Interview de Romain Niccoli, Cofondateur de Criteo

Interview de Romain Niccoli, cofondateur et directeur technique de l’entreprise Criteo qui a su adapter son business model et boucler des levées de fonds jusqu’à faire entrer son entreprise au Nasdaq.

En quoi vous associer vous a-t-il aidé ?

Pour résumer, nous avons fusionné deux projets. Le premier où j’étais avec Franck Le Ouay que je connaissais depuis très longtemps (ndlr : colocataire puis ils ont travaillé ensemble chez Microsoft) et celui de Jean-Baptiste Rudelle qui lançait à peu près le même projet en parallèle. Nous nous sommes rencontrés par hasard dans les locaux d’Agoranov.

Jean-Baptiste venait pitcher son projet en expliquant qu’il était le seul dans le monde à faire cela, les participants lui ont répondu qu’il y avait deux autres personnes qui faisaient la même chose de l’autre coté de la porte. Au bout de quelques semaines, nous nous sommes revus et nous avons fusionné les projets. Lui avait déjà créé une société qu’il avait revendu et nous avions développé une technologie. Cette association « naturelle » nous a permis de lever des fonds dans de bonnes conditions. Seuls, nous n’aurions pas pu lever cette somme dès le premier tour (ndlr : 3M€).

Qui s’occupait de quoi ?

Dès le départ, nous avons réussi à déterminer les fonctions de chacun, et ce que nous envisagions pour l’avenir. L’essentiel, pour nous, était que les conditions restent identiques entre tous les associés. Jean-Baptiste s’est concentré sur les levées de fonds, ce qui est extrêmement chronophage. Franck a travaillé sur la partie scientifique, c’est-à-dire sur le développement de l’algorithme et moi sur le développement de la plateforme.

Est-ce que vous aviez imaginé le succès qu’aurait Criteo en 2005 quand vous étiez chez Agoranov ?

C’est difficile d’imaginer ce que l’entreprise va devenir. Nous aurions signé pour un succès bien moins grand que celui d’aujourd’hui. Nous aurions été ravis de faire quelque chose qui marche simplement. Mais l’appétit vient en mangeant et quand nous avons franchi certaines étapes, nous nous sommes dit que nous pouvions en faire encore plus. Nous avons donc continué. Et c’est l’état d’esprit dans lequel nous sommes encore aujourd’hui.

Qu’est-ce qui fait aujourd’hui la qualité de votre technologie ?

D’abord, ce sont les chiffres de performance de la campagne publicitaire. Nos clients font des comparatifs, des tests entre les technologies. Celle de Criteo, ce n’est pas la formule de Coca Cola, ce n’est une invention que nous gardons secrète dans un coffre. Ce sont des algorithmes que nous améliorons en permanence et qui deviennent de plus en plus performants au fil des mois. Il y a deux grandes parties dans notre technologie. Celle de la « recommandation » qui est le choix du contenu, de la présentation, de l’animation, des produits dans la bannière publicitaire. Le deuxième aspect est de prédire la performance à l’avance avec la probabilité qu’un internaute clique et achète un produit.

Comment se sont passées vos levées de fonds ?

La première levée de fonds a eu lieu en mars 2006. Il n’y avait pas encore de business, aucun revenu et pas de produit formalisé. Les investisseurs cherchent trois choses : d’abord vérifier qu’il existe bien un marché ou que nous pouvons le créer et vérifier ensuite que l’équipe tient la route. Le troisième critère porte sur l’innovation technologique et l’approche du marché qui va permettre d’avoir un angle d’attaque efficace. Nous sommes allés directement sur du capital risque car le projet le permettait. Nous étions plutôt dans l’optique de lever un maximum de fonds le plus vite possible pour optimiser les chances de succès, de ne pas trop réfléchir à la dilution, aux pourcentages de parts.

Et comment avez-vous réussi votre seconde levée de fonds ?

Celle de fin 2007 s’est révélée la plus difficile. Le Business n’était pas à zéro mais le chiffre d’affaires demeurait très faible, nous restions très en retard sur le business plan et nous n’avions pas le niveau de succès espéré. Six mois plus tard, le business a décollé. Nous nous sommes entretenus avec le conseil d’administration du changement de stratégie et avons déduit que c’était là que résidait l’avenir.

Comment arriver à faire une seconde levée de fonds sans avoir connu le succès ?

Il a fallu expliquer aux investisseurs pourquoi la première n’avait pas porté ses fruits et ce que nous faisions de différent. Nous étions entre la version 1 et la version 2 de notre produit principal et la version 2 améliorait significativement les choses. Nous venions de la sortir mi-2007 quand nous avons débuté  les discussions. Fin 2007, nous avions développé le chiffre d’affaires, et même plus que prévu. Au printemps 2008, nous avons tout focalisé sur le modèle de la publicité à la performance.

A l’époque combien d’argent avez-vous levé ?

La deuxième levée de fonds (fin 2007) était de 7 millions d’euros. La 3e levée, en 2010, auprès d’un fonds d’investissement américain de 5 millions d’euros. Cette dernière nous a permis de mettre un pied aux États-Unis en nous donnant des contacts et une crédibilité avec un fonds d’investissement de premier plan. Entre la deuxième et la troisième levée de fonds, nous en avons réalisé une autre en 2009, que j’appelle 2 bis. Elle nous a apporté 2 millions d’euros, ce qui n’était en soi pas indispensable, mais nous voulions maximiser les chances de réussite. Chaque levée de fonds possède son utilité propre.

Comment avez-vous réussi à conquérir les États-Unis entre 2008 et 2012 ?

Nous avions une ambition mondiale dès le départ. L’idée consistait à dire : « on y va, on verra bien ce qui marche, ce qui ne marche pas, on ne se fixe pas de limites d’entrée de jeu ». En Europe, nous étions en mode évangélisation, nous expliquions comment cela marchait, les gens ne connaissaient pas. Aux États-Unis, quand nous sommes arrivés, on nous a répondu : « on a déjà essayé ce genre de choses, cela ne marche pas ».

Nous avons eu du mal à convaincre nos prospects de faire un test technique et à recruter l’équipe commerciale qui avait le bon carnet d’adresses pour faire le test. Autre difficulté, quand nous faisions un test et que cela marchait bien, nous nous sommes aperçus que la personne qui a le pouvoir de faire le test n’a pas forcément le pouvoir de faire plus ! Il faut donc avoir le bon contact chez le client. Cela a été la grande difficulté et a pris un peu de temps -quelques années- pour les convaincre. Et finalement, le business a bien pris fin 2011 avec 20 % du chiffre d’affaires mondial réalisé aux États-Unis.

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