Interview de Malamine Koné, PDG d’Airness

Que pensez-vous de la jeunesse actuelle dans l’entrepreneuriat ?

Une véritable énergie positive se dégage de la jeunesse. La jeunesse cherche le chemin de la reconnaissance, elle a besoin de prouver beaucoup de choses, besoin d’être écoutée. Cette jeunesse a plein de choses à dire et elle a juste envie qu’on lui en donne les moyens.

Mettez-vous en place des actions pour aider ces jeunes ?

Je vais être le parrain de « créa’jeunes », qui est un projet mis en place par une association de micro finances. Dans ce cadre, nous allons créer un prix spécial M.Kone pour récompenser et justement encourager les jeunes. J’ai longtemps réfléchi à ce que j’avais à transmettre à la jeunesse. Il est vrai qu’aujourd’hui certaines personnes me présentent comme un modèle et, personnellement, je désire vraiment restituer tout cela à la jeunesse parce que je pense qu’elle le mérite et qu’elle a envie de réussir. Elle possède un véritable dynamisme auquel je veux contribuer.

Quelle a été votre force, votre motivation ?

Je n’ai pas eu de banques derrière moi, mais j’avais la foi : pour réussir, il faut croire en son projet. Lorsque l’on y croit, c’est plus fort que tout. Je savais que je n’allais pas obtenir de prêt bancaire alors je suis allé vendre mon histoire à un fabricant de vêtements. Je lui ai demandé de me fabriquer seulement 5 sweat-shirts et lui ai proposé d’aller moi-même démarcher les magasins. Si jamais j’avais des commandes, elles lui seraient facturées directement il prendrait les recettes, et moi, il me suffisait qu’il me rembourse mes tickets de transport…Mon seul désir était de voir un jour les gens porter ma ligne de vêtements. Je ne m’imaginais même pas que je pouvais gagner de l’argent avec… C’est comme cela que mon aventure a commencé.

Pour se lancer dans un projet, faut-il préférer la rentabilité ou la passion ?

Il faut se lancer dans un projet pour deux raisons : tout d’abord parce qu’on en a envie ; parce qu’on a une passion pour ce projet mais également parce que ce projet peut contribuer à la société.
Ce sont les deux éléments qu’il faut prendre en compte. C’est la jeunesse qui fait le monde, le monde n’avancera pas sans elle. De fait la jeunesse doit penser à réaliser des actions pour continuer à faire avancer le monde.

Avez-vous toujours eu la fibre entrepreneuriale ?

Pas du tout, à la base je suis un sportif. Je voulais être inspecteur de police puis commissaire. Mon DEUG de droit, c’était pour rentrer dans la police. Mais l’accident arriva : il eut lieu près de Béziers, lorsque nous fêtions, avec mes amis, ma présélection pour les Jeux Olympiques d’Atlanta de 1996. Ce fut un très grave accident : 12 opérations au genou gauche. A ce moment-là tous mes rêves se sont envolés. Il m’a fallu penser à faire autre chose ! Et je ne voulais surtout pas tomber dans la fatalité. C’est d’ailleurs ce que je souhaite dire à la jeunesse : la volonté doit toujours être plus forte que la fatalité. C’est le fait d’être sportif mais aussi d’avoir vécu autant de temps dans les quartiers qui m’a aidé. Certes, on parle souvent négativement des quartiers ; mais, dans les quartiers on doit tous se faire une place. Le quartier c’est le reflet de la société : il faut se battre tous les jours pour gagner sa place, réussite ou non. Et ma combativité, je l’ai acquise dans les quartiers.

Mon entreprise s’est développée en 6 ans, très rapidement alors que je n’avais pas de notion de gestion. Et je voudrais insister sur le point indispensable qu’est l’éducation : si j’ai réussi, c’est parce qu’au départ il y a eu une écoute des parents. Après mon arrivée en France, nous avions une grande chance : celle de pouvoir aller à l’école, d’avoir des aides…

Vous avez-su saisir votre chance ?

Et cette chance là : il faut absolument la saisir. Pourquoi se mettre des barrières ? Pourquoi se répéter : « parce que je suis noir… » ; « parce que j’habite dans une cité… » On ne peut pas réussir en se disant cela. On se met une barrière qui permet aux autres de réussir et, de fait, on se pénalise soi-même. Si je n’avais pas eu l’audace et le culot de créer ma propre ligne de vêtements, d’en faire une marque de sport et d’avoir osé essayer de concurrencer Nike et Adidas, eh bien jamais je n’aurais pu accéder à la place à laquelle je suis aujourd’hui.

Le plus important dans la vie c’est d’avoir la santé, parce que l’intelligence est également répartie. Personne n’est réellement plus intelligent que l’autre et chacun de nous a une valeur ajoutée. Ce que je peux conseiller à la jeunesse c’est : « Travaillez ensemble ! ». Nous sommes tous complémentaires. Il nous faut apprendre à assembler nos valeurs ajoutées.

Comment conciliez-vous la gestion d’entreprise et l’engagement ?

Ce n’est pas difficile, tous les pays que je visite sont sous contrats avec la marque Airness, notamment j’ai 8 sélections en Afrique, bientôt j’en aurais un peu plus. C’est plutôt du mécénat, on ne se rend pas encore compte qu’une équipe nationale : c’est l’image du pays. Je crois que c’est important de le faire partager, car pour moi la réussite c’est quelque chose qui doit se partager.

Pour moi c’est un code d’honneur, je dois partager ma réussite avec les Français parce que je dois tout ce que j’ai aujourd’hui à la France, et je dois bien évidemment la partager avec l’Afrique parce que c’est une fierté, c’est une marque française mais c’est aussi la marque d’un jeune africain (Magreb et Afrique noire confondus). C’est pour dire à tous ces africains qui ont aussi envie de se battre et de dire qu’en Afrique il n’y a pas que la misère et que nous sommes aussi capables de réussir.

Attention ! Il ne faut pas non plus se servir de mon exemple pour dire : « il faut venir en Europe ! ». Si on vide le pays alors qui pourra le construire ? En Afrique existent d’immenses opportunités : il faut juste s’en donner les moyens. Ce qui bloque ce sont les manques de moyens. Nous voulons être à l’écoute afin de bien répondre à tous les besoins. Le prix « M. Kone » sera tout d’abord remis à des français et, si ce prix obtient tout le succès que nous espérons, nous pourrons alors le remettre à des africains.

Pensez-vous que les gens peuvent se former à l’entrepreneuriat ?

Je crois que c’est quelque chose d’inné. On peut se former à tout mais c’est quelque chose d’inné. On peut se former dans la mesure où on a la volonté. Mais on s’improvise pas chef d’entreprise. Il y a la rigueur dans la gestion. Beaucoup espèrent gagner de fortes sommes tout de suite. Or il faut savoir qu’on perd plus d’argent qu’on en gagne. Il m’a fallu apprendre sur le tas.

Avez-vous eu des soutiens ?

Ma famille, mes amis, mon équipe, je pense qu’encore une fois la réussite c’est d’abord la volonté d’un homme, puis elle se concrétise par le travail d’une équipe. La réussite n’est jamais solitaire. Au début j’ai juste été voir des gens et je leur ai dit que je voulais avoir la première marque française de sport, et j’ai écouté ceux qui me disaient que c’était une bonne idée et qui voulaient travailler avec moi, j’écartais ceux qui réfléchissaient trop, car quand on veut entreprendre, hésiter n’est pas bon. Il faut foncer lorsque l’on a la foi et le projet.

Voilà comment je me suis entouré au début. Je répète toujours qu’il vaut mieux essayer avant de conclure. Le message que je porte à la jeunesse c’est aussi que si l’argent n’a pas d’odeur, la réussite n’a pas de couleur. Je l’ai exprimé naturellement ainsi au Sénat, mais c’est tellement important de le dire. Tout le monde est au même niveau et c’est une façon de lutter contre ce racisme qui monte en puissance. C’est nous-même qui contribuons au développement du racisme : il faut que nous arrêtions de nous sous-estimer ; de nous dénigrer. Il faut montrer que nous sommes intelligents, que nous méritons notre place. Les mentalités vont changer doucement. Soyons patients, mais travaillons. Il faut se l’ancrer dans la tête.

Quelles valeurs doivent avoir les entrepreneurs ?

Il faut être rigoureux dans le travail, dans la gestion, être persévérant parce que l’abnégation c’est très important, aimer le travail, être créatif car l’originalité, pouvoir se dépasser soi-même.

Pensez-vous qu’on peut encore entreprendre en France ?

Ce n’est pas bloqué, il y a de la place. Justement le prix M.Kone aura une spécificité. Il récompense les créations d’entreprises mais aussi la reprise d’entreprises. Parce qu’en France, il existe plus de 500 000 entreprises qui souffrent et qui vont passer la main. Donc il faut former les jeunes dès maintenant à reprendre ces firmes. Il s’agit de 500 000 entreprises potentielles pour demain, c’est à ces entreprises qu’il faut apporter une originalité. Il ne faut pas uniquement parler de création d’entreprise. Aussi, il est nécessaire de se concentrer sur ce que nos parents ont déjà créé pour le développer à notre manière : c’est ce que j’appellerais « le second souffle » dans la création d’entreprise. Je veux personnellement axer ma stratégie vers ce domaine car je trouve qu’on n’en parle pas assez souvent.

Et aujourd’hui, c’est quoi votre plus grande fierté ?

C’est de partager ce que je gagne avec les gens.

Quels sont les conseils que vous donneriez à de futurs entrepreneurs ?

Avec du travail et de l’abnégation, aucune barrière n’est infranchissable. Le premier club de football français, le Havre, créé en 1872 a fait appel à Airness. Ils ont dit qu’ils étaient le premier club français et qu’ils voulaient travailler avec la première marque française. Ils n’ont pas cherché à connaître les couleurs, la banlieue…Ils ont dit « ok » c’est très bien ce que vous faites. Donc cela c’est le travail. Il faut aussi savoir s’entourer, faire confiance aux copains et aussi savoir orienter les copains : marcher ensemble créer un effet de force.

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