Interview de Marie-Hélène Dick, Présidente de Panpharma et Virbac

Rencontre avec Marie-Hélène Dick, présidente des entreprises Panpharma et Virbac, qui ont été fondées par son père. Après le décès de ce dernier, la jeune femme a restructuré le groupe familial et en a fait un des fleurons de l’industrie pharmaceutique française. 

Quel a été votre parcours avant l’entrepreneuriat ?

J’ai un parcours scientifique. Formée à l’école vétérinaire de Nantes, je suis passionnée par la recherche. J’ai notamment rejoint l’équipe de l’Institut Pasteur et participé à la recherche d’un vaccin contre le paludisme. Mais je me suis aperçu au fil du temps que la recherche n’était pas vraiment pour moi. Le virus de l’entreprise est le plus fort. Mon père, entrepreneur charismatique, était un modèle, il m’a donné envie de devenir mon propre patron. Je me suis donc lancé en 1990 dans une formation complémentaire en suivant un MBA à HEC. à la sortie, en 1991, j’ai travaillé dans un laboratoire pharmaceutique où j’ai fait de la vente et du marketing.

En 1992, un accident vient marquer votre vie…

Oui. Le 1er mai de cette année-là, mon père est décédé d’une attaque cardiaque. J’avais 27 ans. Il possédait deux entreprises. La première, Virbac, un groupe spécialisé en santé animale, avait été fondée en 1969. Elle faisait à l’époque 130 millions d’euros de chiffre d’affaires et comptait 1 000 collaborateurs. Elle est aujourd’hui co-sponsor avec Saint-Michel, d’un bateau skippé par mon frère Jean-Pierre. La seconde entreprise, c’est Panpharma, fabricant de produits pharmaceutiques injectables, qui avait été fondée en 1983. En compagnie de mes frères et sœurs, et avec l’aide de mon mari, nous avons décidé de reprendre le flambeau.

Comment s’est déroulée la reprise des activités familiales ?

D’un point de vue patrimonial, mon père avait bien préparé les choses. Nous avons donc pu garder les entreprises. En revanche, d’un point de vue gestion, il n’y avait pas de numéro 2 clairement identifié au sein des deux entités. Il a donc fallu restructurer les entreprises alors que nous étions tous très jeunes : mes frères avaient 23 et 25 ans, et moi 27. La tâche n’a pas été simple, d’autant que nous avons eu beaucoup d’offres de rachat à l’époque. On nous a dit que nous n’y arriverions pas, que mon père était trop charismatique et qu’il avait marqué son entreprise à vie. Les banquiers nous ont même conseillé de vendre ! Mais comme nous sommes tous des batailleurs persévérants dans la famille, ces réactions nous ont donné le goût de poursuivre cette aventure qui avait été écrite avant nous. Comme j’étais formée, j’ai pris les rênes et mon mari, chef d’entreprise lui aussi, nous a énormément aidés dans ce voyage semé d’embûches.

Comment avez-vous réorganisé les entreprises ?

Je me suis beaucoup appuyé sur les équipes en place pour aller dans le bons sens. Chez Virbac, nous avons changé le mode de gouvernance et désigné un président du directoire. Quant à Panpharma, je me suis attelée au recrutement de nouveaux collaborateurs pour m’aider. Constamment dans mon parcours, j’ai cherché à m’entourer de personnes qui ont du talent et qui savent jouer en équipe. Je refuse de recruter des égos surdimensionnés. Je préfère des personnalités passionnées et engagées dans ce qu’elles font. J’ai également restructuré l’activité de Panpharma au sens large en interrompant certaines activités non rentables et des projets de recherche trop coûteux.

En 1996, le destin vous frappe une nouvelle fois…

Cette année-là, un incendie a complètement détruit la seule usine de production de Panpharma. 100 % de notre chiffre d’affaires provenait de là ! Nous savions que les délais pour la reconstruire allaient être colossaux, donc nous nous sommes sérieusement demandé si nous voulions repartir de l’avant. Personnellement, j’avais envie d’essayer. En quelque sorte, une nouvelle aventure s’offrait à moi. J’avais l’opportunité de repartir de zéro et de remonter un projet de A à Z. Malheureusement, nous avons dû licencier une bonne partie du personnel. Pendant les 18 mois qu’ont duré les travaux, j’ai trouvé les financements et quand la nouvelle unité de production de médicaments stériles a été terminée, nous avons redémarré l’activité avec une équipe réduite d’à peine 15 personnes.

Quelles ont été les principales étapes de développement des entreprises jusqu’à aujourd’hui ?

D’abord en ce qui concerne Panpharma, nous avons racheté entre 2000 et 2002 deux entreprises pour compléter notre offre de médicaments injectables à usage hospitalier. L’une se situe en Allemagne, l’autre en Bretagne, à Beignon. Alors que jusqu’à présent, nous avions une stratégie très exportatrice, avec une faible présence en France, nous avons décidé en 2007/2008 de changer de cap. Nous avons opté pour vendre plus dans l’Hexagone et en Europe, plutôt que vers d’autres pays qui valorisaient moins la qualité de nos produits. Enfin, nous développons continuellement nos ventes à l’hôpital. Nous nous sommes donnés pour objectif de sortir au moins trois nouveaux produits par an. Au global, nous avons su développer un laboratoire pharmaceutique d’une taille significative avec un chiffre d’affaires au-delà des 100 M€. Quant à Virbac, le développement est continuel année après année depuis les débuts. Tous les ans, nous essayons de compléter notre développement par l’acquisition de sociétés ciblées. Aujourd’hui, nous sommes implantés dans 80 autres pays avec 30 filiales. L’entreprise a réalisé 852 millions de chiffre d’affaires en 2015 et compte 4 500 collaborateurs.

Quel regard portez-vous sur votre secteur aujourd’hui ?

Il s’agit d’un secteur de mastodontes ! Les leaders mondiaux de la pharmacie ont des moyens considérables. Mais cela constitue également une opportunité pour des entreprises familiales comme les nôtres, car nous avons la possibilité de nous affirmer comme un spécialiste dans un domaine en particulier. Un second aspect de ce secteur : il est par nature international. Quand vous vous lancez, il faut viser le monde immédiatement. Aujourd’hui, moins de 10 % du chiffre d’affaires de Virbac est réalisé en France. Panpharma est présent dans 100 pays, la France ne représentant que 40 % du chiffre global. Enfin, il s’agit d’un secteur en croissance ! C’est globalement plus simple de se développer sur un marché porteur.

Comment parvenez-vous à innover encore aujourd’hui ?

Panpharma possède une gamme de 40 produits, dont 20 antibiotiques. Nous sommes devenus leaders en la matière car nous sommes les seuls à fabriquer encore un certain nombre d’antibiotiques. Le marché a été abandonné par de nombreux laboratoires ! Au total, 32 antibiotiques ont été arrêtés en France sur les 10 dernières années et seulement 2 nouveaux ont été produits. Il s’agit là d’un véritable problème de santé publique. Notre objectif consiste à remettre sur le marché des antibiotiques oubliés chez Virbac, 7 % du chiffre d’affaires est investi en R&D chaque année. Nous possédons des centres de recherche sur les 5 continents pour nous adapter aux besoins locaux spécifiques.

Comment fait-on pour s’imposer à la tête d’une entreprise alors que l’on est une héritière ?

Ce n’est pas parce qu’on est héritier qu’on est légitime. Les preuves que vous l’êtes se voient dans la durée. Il faut montrer ce que vous savez faire, vos compétences et surtout, votre attachement à l’entreprise. Chez Virbac, certains membres des équipes étaient en place depuis 30 ans. Ils se sentaient donc légitimement les héritiers de l’entreprise. C’est pour cela qu’il est important de montrer que nous aussi nous y étions attachés et que l’on voulait construire un projet sur le long terme avec eux. D’une manière générale, ce n’est pas facile de diriger des collaborateurs qui vous ont connue quand vous étiez enfant. Parfois, vous ne pouvez réellement prendre le pouvoir qu’en mettant en place une ou deux personnes que vous recrutez vous-même. Le dirigeant que nous avons mis en place il y a 16 ans, Éric Marée, est par exemple toujours aux manettes de Virbac. Les entreprises familiales ont besoin d’une certaine stabilité. On ne change pas de collaborateurs tous les quatre matins !

Que représente l’entrepreneuriat pour vous ?

L’entrepreneuriat, c’est la construction de projets, la prise d’initiatives, le développement de boîtes. J’ai cet état d’esprit en moi depuis ma naissance je crois. Et je la transmets autour de moi ! Chez Panpharma, nous avons 5 valeurs différentes et l’entrepreneuriat en fait clairement partie ! Toute l’entreprise doit être tournée vers cet objectif. C’est vital pour une société familiale qui se veut agile face aux concurrents qui sont des géants. Pour y parvenir, nous testons aussi cette valeur chez nos collaborateurs.

Est-ce facile de gérer une entreprise en famille ?

Pour gérer une entreprise familiale, il faut des règles de gouvernance assez strictes. Par exemple, nous avons créé un conseil de famille indépendant, qui ne fait pas partie de l’entreprise. Au sein de la société, nous avons séparé les prérogatives et les expertises au travers d’organes de gestion, d’un directoire, d’un conseil de surveillance. L’idée générale, c’est de ne pas mélanger les genres. Il faut aussi clairement désigner un leader parmi nous.

Comment parvenez-vous à concilier vie professionnelle et vie personnelle ?

Il faut une bonne santé et beaucoup d’organisation ! J’ai quatre enfants qui sont grands aujourd’hui, ce qui me laisse plus de liberté pour réaliser mes projets. Quand ils étaient plus petits, il y a eu des moments plus compliqués pour concilier les deux, mais j’étais bien entourée sur le plan professionnel et personnel, ce qui m’a permis de déléguer ce qui pouvait l’être et d’assurer la continuité de l’activité sans problèmes. De toutes les façons, quand vous êtes passionné par ce que vous faites, vous vous en sortez, quelles que soient les difficultés !

Comment vous voyez-vous dans quelques années ?

Ce qui compte en priorité, c’est le développement des entreprises et dans ce cadre, leur performance économique est la clé, car c’est le gage de notre indépendance. En faisant des bénéfices, nous pouvons réinvestir dans la recherche, les acquisitions et les investissements de nos usines. J’aimerais que les deux entreprises continuent de devenir de plus en plus internationales, plus agiles, qu’elles soient capables de s’adapter aux nouvelles tendances. D’un point de vue personnel, je trouve essentiel de cultiver le projet familial. J’ai envie de donner le goût de l’entrepreneuriat à la nouvelle génération de petits-enfants, pour qu’ils prennent le relais. Mais attention, je ne veux pas les contraindre. L’essentiel, c’est que chacun trouve sa place. Nous avons un modèle, la famille Mulliez, qui a fondé le groupe Auchan. Tout en restant discrets, nous voulons favoriser tous les projets entrepreneuriaux de la famille. Nous espérons qu’il y aura d’autres Virbac et Panpharma à l’avenir.

Vos enfants pensent-ils déjà à entreprendre ?

Oui, clairement. Ma fille aînée a 23 ans, elle termine sa formation en Angleterre et pense déjà à créer quelque chose. Ma deuxième est médecin et préside une association. Mes enfants possèdent ce goût pour la création de projets, pour l’entreprise. Ils entreprendront sûrement dans leur domaine. Mais ce n’est pas une fin en soi. Ce qui nous importe, c’est qu’ils soient heureux dans leur quotidien. J’ai vu trop de personnes rentrer dans des entreprises familiales par contrainte. Cela ne fonctionnait pas bien, ni sur la plan personnel, ni sur le plan économique !

4 Conseils Marie-Hélène Dick

« Quand vous êtes passionné par ce que vous faites, vous vous en sortez, qu’elles que soient les difficultés ! »

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