Interview de Adrien Ledoux, Cofondateur de JobTeaser

Adrien Ledoux, Cofondateur de JobTeaser

Née, en 2008, d’une volonté de permettre une meilleure insertion professionnelle, JobTeaser se présente comme la première plateforme de recrutement des étudiants et jeunes diplômés en France. Rencontre avec Adrien Ledoux, son cofondateur.

Qu’avez-vous fait avant de créer JobTeaser ?

J’ai eu la chance de voyager. J’ai habité à Hong Kong, au Japon, en Angleterre, aux États-Unis…, avant de revenir en France. De là, j’ai intégré une école de commerce, l’ESSEC, pour rejoindre ensuite un cabinet international de conseil en stratégie et management, Bain and company, où j’ai rencontré mon associé actuel, Nicolas Lombard. Amenés à travailler sur les mêmes missions, nous nous sommes rendu compte de notre complémentarité. Au même moment, je remarquais le manque de fluidité dans la transition qui relie le monde étudiant de celui professionnel.

Je voyais des amis ou collègues faire ce choix très structurant du premier job avec, finalement, assez peu d’éléments. Je trouvais surprenant qu’une décision aussi importante résulte d’une volonté de « faire bien » sur son CV, plutôt que d’une conviction profonde sur ce qui nous correspondrait le mieux. En nous penchant sur le sujet, nous avons détecté, qu’à l’époque, aucun outil, destiné à mieux s’orienter et permettant de s’informer sur les métiers et les entreprises, n’existait en tant que tel. Nous trouvions aberrant qu’autant de personnes choisissent leur métier un peu par hasard. De cette réflexion, l’histoire de JobTeaser a démarré, en 2008.

Pourquoi ce choix de s’associer plutôt que se lancer seul ?

S’associer demeure fondamental parce qu’il s’avère difficile de couvrir seul l’ensemble du spectre de compétences nécessaires pour être un bon dirigeant. Le fait d’entreprendre à deux permet également de ne pas se retrouver isolé et, dans les moments compliqués, former un duo se révèle essentiel. En ce qui nous concerne, il ne s’agit pas tant d’un problème de fonds puisque nous avons commencé à vendre dès le début de JobTeaser, sans avoir réalisé de phase de test au préalable, avant même que le site internet ne soit créé.

On parle alors de lean start-up étant donné que nous nous sommes confrontés le plus rapidement possible au marché, avant même d’avoir un produit. La vente s’est, en réalité, faite sur la base de slides PowerPoint que nous avons exposés aux clients (les entreprises, ndlr) en nous déplaçant sur des forums et en pitchant simplement notre concept. Celui-ci consiste, pour les dirigeants, à promouvoir leur entreprise afin qu’ils puissent recruter de jeunes talents, en se présentant directement aux étudiants. Une nouveauté sur le segment de la marque employeur.

À ce propos, pouvez-vous revenir sur le concept de votre entreprise ?

Côté étudiants, il s’agit de fournir une plateforme qui permet de les guider dans leur choix de métier et d’entreprise mais aussi de les aider à trouver un stage ou un emploi. Le nom de JobTeaser provient de la notion de teasing. Cette « bande annonce » de leur avenir professionnel (ou teaser, ndlr) vise à leur fournir un aperçu de ce que serait leur prochain métier, notamment via des présentations vidéo.

Côté entreprises, JobTeaser leur permet de se présenter aux étudiants afin d’attirer les meilleurs talents et de pouvoir recruter par le biais de la diffusion d’offres. La particularité de cette plateforme demeure qu’elle est directement intégrée dans les intranets des écoles et universités. Ce système présente un double intérêt : être au plus près des étudiants car nous sommes là où ils sont, c’est-à-dire à côté de leurs cours, de l’actualité de leur école et de leur emploi du temps, mais aussi, disposer d’un contenu qualitatif qu’ils ne trouveront pas ailleurs car il vient directement des recruteurs.

Globalement, avez-vous changé de business model en cours de route ?

Disons que les clients ont toujours été les entreprises et le service est toujours resté gratuit côté candidats. Au départ, nous ne disposions néanmoins que d’un modèle classique, sans passer par les écoles, et, depuis 2013, nous avons adopté une nouvelle stratégie en marque blanche. Nous avons choisi d’intégrer directement les intranets des écoles dans un système appelé le marché biface (qui implique l’existence de deux types de clientèle, ndlr). Nous équipons donc celles-ci gratuitement et monétisons grâce aux entreprises, qui occupent le rôle de recruteurs. Ce changement de business model marque un tournant décisif car, au lieu de ne toucher que 20 % des étudiants d’un établissement, nous en atteignons désormais quasiment 100 %. Un fort accélérateur pour convaincre les entreprises.

Selon vous, « les discours autour des générations X et Y tendent à souligner un rapport décousu voire infidèle à l’emploi ». Qu’entendez-vous par là ?

Les nouvelles générations sont très tournées vers les start-up et très engagées lorsqu’elles trouvent du sens à ce qu’elles font, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Il n’en reste pas moins que l’on ne fait plus sa carrière au sein d’une seule et même entreprise. Le contexte actuel fait que nous devons faire un effort pour conserver ces talents car ils montrent une volonté de mobilité assez forte en changeant de structure tous les deux/trois ans.

Pour pallier ce phénomène, chez JobTeaser, nous nous assurons que nous recrutons des personnes bien en phase avec notre culture d’entreprise et, surtout, concernées par notre mission, qui consiste à aider les jeunes talents à s’insérer professionnellement. Nous travaillons aussi intensément sur le fait que les salariés se sentent bien. Nous avons, à ce propos, été labellisés « HappyAtWork » et misons en particulier sur nos valeurs, sur les évolutions de carrière ainsi que sur l’aménagement des locaux, afin de leur donner envie de rester chez nous. 98,2 % de nos salariés disent éprouver du plaisir à faire leur travail.

Vous êtes aujourd’hui la première plateforme de recrutement des étudiants et jeunes diplômés en France. Quelle est votre stratégie pour conserver cette position voire devenir le leader européen ?

L’objectif s’avère d’abord de maintenir cette place de leader en consolidant notre réseau d’écoles/universités. Nous en équipons déjà plus de 200 en France et le but est d’aller en chercher d’autres, partout sur le territoire de l’Hexagone. Tant que nous serons présents dans leur intranet, nous resterons incontournables auprès des entreprises et occuperons la place de numéro un. Notre ambition demeure de dupliquer ce modèle biface au niveau européen comme nous avons déjà commencé à le faire sur plusieurs marchés clés tels que les Pays-Bas, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, l’Angleterre, l’Allemagne… Plus de 40 écoles et universités sont déjà équipées en dehors de France et nous prévoyons d’élargir cet horizon à d’autres pays d’Europe de l’Est notamment.

Pour prendre cette place de leader en France, vous avez justement levé trois millions d’euros en 2015 et avez, en mai dernier, levé, cette fois-ci, quinze millions d’euros. Dans quel but ?

Dérouler ce nouveau modèle biface. Maintenant que nous avons prouvé qu’il fonctionne, l’enjeu reste de le dupliquer à l’échelle européenne. Pour ce faire, l’idée est de lancer plusieurs pays en simultané, ce qui nécessite un certain nombre de recrutements, à la fois d’ordre commercial et de R&D. Nous nous trouvons dans une course à l’équipement et le défi reste d’intégrer ces écoles/universités, qui pourraient décider d’avoir leur propre outil en interne, avant qu’elles ne s’équipent elles-mêmes d’une plateforme. D’autres acteurs commencent également à le faire, localement. Sans compter qu’il s’agit d’un monde où toutes les écoles/universités se connaissent entre elles et les meilleures de chaque pays s’inspirent de leurs voisins. Quoi qu’il en soit, après avoir levé quinze millions d’euros, il nous reste beaucoup à faire. Si notre ambition d’aujourd’hui demeure de devenir leader européen, celle de demain est d’occuper le rang de leader mondial.

Plus largement, que représente l’entrepreneuriat pour vous ?

L’entrepreneuriat évoque le fait de changer les choses, de bouger les lignes. Pour moi, se lancer dans l’aventure entrepreneuriale n’a du sens que si l’on cherche à changer le monde. Le but n’est pas de vouloir être libre ou indépendant. Personnellement, j’ai entrepris pour répondre à un besoin. Je n’ai pas toujours souhaité créer une entreprise, cela est vraiment parti d’une volonté de répondre à un problème. Je ne me suis pas dit : « Je veux entreprendre, je vais trouver l’idée. » En effet, je perçois le fait d’entreprendre comme une contribution à rendre le monde meilleur mais chacun ses motivations ! Pour se lancer, il faut être prêt à prendre des risques.

Mis à part le fait de prendre des risques, être entrepreneur implique de bien s’organiser. Comment conciliez-vous vie pro / vie perso, et que faites-vous pour décompresser ?

Ma philosophie consiste à cloisonner les deux. J’essaie d’être à 100 % lorsque je travaille et, dans les moments perso, à 100 % déconnecté. Je m’efforce réellement de compartimenter les deux. Pour décompresser, je fais beaucoup de tennis. Je suis également passionné par l’écriture de scenarii de cinéma : j’imagine des univers. Cet aspect créatif me permet de penser à autre chose. Le premier scénario que j’ai vendu portait sur le stagiaire, ce qui démontre que cette thématique liée à la transition monde étudiant / monde professionnel m’a profondément marqué. Elle m’a inspiré une idée d’entreprise ainsi qu’une idée de comédie mettant en scène un étudiant qui intègre l’univers professionnel (celle-ci a été vendue mais pas produite, ndlr).

Quelle a été, pour vous, votre plus grande réussite ? Et votre plus grande difficulté ?

La plus grande réussite réside dans la signature de six universités en Belgique, en juin dernier. C’est la première fois que plusieurs universités décident ensemble d’adopter ce même outil. Elles semblent avoir compris qu’il permet un certain nombre de synergies mais également de profiter d’une multitude de contenus émanant des entreprises. Ces six universités représentaient 100 000 étudiants pour une seule signature et tout un pays à ouvrir. Elles constituent l’un des plus beaux succès de JobTeaser. Concernant la difficulté, elle remonte au début de l’entreprise : nous n’avions qu’un seul développeur et cette personne a souhaité partir, ce qui nous a, évidemment, posé problème. Nous en avons déduit qu’il était crucial de construire rapidement une équipe plus conséquente afin de ne plus dépendre d’une seule personne.

Au cours de votre aventure, qu’avez-vous appris d’essentiel ?

La clé de la réussite de JobTeaser repose sur sa capacité à avoir su être à l’écoute de ses clients pour, ensuite, faire évoluer son business model. Nous étions un site de recrutement avec des offres d’emploi et, d’un coup, nous nous sommes mis à équiper directement des écoles et universités. De là, l’entreprise a décollé. La leçon essentielle à retenir se traduit par l’idée qu’un business model peut être amené à changer.

Si nous ne changeons pas fondamentalement de mission, la façon de faire peut, elle, évoluer. Il ne faut pas envisager son modèle comme quelque chose de figé mais, au contraire, identifier la ou les nouvelles manières de faire puis adapter son entreprise aux différentes évolutions qui se présentent. Il est, pour cela, indispensable de rester à l’écoute de ses clients afin de répondre aux besoins de son marché. Lors de nos recrutements, nous nous efforçons de faire passer un message : le changement fait partie de notre histoire, reste quelque chose de naturel et qu’il faut provoquer.

« Nous avons commencé à vendre dès le début de JobTeaser, sans avoir réalisé de phase de test au préalable, avant même que le site internet ne soit créé. »

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