieurs années pour clarifier l’offre de services aux entreprises illustrent ce basculement. Les supports ont été allégés, les termes techniques expliqués, les parcours de lecture digitalisés. La marque capitalise sur une documentation claire, une expérience utilisateur fluide et des engagements tenus. Le récit s’efface au profit de la compréhension immédiate. Et cette orientation éditoriale, quand elle est tenue dans la durée, devient une identité en soi. À mesure que les prises de parole gagnent en lisibilité, l’entreprise renforce sa promesse implicite : rendre accessible ce qui était opaque, structurer ce qui semblait dispersé.