Satelia, la plateforme de télésuivi médical du futur

Interview de Dr Nicolas Pagès, médecin anesthésiste-réanimateur, cofondateur de Satelia

Interview de Dr Nicolas Pages, qui vient de lever 10 millions d’euros auprès d’IMPACT Partners, afin de développer son entreprise qui assure la prise en charge en télésuivi, télésoins, éducation thérapeutique et coordination des soins des patients atteints de maladies chroniques pour le compte d’établissement ou de professionnel de soins.

Comment vous est venue l’idée de Satelia ?

J’ai cocréé en 2017. J’étais, à l’époque, étudiant en tant que jeune médecin anesthésiste-réanimateur. J’étais entre la neuvième et la dixième année d’université de médecine. Ce qui m’a inspiré pour réaliser ce projet, c’est le fait que le suivi des patients une fois sortis de l’hôpital était vraiment médiocre. On était excellent à l’intérieur de l’hôpital, mais quand les patients sortaient, il n’y avait plus de suivi, en dehors du fait qu’ils puissent revenir en consultation à l’hôpital. Or, certains patients peuvent avoir des complications après leur sortie et ont besoin de suivi. Cela peut arriver après une opération, une chimiothérapie, ou encore après n’importe quelle prise en charge de l’hôpital. Nous n’étions au courant que trop tardivement à chaque fois. C’était un peu frustrant d’essayer de pratiquer une médecine très qualitative à l’hôpital pour constater que tout s’effondrait, si j’ose dire, quand le patient était à domicile. C’est de là qu’est venue l’idée d’un premier suivi et m’a amené à cette réflexion : « si on demandait au patient comment il allait régulièrement ? ». Je me disais : « Est-ce qu’on ne l’appellerait pas ? » parce qu’il n’est pas question de les faire venir tous les jours ou toutes les semaines en consultation mais d’appeler des gens. Et là, plein de problématiques ont émergé : « Quel est le coût ? Comment faire ? Est-ce qu’on ne leur demanderait pas de répondre via leurs outils numériques ? Et que fait-on des personnes qui ne sont pas numériques ?… ».

Qu’est-ce que Satelia aujourd’hui ?

Satelia est une plateforme de télésurveillance médicale pour les maladies chroniques. Notre mission est d’améliorer la qualité de vie des patients atteints de maladies chroniques, comme l’insuffisance cardiaque ou les cancers. Préserver la qualité de vie de ces patients est un enjeu médical et éthique. L’entreprise est bâtie sur trois piliers. Un premier qui est un pilier de développement logiciel pour les applications, pour les médecins et pour les patients. Les médecins ont des dashboards et voient tout ce qui se passe à l’extérieur de l’hôpital en termes de santé des patients avec des patients qui répondent. Le deuxième pilier, c’est la science. Ce sont des algorithmes d’analyse et de prédiction aux risques. Le troisième, ce sont les retombées des publications scientifiques dans des revues, qui concernent l’humain.

Vos salariés sont-ils principalement des ingénieurs ?

Sur les 85 personnes salariées de Satelia, nous avons 45 personnes qui se chargent de rappeler des gens qui sont dans une situation d’illectronisme, c’est-à-dire dans une incapacité d’utiliser des outils digitaux. A 85 ans, dans leur maison ou en Ehpad, certaines personnes n’utiliseront jamais un iPad. C’est important parce qu’en fait, quand on parle de santé, et plus particulièrement de E-santé, on entend beaucoup d’ineptie avec « Oui, on va mettre des paniers d’objets connectés chez les gens ! » qui sont des patients relativement âgés ou qui ne maîtrisent pas le digital. Or, c’est donc en grande partie inefficace.

Quelles ont été les grandes étapes depuis la création ?

Nous avons mis un an à mettre en place le remboursement de l’assurance maladie, ce qui est relativement court dans ce milieu. Nous avons démarré fin mai 2017 et fin 2018, nous avons eu le premier remboursement. Nous avons fait une première levée de fonds en 2019 de 300 000 € et nous nous sommes développés très rapidement puisque nous avons à peu près doublé chaque année la taille de l’équipe, le nombre de patients suivis donc le chiffre d’affaires, puisque nous sommes payés au forfait par patient suivi par la Sécurité sociale. Nous sommes remboursés par la Sécurité et nous sommes prescrits par les médecins. Satelia, c’est une application sur prescription médicale. C’est innovant et il n’y en a pas beaucoup en France. Nous faisons partie des pionniers.

Quelles ont été les étapes suivantes ?

L’étape suivante a été la création de la plateforme infirmière, officiellement en 2020. Nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin de plus en plus d’humains pour gérer les patients qui n’étaient pas digitaux. C’est un axe stratégique pour nous puisqu’il est plus compliqué de proposer une solution qui s’adapte à tous, plutôt que des tablettes ou smartphones connectés ou encore de s’intégrer sur les smartphones des patients. Nous avons donc créé une unité d’infirmières. Nous avons commencé à embaucher massivement parce que nous nous sommes aperçus que nous souhaitions également continuer à suivre ces patients qui n’étaient pas digitaux. Aujourd’hui, 40 % des patients que nous suivons, le sont par téléphone. Il faut comprendre que ces patients, il leur est impossible d’utiliser un smartphone ou une tablette et qu’ils sont en conséquence exclus des systèmes de télésurveillance médicale classique. Avec la levée de fonds, nous avons pu créer une unité de 45 infirmières avec une structure juridique dédiée. Nous avons en quelque sorte créé une filiale.
Ensuite, la dernière étape, c’est en 2022 où nous avons réalisé une levée de fonds pour continuer à nous adresser au marché français en cardiologie et inclure d’autres pathologies en France.

Quel est votre pourcentage clients connectés/non connectés ?

Nous avons 40 % de patients qui sont en situation d’illectronisme, donc qui nécessitent un suivi par téléphone. Le reste est suivi via leur smartphone ou le smartphone de leurs aidants. Cela nous permet d’être une solution inclusive qui n’exclut personne. Nous sommes la seule entreprise en France à le faire alors que les autres, pour des raisons de rentabilité principalement, ne se consacrent qu’aux objets connectés et aux patients digitaux.

C’est quelque chose que vous aviez anticipé depuis le début ?

Oui, nous l’avions anticipé, mais nous n’avions pas vu qu’il y aurait autant de patients non connectés. Nous sommes à peu près quatre compétiteurs en télésurveillance sur le marché français pour le suivi d’insuffisance cardiaque ou d’autres pathologies. Naturellement, les praticiens ont eu tendance à préférer Satelia principalement pour des patients qui sont non connectés parce que nous sommes la seule solution qui peut les accueillir. Nous avons eu en quelque sorte le transfert de tous ces patients sur notre solution que nous avons intégré sans problème.

Pourquoi avez-vous levé 10 millions aujourd’hui et dans quel but ?

Nous avons fait cette levée de fonds afin d’accélérer la croissance commerciale, continuer à nous développer dans d’autres centres en France et inclure de nouvelles pathologies. Nous avons un modèle qui est hautement duplicable pour d’autres pathologies chroniques. Nous voulons suivre plusieurs pathologies car il est plus simple pour les hôpitaux de s’équiper d’une solution pour plusieurs pathologies que de devoir s’équiper d’un matériel pour chacune d’entre elles. Autrement dit, il s’agit de pouvoir traiter l’insuffisance cardiaque, le suivi des cancers, l’insuffisance rénale…

Quelle a été la principale difficulté que vous avez rencontrée et comment l’avez-vous surmontée ?

Cela va vous surprendre mais nous n’avons jamais rencontré de difficulté particulière. Nous avons toujours surfé au sommet de la vague sans trop de soucis. Je pense que nous avons pris un axe stratégique qui, pour l’instant, s’est avéré bon et qui consistait à ne pas utiliser d’objets connectés. En général, dans l’autre cas, nous nous appuyons sur les objets du patient même si nous leur en envoyons un au besoin. Dans ce cas, cela coûte en conséquence beaucoup moins cher. Ce qui est drôle c’est de voir que tout le monde pensait qu’il fallait plein d’objets connectés pour avoir plus de suivis et plus de qualité de vie chez les patients. Or, nous avons montré qu’en mettant un peu moins de technologie et en saupoudrant avec davantage d’humains, nous avons une pénétration du marché et une satisfaction des patients qui est bien plus élevée.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis que vous vous êtes lancé ?

Je dirais l’obstination d’un certain nombre d’acteurs non médicaux à proposer des moyens tout technologiques, alors que nous savons qu’aujourd’hui que 67 % des patients de plus de 65 ans sont en situation d’illectronisme. Les deux tiers des patients sont dans l’incapacité d’utiliser des outils digitaux. Cette obstination m’a surpris de voir des gens qui voulaient absolument marketer ou pitcher : « Télésurveillance donc tu dois mettre des appareils connectés à domicile. ». Aujourd’hui, le problème du système de santé, c’est que les patients sont en train de se rendre aux urgences parce qu’il n’y a pas assez de soignants. Penser qu’on va résoudre ce type d’actions avec des mallettes d’objets connectés à domicile, c’est un très mauvais calcul alors qu’en mettant un peu d’humain, cela permet de décharger les hôpitaux d’un certain nombre de tâches et de garder un contact avec les gens. Ce qui me surprend, c’est que peu de personnes le comprennent.
Certains compétiteurs, à force de nous voir gagner des marchés, se mettent aussi à proposer des soignants internes dans leurs équipes à embaucher. C’est une très bonne chose car cela montre que nous avons une capacité d’influence. Comme nous sommes leaders sur notre secteur, cette capacité d’influencer les autres qui se mettent à nous copier pour « gagner » des parts de marché, me procure une certaine satisfaction.

Y a-t-il des contraintes spécifiques ?

Nous devons organiser des séances de coaching pour les patients, une tous les deux mois. Autrement dit, il y a une séance, que nous appelons « accompagnement thérapeutique », qui consiste à faire en sorte que le patient ait une meilleure connaissance de sa maladie. En fait, nous le formons aux signaux d’alerte, aux traitements, aux symptômes, à la difficulté physique et à l’alimentation. Ce coaching est réalisé par des infirmières spécialisées avec un diplôme spécialisé de l’éducation thérapeutique.
Une autre contrainte réside dans le fait qu’il faut être marqué « CE ». Tous nos logiciels sont des dispositifs médicaux donc du logiciel premium. Cela demande des données supplémentaires, une qualité supplémentaire pour éviter d’avoir des bugs qui peuvent conduire, par exemple, à de mauvaises analyses de risque.
Ensuite, il faut être agréé par la Sécu et cela passe principalement par des publications scientifiques qui prouvent une efficacité médico-économique et en termes de diminution de mortalité ou d’hospitalisation. Ce n’est pas tant des réglementations ou des contraintes pour moi, étant moi-même issu du médical, car je trouve assez naturel de prouver que ce que nous faisons est cohérent et efficace. J’aime bien me dire « Je sauve des patients avec une étude scientifique qui démontre que ce que nous faisons est bien ». Le marketing, c’est bien, mais pas sans preuves dans le médical.

Le conseil :
Il y a un seul conseil qu’on m’a donné et qui a été, je pense, décisif. Quand j’ai débuté en entrepreneuriat, on m’a dit : « Tu verras, cela va être dur, mais même dans les moments très durs, n’arrête jamais, continue ! ». Et cela s’est probablement avéré être le meilleur des conseils d’entrepreneurs qu’on m’ait donné. Parce que quand c’est dur, on s’en souvient et on passe des étapes. A chaque fois qu’une étape est dépassée, on se dit :  « heureusement, j’aurais pu arrêter ». 

« Nous avons toujours surfé au sommet de la vague sans trop de soucis. Je pense que nous avons pris un axe stratégique qui, pour l’instant, s’est avéré bon et qui consistait à ne pas utiliser d’objets connectés. »

Dr Nicolas Pages

Conseil du Dr Nicolas Pages

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