Interview d’Antoine Loron, Président et co-fondateur de Hublo. Créée en mai 2020 à partir de la fusion de Whoog et medGo, l’entreprise Hublo annonce un tour de table de 22 millions d’euros auprès de Revaia (ex Gaia Capital Partners) et du fonds allemand Acton Capital afin de consolider sa position en France et en Allemagne ainsi que d’accélérer son expansion à l’international.
Comment est-ce que l’idée vous est venue ?
L’idée nous est venue fin 2016 parce que ma mère était kinésithérapeute et faisait essentiellement des remplacements. Les sites qu’elle utilisait pour trouver des remplacements étaient un peu compliqués et n’étaient pas forcément très opérationnels. Nous avons donc voulu créer une plateforme plutôt pour les libéraux. Quand nous avons proposé cette solution avec mon associé Adrien, à des établissements de santé, ils nous ont expliqué que ce n’était pas tout à fait ce dont ils avaient besoin, mais qu’ils avaient une vraie problématique de gestion des remplacements pour les infirmiers/infirmières, aides-soignants/soignantes et qu’ils avaient besoin d’un outil de gestion des remplacements.
C’est à ce moment-là que nous avons pivoté et que nous avons redéveloppé le produit avec Adrien, Chris, qui nous avait rejoints, et moi. A l’origine, nous étions une plateforme de mise en relation pour les praticiens libéraux afin que les praticiens installés puissent trouver des remplaçants. Nous nous appelions alors encore MEDGO.
Comment avez- vous rencontré vos associés ?
Cela s’est fait à quelques mois d’intervalle, en l’occurrence. Adrien est un ami d’école de commerce de ma promotion et Chris, nous l’avons rencontré quelques mois après, par hasard sur un groupe Facebook, alors que nous cherchions un troisième associé et CTO. Nous avions demandé à plusieurs amis ingénieurs de poster notre offre d’association sur leur groupe d’anciens élèves d’écoles d’ingénieurs et cela s’est fait naturellement. Nous avons pris un café et cela a démarré tout de suite.
Quelles ont été les étapes suivantes ?
Le pivot, c’est fait début 2017. Nous étions alors trois associés et nous avons signé les premiers clients autour d’avril de la même année. Nous avons commencé par une première levée de fonds de 1 million d’euros qui a eu lieu en octobre 2017 alors que nous avions une trentaine de clients. Elle s’est donc faite essentiellement avec des Business Angels et Kima Ventures. Puis, nous avons eu une accélération et un développement assez rapide, grâce à cette levée de fonds et nos fonds propres jusqu’à mai 2020.
A cette date, nous avons fusionné avec notre principal concurrent qui s’appelait Whoog et à cette occasion, nous nous sommes renommés Hublo. Nous avons continué à grandir, notamment avec une belle croissance et beaucoup d’utilisation pendant la covid puisque la gestion des remplacements était particulièrement critique. Cela nous a amenés en un mois à peine à devoir lever 22 millions d’euros pour accélérer notre développement produit et notre déploiement à l’international.
Pour revenir au début, cela a-t-il tout de suite fonctionné ?
Cela a tout de suite fonctionné. C’est la phase préalable où nous étions sur la gestion des libéraux et où nous n’étions que deux avec Adrien qui a pris du temps. Nous avions du mal à nous positionner et à savoir comment monétiser/quel business model construire. Mais quand nous avons pivoté et développé cette solution pour les établissements de santé et que nous nous sommes associés avec Chris, celui-ci a développé une nouvelle version en deux mois de la solution et nous avons réussi à la déployer dans les premiers établissements clients en un temps record. C’est à ce moment-là que nous avons vraiment démarré.
Quand avez-vous commencé à l’international ? Dans quel pays souhaitez-vous aller ?
Nous allons continuer en France, bien sûr, où il nous reste encore pas mal d’établissements à équiper. Pour répondre à la question, nous nous sommes lancés en Allemagne fin 2020. Il s’agit d’un grand marché que ce soit dans la santé ou ailleurs. Ils ont une vraie problématique, encore plus importante qu’en France de turn over, de gestion des équipes, de recrutement dans les établissements de santé. Il y a une énorme pénurie de professionnels de santé et ils vont manquer de près de 500 000 professionnels soignants d’ici fin 2030.
Et puis nous avions aussi certains clients ou investisseurs qui connaissaient bien le marché allemand et avec lesquels nous avons pu commencer à l’approfondir et le comprendre avant de nous lancer. Nous allons donc y accélérer notre développement et nous avons prévu d’ouvrir quatre nouveaux pays dans les 18 prochains mois. Les pays en question ne sont pas encore arrêtés, car nous sommes encore en train de prioriser, mais ce sera en Europe, quatre pays européens. Nous avons déjà quelques clients en Suisse et en Belgique.
Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées jusqu’à présent ? Et comment les avez-vous surmontées ?
Notre principale difficulté puisque nous en avons surtout une, c’est de recruter suffisamment vite pour pouvoir tenir la croissance que nous souhaitons obtenir. Paradoxalement, pour une société qui a un outil d’aide aux remplacements et aux recrutements, nous subissons l’effet : « les enfants des cordonniers les plus mal chaussés » mais c’est la difficulté de nombreuses start-up. Sinon, nous n’avons pas d’autres difficultés majeures mais il faut dire que nous sommes passés de 3 collaborateurs à 75 aujourd’hui et que cela va encore s’accélérer. Il s’agit de passer à presque 300 personnes d’ici fin 2023.
Quel type de profil exactement ?
Nous cherchons surtout les profils commerciaux, customer success, produit, ingénieur/développeur marketing et RH, ce sont les métiers pour lesquels nous avons le plus de recrutements prévus. Celui où nous avons le plus de difficultés à recruter, c’est le métier développeur ou software ingenieur dans notre jargon. Nous avons aussi pas mal de difficultés à recruter des recruteurs ou talents acquisition manager pour l’anglais. Nous avons également des enjeux pour l’équipe produit et les équipes commerciales/chargés de relations clients en France et dans les futurs pays.
Vous parlez de développement produit. Comment cela va se passer ?
En fait, nous répondons à une problématique spécifique des hôpitaux, c’est la gestion des remplacements. Mais sur l’ensemble du spectre de gestion des ressources humaines, il y a beaucoup d’éléments qui sont non digitalisés ou qui sont faits avec des outils qui ne fonctionnent pas bien. L’idée c’est donc d’apporter une solution digitale à tous les processus RH qui, aujourd’hui, ne fonctionnent pas bien. Pour tout ce qui est autour de la gestion des talents dans les établissements de santé et notamment sur tout le personnel non médical, nous sommes en train de développer des solutions pour pouvoir y répondre. Nous voulons rester en pure player santé. Notre idée, ce n’est pas de nous diversifier sur d’autres secteurs, mais vraiment d’être la solution RH leader dans les établissements de santé.
Pour l’avenir, quels sont VOS prochains enjeux ?
Les deux principaux enjeux restent ceux que nous avons déjà évoqués : ouvrir de nouveaux pays et élargir la gamme de produits avec une solution beaucoup plus complète et encore plus intégrée dans les systèmes d’information hospitaliers. C’est un peu la clé de se connecter avec les logiciels en place pour éviter les ressaisies et effectuer les bons transferts d’informations. Pour faire tout cela, nous avons besoin de recruter des talents chez nous, en interne.
Pourquoi cibler l’Europe plus que d’autres pays ?
Il existe déjà beaucoup de besoins en Europe et en fait, la problématique de la pénurie de professionnels soignants, se révèle particulièrement forte dans les pays développés donc, en Europe. L’Europe, c’est notre étape sur les trois prochaines années. Mais nous ne nous interdisons pas du tout de regarder au-delà de l’Europe d’ici trois ans.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis que vous avez commencé à entreprendre ?
Ce qui m’a le plus surpris, c’est que finalement, le secteur de la santé et même de la santé publique, même s’il y a une certaine inertie et des difficultés inhérentes au statut de l’hôpital public, il s’agit d’un secteur qui est prêt à changer, qui est très à l’écoute. Il faut beaucoup d’accompagnement, mais il y a une vraie volonté d’avancer, de se digitaliser à l’opposé du stéréotype qu’on pourrait avoir vu de l’extérieur et qu’on nous oppose souvent. Quand on dit qu’on travaille dans la santé, que c’est compliqué et qu’il y a une inertie, ceci n’est pas vrai. Il y a une vraie volonté de se transformer.
Est-ce que la crise sanitaire a accéléré votre développement ?
Oui en quelque sorte mais elle nous a surtout permis de conforter notre croissance. Elle nous a permis de continuer à bien croître puisque les établissements qui étaient équipés de notre solution avant la crise sont ceux qui s’en sont le mieux sortis en termes d’organisation du personnel, de rappel du personnel, car c’est un moment où ils en ont le plus besoin et cela a démontré réellement la valeur de la solution.
Aujourd’hui, quels sont vos avantages concurrentiels ?
Nous avons quelques concurrents, nous sommes clairement leader sur le marché. Nos avantages concurrentiels, c’est d’avoir un produit qui est très complet, qui permet vraiment de gérer les remplacements de personnel de santé de A à Z, de l’expression du besoin jusqu’à la partie administrative (génération du contrat, signature électronique…) Et tout cela en étant bien intégré aussi dans les systèmes de santé hospitaliers, avec les connecteurs, avec leurs logiciels existants. C’est un produit vraiment complet et profond, mais pourtant super simple d’utilisation. Ce n’est pas un énième logiciel pour les établissements de santé.
C’est notre avantage concurrentiel majeur. Et puis après le second avantage concurrentiel, c’est toute l’expérience que nous avons accumulée en travaillant avec 2 800 établissements de santé et la conduite du changement, la gestion de projet que nous mettons autour de l’outil. Ce n’est pas parce que l’outil est simple qu’il faut le donner et laisser les établissements l’implémenter et en faire l’adoption. Comme je le disais, c’est un secteur qui veut se transformer. Il y a une volonté, mais ce sont des établissements d’une certaine taille et il faut les accompagner dans le changement. Cela demande une expertise de conduite du changement et de gestion de projet, même quasiment de conseil, que nous avons vraiment développée depuis cinq ans.
Par curiosité, comment ça se passe concrètement ?
En fait, si nous commençons à travailler dans un hôpital donné, l’ensemble du personnel va être invité à s’inscrire sur l’application Hublo et à rejoindre le réseau de l’établissement pour faire des missions de remplacement dont le personnel, à temps plein ou à temps partiel, en CDI ou en CDD mais déjà sollicité régulièrement pour des missions courtes. L’hôpital construit finalement son réseau sur Hublo et le personnel se logue via l’application. Ensuite, dans chaque service, la cadre du service dès qu’il y a une absence, va poster une mission sur la plateforme et toutes les personnes du réseau qui sont disponibles et compétentes vont être notifiées sur l’application et vont pouvoir se positionner en un clic. La cadre va alors choisir la personne la plus appropriée pour la mission, attribuer la mission et tout l’administratif derrière va être géré automatiquement.
« Il existe déjà beaucoup de besoins en Europe et en fait, la problématique de la pénurie de professionnels soignants, se révèle particulièrement forte dans les pays développés donc, en Europe. »
3 Conseils d’Antoine Loron
- Entreprenez dans la santé et au service des professionnels de santé parce qu’ils en ont besoin et sont réceptifs.
- Prenez des risques. En fait, vous n’avez rien à perdre et en France, nous avons un système qui favorise tellement l’entrepreneuriat qu’il serait fort dommage de ne pas en profiter. Il y a beaucoup d’aides pour les entrepreneurs, donc il est possible de temporiser le risque avec le système mis en place. Donc allez-y.
- Trouvez les bons associés parce que si nous nous développons aussi bien aujourd’hui, que nous en sommes là où nous en sommes, c’est aussi parce que nous avons une super association solide, où l’entente est géniale. Nous savons nous dire les choses quand cela ne va pas et chaque fois cela se passe bien. C’est la clé de la réussite aussi. Ce n’est pas évident parce qu’il est difficile de savoir en avance, si l’équipe va fonctionner.