Interview de Jean-Marc Borello, Fondateur et président du groupe SOS

Interview de Jean-Marc Borello, fondateur et président du groupe SOS, une des premières entreprises sociales européennes qui répond depuis 30 ans aux enjeux majeurs de la société en matière d’emploi, de solidarité et de santé. 

Comment avez-vous entamé votre carrière professionnelle ?

J’ai commencé à travailler en 1977, à l’âge de 20 ans, en tant qu’éducateur spécialisé dans un centre d’accueil pour jeunes délinquants. En 1981, j’ai été nommé conseiller à la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, avant d’occuper par la suite différents postes dans des cabinets ministériels. En parallèle, en 1984, j’ai créé SOS, que je dirigeais à l’époque de manière bénévole. J’ai définitivement quitté la fonction publique en 1987 pour présider pendant une dizaine d’années un groupe de PME dans le domaine de la restauration et de l’hôtellerie. Puis, j’ai décidé de me consacrer à SOS à temps plein au tout début des années 2000, car le groupe comptait déjà 300 salariés et qu’il devenait nécessaire d’en assurer la direction.

Quelle est la raison d’être de l’entreprise ?

Nous mettons en place au fur et à mesure des services qui manquent à la société. Nous avons débuté avec la toxicomanie. Il n’existait pas à l’époque de structures spécialisées sur le sujet, nous les avons donc créées. Puis, le VIH a fait son apparition. Il a fallu concevoir des services pour accompagner les malades dans la gestion de cette pathologie nouvelle. Nous agissons également sur les champs du logement et sur la difficulté de nos usagers à accéder à un emploi. Nous proposions initialement des services aux personnes victimes de « grande exclusion » et nous avons aujourd’hui évolué vers des dispositifs plus généralistes puisque nous gérons aussi des hôpitaux, des crèches et des maisons de retraite.

Ce changement de stratégie était-il nécessaire pour l’évolution de la structure ?

Cela n’a pas changé le fond, puisque notre groupe a toujours eu pour vocation de développer des structures spécialisées dans la grande précarité, mais ouvertes à tous les publics. Nous n’avons jamais voulu créer uniquement des établissements pour les personnes exclues. Cela n’aurait aucun sens car il en existe de plus en plus. Il faut tendre vers une modification du droit commun, pour que le système général puisse admettre les personnes en situation d’exclusion. D’ailleurs, si notre groupe était initialement cantonné à nos univers de prédilection, comme la toxicomanie ou la jeunesse, nous réalisons aujourd’hui 75 % de notre chiffre d’affaires sur une économie plus générale. Nous possédons des concurrents privés lucratifs comme les crèches, les maisons de retraite, les entreprises d’insertion… Une minorité de nos activités est désormais réservée à nos activités associatives initiales.

Quand vous vous êtes lancé, vous vous imaginiez devenir l’une des premières entreprises sociales européennes ?

Pas du tout ! Ce n’était même pas un objectif ! J’avais simplement trois convictions. D’abord, je restais persuadé que la fourniture des besoins fondamentaux devait constituer l’ADN de notre groupe. Ensuite, je savais qu’il nous fallait grandir. Pourtant, il ne s’agissait pas de la culture de ce secteur, qui avait tendance à considérer qu’il faut continuer à effectuer de petites actions localisées. Dans cet objectif, nous avons fortement professionnalisé la structure. Depuis 15 ans, nous embauchons des talents venus des meilleures écoles. J’avais également le sentiment que l’organisation économique, la gestion des RH et de la comptabilité restaient des éléments majeurs dans notre métier, au même titre que pour toutes les entreprises. Ce n’est pas parce que nous œuvrons dans le social que nous ne restons pas dans une logique entrepreneuriale ! L’essentiel pour le groupe, c’est d’investir, de maîtriser ses coûts et de payer les salaires à la fin du mois.

Que représente SOS pour vous, dans votre parcours ?

En tant qu’éducateur, je me suis passionné pour l’intérêt général. Puis, comme chef d’entreprise, j’ai été fasciné par la capacité d’intervention d’un dirigeant qui décide, signe, recrute, licencie… La liberté d’action de l’entrepreneur me plaisait, mais l’objectif – gagner de l’argent – restait un peu limité. Le Groupe SOS constitue la conjonction de ces deux mondes. « Mettre l’économie au service de l’intérêt général » est devenu une véritable doctrine. Alors que ce sont deux sujets que l’on oppose en permanence, ils demeurent au contraire intimement liés. Souvent, on réduit la réflexion à la question suivante : « êtes-vous pour ou contre l’entreprise ? ». Cela n’a aucun sens ! La réalité, c’est que l’on est tous pour l’entreprise, mais pas n’importe laquelle. Si l’on fait travailler des enfants chinois dans des caves dans le but de vendre des produits très chers et que les salariés sont précarisés pour que les actionnaires obtiennent des dividendes, vous comprenez bien que cela pose un problème…

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre parcours ?

Au départ, j’ai eu du mal à me familiariser avec les compétences techniques du métier d’entrepreneur. Pour l’anecdote, au moment où j’ai dirigé ma première entreprise, j’ai acheté le « Que sais-je ? » sur les entreprises commerciales. Au cours de mes premières années de dirigeant, j’ai fait des erreurs que je ne referais pas aujourd’hui. C’est le lot des autodidactes qui demeurent condamnés à apprendre toute leur vie. Parfois, ce n’est pas plus mal, car l’on garde ainsi l’habitude d’apprendre. Garder un œil neuf sur le métier est une qualité à préserver pour tout entrepreneur. Cela permet de remettre systématiquement en cause les évidences établies dans un secteur.

Quel type de dirigeant êtes-vous ?

Je demeure très exigeant sur les objectifs. La concurrence m’amuse beaucoup. Dans l’univers du privé lucratif, nous sommes une entreprise miniature, car nos concurrents sont des géants comme Domus Vie ou la Générale de Santé. J’aime être David quand Goliath est en face de moi. D’autant que mes équipes ont également envie d’en découdre car pour la plupart, il s’agit de jeunes qui en veulent. Par ailleurs, j’ai toujours eu la réputation de déléguer plus vite que mon ombre. Il m’arrive de renoncer à un projet parce que je n’ai personne pour le conduire. J’attache également de l’importance à la mise en place de dispositifs, afin que chacun puisse trouver sa place dans une équipe, sans vouloir en imposer plus qu’un autre. Enfin, je passe beaucoup de temps à convaincre mes salariés, à leur expliquer la stratégie pour qu’ensuite ils prennent le projet à cœur et qu’ils le développent à leur manière.

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