Droit sur l’image ou droit à l’image ?

Entre exploitation commerciale de l’image et atteinte à la vie privée : la distinction doit être faite.
« Chacun a droit au respect de sa vie privée » indique le Code civil en son article 9, alinéa 1. C’est sur ce fondement textuel que les magistrats sanctionnent classiquement les atteintes portées à la vie privée mais aussi à l’image des personnes physiques. Ainsi, les tribunaux civils rappellent régulièrement que : « Le droit au respect de la vie privée permet à toute personne (…) de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation expresse, de son image, attribut de sa personnalité » (voir par exemple : Cour d’appel de Paris, 25 octobre 1982). L’expression « toute personne » indique que le consentement de l’intéressé est nécessaire pour publier son image, qu’il s’agisse d’un simple quidam ou d’une personne notoirement connue. zoom sur droit sur l’image ou droit à l’image ?

Le même fondement et pourtant une différence

Les violations du droit à l’image sont donc sanctionnées sur le même fondement que les atteintes à la vie privée. Pourtant, force est de constater que toute atteinte à l’image ne correspond pas nécessairement à une atteinte à la vie privée, même s’il faut bien reconnaitre que c’est très souvent le cas. Très souvent, mais pas toujours. Les décisions rendues par les tribunaux offrent des exemples.

Le mannequin et la publication illicite de ses photographies

En mars 1999, le magazine « Entrevue » faisait paraitre plusieurs pages, dont celle de couverture, figurant Laetitia X…, célèbre mannequin et actrice française, posant nue ou en sous-vêtements. Certaines images étant d’ailleurs tirées d’un film à succès dont elle était l’héroïne. Suite à l’action en justice de cette dernière, la société éditrice du magazine fut condamnée par la Cour d’appel de Paris à payer à l’intéressée la somme de 200 000 francs (environ 30. 000 euros) à titre de dommages-intérêts mais également à publier à ses frais en page de couverture un communiqué résumant l’essentiel de la décision. Encore une fois, cette condamnation intervenait sur le fondement de l’article 9 du Code civil et la Cour d’appel rappelait que : « toute personne, fût-elle artiste du spectacle, tire du respect dû à sa vie privée le droit de s’opposer à une diffusion de son image faite sans son autorisation ». 

Le raisonnement est habituel dans ce type d’affaires, sonnant comme un leitmotiv. A tel point qu’on en oublierait presque l’essentiel : en quoi y-avait-il atteinte à la vie privée de l’intéressée au juste ? Difficile à dire puisqu’il s’agissait précisément d’images réalisées au cours de l’activité professionnelle du mannequin et destinées à être diffusées auprès du public le plus large possible. Il n’est nullement question de contester ici l’existence d’un préjudice mais duquel s’agissait-il : d’un préjudice moral pour atteinte à la vie privée ou bien plutôt d’un préjudice économique pour atteinte à un droit patrimonial ?

L’article 9 du Code civil

La société éditrice avait son idée sur la question et forma donc un pourvoi devant la Cour de cassation en ces termes : « l’article 9 du Code civil ne garantit le respect du droit à l’image que lié à la vie privée ; (…) le fait de publier, sans justifier d’une autorisation expresse, des photographies posées et manifestement professionnelles, déjà publiées, montrant nue ou dans des tenues déshabillées un mannequin international posant habituellement de cette façon dans de nombreuses revues largement diffusées, c’est-à-dire de reproduire son image publique, ne constitue pas une atteinte au droit à l’image lié au respect de la vie privée ; (…) en estimant le contraire, la Cour d’appel a violé l’article 9 du Code civil ».

Mais le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, confirmant ainsi l’analyse de la Cour d’appel dans une décision en date du 2 mars 2004. Selon la Cour, il ne s’agissait pas d’un préjudice constitué par un manque à gagner, mais d’un préjudice moral pour atteinte à la vie privée. 

L’homme politique et le jeu vidéo dévalorisant

Une société avait conçu et mis sur le marché un jeu vidéo. Dans ce jeu, le joueur était confronté à un ennemi représenté sous les traits d’un homme politique français bien connu. Par le biais d’une procédure d’urgence, ce dernier fit interdire la vente des disquettes litigieuses. La Cour d’appel de Versailles confirma la mesure et reconnut le préjudice subi par la personnalité en cause, préjudice découlant de l’atteinte à la vie privée protégée par l’article 9 du Code civil

Indéniablement il y avait là une atteinte à l’image mais la société exploitante condamnée ne voyait pas en quoi elle avait porté atteinte à la vie privée du politicien. Elle forma donc un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle indiqua que la Cour d’appel avait méconnu l’article 9 du Code civil, « le jeu litigieux, mettant en scène une image de M. Z… ne comportant aucune atteinte à l’intimité de la vie privée de nature à justifier légalement les mesures ordonnées ». Mais la Cour de cassation ne l’entendait pas de cette oreille et indiqua dans sa décision du 16 juillet 1998 que « selon l’article 9 du Code civil, chacun a le droit de s’opposer à la reproduction de son image » pour rejeter le pourvoi. 

La nécessité d’un nouveau texte de loi

Les tribunaux (à l’exception notable de la Cour de cassation) reconnaissent parfois l’existence d’un « droit sur l’image », droit patrimonial sur l’image distinct du droit à la vie privée. Cependant, ces décisions se fondent toujours sur l’article 9 du Code civil. La référence à la vie privée devrait pourtant être écartée dans ces situations. Un nouveau texte de loi se fait attendre. 

Aux Etats-Unis, la plupart des législations étatiques connaissent le right to privacy, droit à la vie privée mais aussi le right to publicity, droit protégeant l’exploitation commerciale réalisée à partir des attributs de la personnalité d’un individu, comme son image. Le législateur français pourrait donc dans ce domaine s’inspirer de la commonlaw américaine et offrir ainsi aux plaideurs et aux magistrats un fondement approprié pour ces situations où l’atteinte à l’image d’une personnesphysique ne correspond pas à une atteinte à sa vie privée.

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