La fleuristerie : un domaine à entreprendre avec passion !

Gilles Pothier, président d’Interflora France

« Des produits aux tons blancs et poudrés, pour Dior ! », lance Gilles Pothier, président d’Interflora France, du fond de sa boutique. Pour ce passionné de la fleuristerie, sacré Meilleur Ouvrier de France en 1994 et Champion du monde en 1997, s’économiser ne fait pas partie de ses lignes de conduite. Rencontre.

Comment avez-vous cultivé cette passion pour la fleuristerie ?

J’ai commencé le métier de fleuriste en 1978, en autodidacte, dans la région lyonnaise, avant d’acheter ma propre boutique quelques mois plus tard. Je n’étais, au départ, pas autant sous le charme que je l’ai été les années qui suivirent, la passion a grandi avec le temps. En m’intéressant aux grands noms de la région, je suis parvenu à me frayer un chemin dans leur sillage, jusqu’au jour où l’on m’a suggéré de tenter les concours. Même si je ne me sentais pas l’âme d’un compétiteur, les concours ont constitué une grande partie de ma vie.

À l’époque, il n’y avait que très peu de supports télévisuels ou même sur papier. Il fallait apprendre sur le tas et la compétition semblait un bon moyen de lisser mon niveau. En 1986, des acteurs nationaux, particulièrement ceux des instances d’Interflora, à la recherche de jeunes talents prometteurs, m’ont remarqué. J’ai donc intégré le Groupe d’Art Floral Interflora et suis monté à Paris trois ans après pour reprendre la direction de leurs trois magasins. On m’a ensuite proposé, en 2014, de reprendre l’activité. J’ai accueilli ce poste comme une marque de confiance. Lorsqu’on a établi une boutique à l’âge de dix-huit ans sans rien connaître du métier et que l’on a travaillé énormément pour devenir un bon professionnel, l’aboutissement reste, quelque part, une fierté. Certes, il faut se donner les moyens de l’être.

Qu’est-ce que le Groupe d’Art Floral Interflora ? Et pourquoi l’avoir intégré ?

À l’origine, il s’agit de fleuristes provenant de toutes les régions de France et qui arboraient un certain nombre de casquettes. Pour intégrer ce groupe, il fallait obligatoirement faire de la compétition et se former en permanence. Un collectif dédié forme d’ailleurs ceux qui prétendent au titre de Meilleur Ouvrier de France (MOF) ou qui souhaitent participer à la Coupe du monde, pour laquelle les sélections sont en cours. Le réseau fait, lui aussi, partie intégrante du Groupe d’Art Floral Interflora puisqu’il est composé de X milliers de fleuristes répartis dans tout l’Hexagone.

En plus de répondre aux demandes sur le plan commercial, il crée également des tendances pour la marque. Globalement, le groupe constitue, en quelque sorte, une vitrine française et, au-delà de cet aspect sélectif, j’y percevais là quelque chose de très honorifique. Ayant remporté la Coupe de France en 1986, j’ai pu y entrer par la petite porte. Et depuis trente et un ans, je n’en suis jamais sorti.

Rappelez-nous le concept de celui qui se veut le « messager de vos émotions »…

C’est une société qui a été créée par des fleuristes et pour des fleuristes, lors de la période d’après-guerre. Tous ceux reconnus appartenaient à cette entreprise. C’était le critère de qualité. Au-delà de l’aspect professionnel avec des assemblées générales, il y avait également un côté convivial voire fraternel entre membres de la fleuristerie. Avec le temps, d’autres profils comme ceux issus de la communication ou du marketing sont entrés, les fleuristes, malgré tout leur talent et leurs qualités, ne pouvant pas répondre à l’ensemble des demandes. Compte tenu des évolutions de la société, on ne peut pas imaginer que cette entreprise ne soit tenue que par des fleuristes. Autrement, nous aurions atteint nos limites assez rapidement. Ses dirigeants se sont alors projetés sur de nouveaux outils de transmission tels que le fax ou l’ordinateur. Nous avons vécu cette mutation en même temps que les mutations technologiques.

On observe une forte concurrence de la part des « pure-players », qui ne disposent pas de boutiques physiques. Comment faites-vous face à ses nouveaux modes de consommation ?

Nous continuons à posséder un capital que personne ne peut égaler. Nous disposons d’un circuit de fleuristes qui quadrille la France de façon à pouvoir répondre à des demandes spécifiques. Il n’est, certes, pas toujours facile de livrer un bouquet au fin fond de la Corrèze (département français de la région Nouvelle-Aquitaine, ndlr) mais nous parvenons à le desservir en un temps record. Le groupe Interflora a fait ses preuves à travers les compétitions et indique même certaines tendances de la fleuristerie.

Nos concurrents peuvent livrer un bouquet de roses, mais qui peut à la fois proposer un bouquet de mariés, un corps de roses, une coupe d’orchidées… ? Nous sommes sur une palette de produits que nos concurrents peuvent difficilement, voire pas du tout, égaler. Nous mettons d’ailleurs en avant des maîtres de l’art floral, dont certains ont été élus Meilleurs Ouvriers de France (MOF). Ce label demeure extrêmement important car il confère une image de qualité à la marque.

Et puis, si l’on veut faire un bon film, il n’est pas interdit de prendre de bons acteurs ! Lorsqu’on livre un bouquet, il est essentiel que ce soit des professionnels qui le fassent car il faut qu’ils puissent connaître les différentes tendances en matière de couleurs, d’emballage et de typologie de fleurs, selon les saisons. La société aurait tort de se priver de ces talents. Cet ensemble fait qu’Interflora reste numéro un dans la livraison de fleurs.

Vous avez été, vous-même, MOF en 1994 et Champion du monde des fleuristes en 1997. Finalement, vous sentez-vous plus artisan ou dirigeant ? Et pourquoi ?

J’ai été passionné par ce métier en tant qu’artisan. Il s’agit d’un statut que j’ai revendiqué pendant longtemps car je l’estime comme un métier noble. Je consacrais déjà beaucoup de temps à mon activité à une période où les affaires ne constituaient pas le nerf de la guerre, l’artisanat était au coeur de l’économie. Aujourd’hui, j’ai le sentiment de me trouver entre les deux, un peu par la force des choses. J’ai l’impression d’endosser, de plus en plus, le rôle de dirigeant. Je me trouve entouré de jeunes employés passionnés et j’ai envie qu’ils vivent ce que j’ai vécu. Cela fait partie de mon devoir de passation aux générations qui arrivent.

D’un autre côté, gérant deux entreprises (une boutique, en plus d’Interflora France, située sur l’Avenue Raymond Poincaré, à Paris), je suis très sollicité par des mails, des devis, des photos, des coups de téléphone… C’est une autre manière d’exercer ce métier. En regardant derrière moi, je m’aperçois qu’il ne ressemble plus du tout à celui d’avant et peut-être que s’il m’était apparu tel quel dès le départ, je ne l’aurais pas épousé.

Vous gérez ainsi plusieurs activités. Comment faites-vous pour trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?

La recette, c’est quatre heures du matin, huit heures du soir. Cela ne peut pas être autrement. Et ce, depuis dix-huit ans, six jours sur sept. Malgré tout, assez bizarrement, ma vie personnelle n’est pas du tout frustrante. Je connais plutôt bien les films qui sortent, je lis pas mal, j’apprécie énormément les restaurants… Il est vrai que cela demande une forte énergie et il m’en a fallu longtemps. J’ai eu cette chance de pouvoir dormir peu tout en travaillant beaucoup. À l’heure actuelle, je commence toutefois à regarder comment aménager mon temps parce que le physique ne suit plus, ou difficilement.

Quoi qu’il en soit, la passion était dévorante, j’ai adoré faire ce métier. À aucun moment je n’étais là pour m’économiser, cela ne m’intéressait pas. Alors peut être que je le paierai un jour. En attendant, j’ai bien vécu ce que j’avais à vivre, avec son lot de satisfactions. Sans doute l’une des raisons pour lesquelles je porte un regard bienveillant sur les générations qui suivent. J’œuvre dans le sens d’une transmission car je considère qu’autrement, on a un peu vécu pour rien.

Que comptez-vous faire désormais ?

Je n’ai jamais pu être totalement assidu à la sculpture, que j’ai délaissée par manque de temps. Pour le moment, je n’envisage pas de rupture brutale de travail mais j’essaie d’anticiper cette fameuse étape de la passation qui peut être plus ou moins bien vécue. Je m’efforce de ne pas tomber dans le schéma classique où l’on mouline depuis un bout de temps. Le challenge de faire des mariages à l’étranger, d’aller servir des grands noms, de gérer des semi-remorques pour des évènements…, font que le travail n’est pas toujours planifié. On se retrouve souvent à tout faire à la dernière minute, les fleurs, éphémères, sont, en plus, une denrée périssable puisqu’on ne peut pas les stocker en rayon.

Malgré le stress que cela peut générer, j’ai le sentiment d’avoir réalisé des choses passionnantes et la mémoire, sélective, ne garde souvent que le meilleur. Je retiendrai cette phrase qui dit que ce n’est pas parce qu’on fait un métier qui n’est pas sérieux qu’on ne doit pas le faire sérieusement. Elle s’applique parfaitement au secteur de la fleuristerie. Nous sommes en période de crise avec des attentats et, pourtant, au milieu, on conserve des morceaux de nature grâce aux fleurs et à leurs couleurs et parfums. C’est quelque chose d’extraordinaire ! Certes, on ne greffe pas des corps et on ne fait pas décoller des avions mais il demeure important de bien faire ce que l’on entreprend. Cet état d’esprit a guidé toute ma vie.

5 Conseils de Gilles Pothier

La passion. Pour des métiers qui nécessitent autant d’heures que le nôtre, si on ne le fait pas avec passion, c’est juste l’enfer. Certes, il existe les vacances mais on ne se moque pas d’un peintre qui va travailler le dimanche.

« La recette, c’est quatre heures du matin, huit heures du soir. Cela ne peut pas être autrement. Et ce, depuis dix-huit ans, six jours sur sept. »

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