Difficultés économiques et rupture conventionnelle

Entrée en vigueur en août 2008, la rupture conventionnelle est un mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée qui permet à un employeur et à un salarié de rompre, d’un commun accord le contrat qui les lie. Rapidité et simplicité de la procédure, absence d’énonciation des motifs autre que la commune volonté des parties de rompre le contrat, la rupture conventionnelle est devenue le mode privilégié de rupture des relations contractuelles.

2008 étant l’année de l’émergence d’une crise économique profonde, la tentation a été forte de multiplier le recours aux ruptures conventionnelles dans un contexte de difficultés économiques éprouvées par les entreprises françaises. En 2012, le nombre de ruptures conventionnelles s’est élevé à 320 000, soit 11% de plus qu’en 2011 (6 531 en 2011 en Seine-Saint-Denis, soit une hausse de 17% par rapport à 2010).

Pour autant, le recours à la rupture conventionnelle en période de difficultés économiques avérées ne doit pas conduire à détourner les règles d’ordre public relatives aux licenciements économiques.

La rupture conventionnelle et les difficultés économiques : une union risquée ?

C’est ce qu’a rappelé la Direction générale du travail dans une instruction du 23 mars 2010. Elle précise que si la rupture conventionnelle peut intervenir alors que l’entreprise rencontre des difficultés économiques qui l’amènent à se séparer de ses salariés (puisqu’elle résulte de la seule volonté des deux parties au contrat de travail), elle ne peut cependant être utilisée comme un moyen de contourner les règles du licenciement collectif et notamment des garanties attachées aux accords de GPEC ainsi que des plans de sauvegarde de l’emploi.

Des seuils entraînant contrôle

L’instruction donne pour consigne aux DIRECCTE de vérifier, lors de l’instruction des demandes d’homologation, s’il y a contournement des procédures de licenciement collectif qui justifieraient un refus. Peuvent être relevés comme indice d’évitement d’un PSE, un nombre de demandes de ruptures conventionnelles, augmenté le cas échéant des licenciements économiques, atteignant les seuils à partir desquels le PSE est en principe obligatoire :10 demandes sur une même période 30 jours ; au moins une demande sur une période 3 mois faisant suite à 10 demandes échelonnées sur la période des 3 mois antérieure ; une demande au cours des trois premiers mois de l’année civile faisant suite à plus de 18 demandes au cours de l’année civile précédente. La combinaison de ces demandes avec des licenciements pour motif économique aboutissant aux dépassements des mêmes seuils peut également constituer un indice.

Le contexte pris en compte

L’appréciation du contexte peut ressortir de documents de l’entreprise faisant état de difficultés économiques et se trouvant en possession des services de contrôle: comptes rendus des réunions du comité d’entreprise, expertises économiques, extraits du registre des délégués du personnel, demandes d’indemnisation au titre du chômage partiel, demandes d’autorisation de licenciement de salariés protégés, etc.

Ce contrôle suppose des échanges d’information entre les services, notamment lorsque l’entreprise concernée dispose d’établissements répartis dans différents départements, échanges accrus et facilités depuis la mise en place, par arrêté du 24 janvier 2013, d’un système d’information national sur les ruptures conventionnelles.

Comment calcule-t-on les seuils de déclenchement de l’information consultation et du PSE ?

La Cour de cassation a également précisé, dans un arrêt du 9 mars 2011, que les ruptures conventionnelles intervenues dans une entreprise devaient être prises en compte dans le calcul des seuils déclenchant la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel ainsi que la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, lorsqu’elles s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent l’une des modalités. L’homologation de quelques ruptures conventionnelles ne permet donc pas d’éviter d’avoir à mettre en œuvre, le cas échéant, un plan de sauvegarde de l’emploi pour les licenciements collectifs intervenant ultérieurement.

La Haute juridiction précise néanmoins que l’intégration des ruptures conventionnelles dans la procédure de licenciement économique ne remet cependant pas en cause leur qualification et leur régime juridique propre non plus qu’elle n’affecte, en soi, leur validité. Sur ce point, l’arrêt juge que ni le comité d’entreprise ni les syndicats ne sont recevables, faute de qualité, à demander l’annulation de ces ruptures auxquelles ils ne sont pas partie, une éventuelle action en nullité ne pouvant être exercée que par les salariés concernés.

Qu’en pensent les pouvoirs publics ?

Par ailleurs, à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi de sécurisation professionnelle du 16 juin 2013, un parlementaire a interrogé le Ministre du travail afin de savoir s’il entendait modifier ou corriger l’instruction susvisée afin d’éviter que la rupture conventionnelle n’élude les règles propres au licenciement économique et l’accompagnement du salarié licencié.

Selon le Ministre du travail, tant l’instruction que la jurisprudence de la Cour de cassation sont en parfaite adéquation avec la loi de sécurisation de l’emploi publiée le 16 juin 2013 et ne seront donc pas remises en question.

Toutes les ruptures conventionnelles doivent-elles être prises en compte ?

En outre, dans un arrêt du 29 octobre 2013, la Cour de cassation a apporté une précision inédite : seules les demandes d’homologation ayant donné lieu à la rupture du contrat doivent être prises en compte pour déterminer l’application ou non de l’article L. 1233-26 du Code du travail. En l’espèce, la cour d’appel avait déclaré nul le licenciement d’un salarié faute de mise en œuvre d’un PSE alors qu’au moins dix salariés avaient conclu une rupture conventionnelle dans une période de trois mois précédant le licenciement économique. Pour ce faire, la cour d’appel avait pris en compte les ruptures conventionnelles dont les demandes d’homologation avaient été rejetées par l’administration.

La Cour de cassation censure ce raisonnement en considérant que moins de dix demandes d’homologation ayant donné lieu à une rupture de contrat de travail dans les trois mois précédant la procédure de licenciement, l’employeur n’avait pas à mettre en œuvre la procédure collective.

L’enseignement à en tirer est clair : lorsque l’entreprise procède à une réduction de ses effectifs pour une cause économique, l’opportunité d’intégrer un licenciement économique dans un PSE ne pourra s’apprécier que lorsque l’employeur connaîtra le nombre exact des ruptures conventionnelles homologuées par l’administration.

Sources : Instr. DGT n° 2, 23 mars 2010, BO Trav. 2010 n° 2 ; Cass., Soc. 9 mars 2011 pourvoi n° 10-11581 ; Question écrite n° 299832 de Monsieur Thierrry BRAILLARD (http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-29982QE.htm) ; Cass., Soc. 29 oct. 2013 pourvoi n° 12-15382

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