En 2025, créer une entreprise n’a jamais été aussi simple… ni aussi complexe. D’un côté, les outils no-code, l’IA générative et les plateformes de distribution mondiale réduisent les barrières techniques. De l’autre, l’accès au financement s’est durci : les levées de fonds ont reculé en France de –36 % entre 2022 et 2024 selon France Digitale, et les investisseurs recherchent désormais moins la vitesse que la preuve de rentabilité. Dans ce contexte, un mot revient dans la bouche des entrepreneurs : bootstrapping.
Longtemps considéré comme une stratégie « par défaut », le bootstrapping, financer son projet avec ses propres ressources et son chiffre d’affaires, devient aujourd’hui un choix assumé, presque un manifeste entrepreneurial. Loin du mythe de la croissance exponentielle financée par des millions, il raconte une autre histoire : celle de celles et ceux qui avancent par étapes, qui optimisent avant de lever, qui préfèrent le contrôle à l’hypercroissance.
1/ Le retour d’un modèle sous-estimé
L’année 2025 marque un tournant. Beaucoup d’entrepreneurs, échaudés par l’augmentation des taux d’intérêt et l’exigence accrue des investisseurs, comprennent que courir après un tour de table peut parfois ralentir plus que faire avancer.
D’après une étude Stripe & Indie Hackers (2024), 68 % des créateurs de SaaS en Europe déclarent privilégier le bootstrapping au lancement. Et ce chiffre s’explique : de plus en plus de projets nécessitent moins de capital initial qu’il y a dix ans. Une boutique Shopify peut se lancer pour 50 € par mois. Un outil SaaS peut être créé en quelques semaines avec Bubble, WeWeb ou Locofy. Une campagne marketing peut reposer sur des micro-influenceurs à faible coût ou sur du contenu organique.
En clair : le coût de l’expérimentation n’a jamais été aussi bas. Le coût de la dépendance à un investisseur, lui, reste élevé.
2/ Une histoire d’entrepreneurs avant d’être une histoire de chiffres
Ce mouvement, on le voit particulièrement en France. Beaucoup d’entrepreneurs racontent la même scène : un fichier Excel ouvert tard le soir, une marge recalculée dix fois, une question qui revient en boucle : “Est-ce que je peux tenir seul quelques mois de plus ?”
En 2025, le bootstrapping est moins une privation qu’une stratégie. Il permet de tester une vision sans la déformer sous la pression de la croissance immédiate.
Dans une enquête de Bpifrance Le Lab (2024), 54 % des dirigeants français disent vouloir conserver la majorité de leur capital le plus longtemps possible, contre 41 % en 2019.
Cette évolution culturelle est forte : elle traduit un désir de maîtrise, mais aussi une méfiance nouvelle vis-à-vis de l’hypercroissance.
3/ Les chiffres qui expliquent pourquoi le bootstrapping fonctionne
Beaucoup d’études récentes montrent qu’un démarrage financé par ses clients peut être plus solide qu’un démarrage financé par des investisseurs.
• La durabilité : un atout majeur
Selon une analyse de CB Insights (2024), les startups bootstrappées ont 3 fois plus de chances d’être encore actives après 5 ans que celles dépendant entièrement d’un financement externe.
Raison ? Une croissance contrainte, donc plus rationnelle.
• La rentabilité vient plus tôt
D’après l’analyse européenne de SaaS Capital (2024),
- les startups financées par VC atteignent la rentabilité en 7 à 9 ans,
- les startups bootstrappées atteignent la rentabilité en 2 à 4 ans.
L’absence de dilution impose des choix pragmatiques : optimiser les coûts, facturer tôt, améliorer en continu.
• Les clients comme source de financement
Dans les startups européennes bootstrappées, plus de 70 % du financement des premières années provient directement du chiffre d’affaires, selon l’étude Indie European Founders (2024). En d’autres termes, les clients deviennent les « investisseurs naturels ».
4/ Les avantages concrets (qui dépassent la simple économie)
1. Liberté stratégique
Pas de roadmap imposée, pas d’objectifs trimestriels dictés, pas de pivot forcé pour plaire à un investisseur. On avance au rythme du marché réel, pas de celui d’une présentation PowerPoint.
2. Meilleure qualité de produit
Un produit qui se construit en bootstrapping se construit en lien direct avec ses utilisateurs. On élimine le superflu. On améliore ce qui compte vraiment.
3. Moins de pression psychologique
Certes, le bootstrapping demande des sacrifices. Mais il retire une pression énorme : celle de « devoir réussir vite ». Quand le but n’est plus d’impressionner un board, mais d’apporter de la valeur à un client réel, l’énergie change.
4. Une croissance plus organique, donc plus stable
Une étude de Harvard Business Review (2023) montre que les entreprises ayant une croissance organique initiale ont 40 % de risque de faillite en moins durant les dix premières années.
5/ Les limites qu’il faut connaître
Le bootstrapping n’est pas un conte de fées. Il pose des défis réels.
1. La lenteur assumée
Le bootstrapping implique de prendre le temps. Parfois trop de temps. Sur des marchés où « le premier à atteindre l’échelle critique gagne », cela peut être un handicap.
2. Le risque d’épuisement
Financer seul, gérer seul, avancer avec peu de ressources peut user. En France, selon l’Observatoire Amarok (2024), près d’un entrepreneur sur deux dit avoir vécu une période d’épuisement mental dans les deux premières années.
3. Les barrières dans certains secteurs
Impossible de bootstrapper tout : industrie lourde, biotech, hardware complexe…
Certains projets nécessitent du capital massif.
6/ Bootstrapping + levée de fonds : le modèle hybride qui domine en 2025
Ce qui change en 2025, c’est que beaucoup d’entrepreneurs ne voient plus le bootstrapping comme une alternative à la levée, mais comme la première étape logique avant une levée intelligente.
Le modèle devient :
- Lancer le produit avec le minimum.
- Financer les premiers mois via les clients.
- Valider la traction et optimiser les coûts.
- Lever des fonds uniquement pour amplifier ce qui marche vraiment.
Une étude de SeedLegals (2024) montre que 42 % des levées de fonds en Europe concernent désormais des startups déjà rentables ou proches de l’être.
Autrement dit : les investisseurs financent moins les idées, plus les preuves.
7/ Le futur appartient-il aux bootstrappers ?
On pourrait croire que le bootstrapping est une tendance marginale. Mais les signaux s’accumulent :
- Les plateformes créateurs (Gumroad, Substack, Kajabi) explosent.
- Les micro-SaaS se multiplient grâce à l’IA.
- Le freelancing continue de croître (+9 % en France entre 2023 et 2024 selon Eurostat).
- Les entrepreneurs cherchent la maîtrise plutôt que la dilution.
Le paysage de l’entrepreneuriat n’est plus dominé par les tours seed spectaculaires, mais par des centaines de milliers de petites structures solides, rentables, exportables.
Le bootstrapping n’est plus un plan B. C’est un plan A pour ceux qui veulent créer vraiment.
