La responsabilité sociale des créateurs d’entreprise

En France, La responsabilité sociale des créateurs d’entreprise a été longtemps un mensonge. Que ce soit un mensonge adressé aux clients, pour inspirer leur sympathie – ou un mensonge adressé aux employés, pour susciter leur engagement. Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, on ment car on n’ose dire la vérité : beaucoup trop d’entreprises ne s’intéressent à leur responsabilité sociale que quand leur irresponsabilité est devenue trop visible.

Une différence bien visible dans les livres

Cette absence d’intérêt est d’autant plus surprenante que la majorité des livres sur l’entrepreneuriat consacrent quelques pages à ce sujet. Ainsi, la majorité des livres écrits par des Américains sur la création d’entreprise comprend une partie « morale », à l’inverse des ouvrages écrits par des Français, qui sont souvent plus terre à terre. Un paradoxe apparent, dans la mesure où nous nous représentons souvent les entrepreneurs américains comme à la fois plus pragmatiques et plus mercantiles que nous.

Bien pire, un lecteur français pourrait être irrité de lire, dans un ouvrage sur l’entrepreneuriat, un sermon sur la responsabilité sociale de l’entrepreneur. Pourtant, les ouvrages de Guy Kawazaki, par exemple, sont régulièrement agrémentés de réflexions sur la nécessité d’être un « Mensch », de ne s’engager dans des aventures que si elles sont destinées à apporter quelque chose de nécessaire à l’humanité. Même les auteurs les moins suspects de philanthropie, comme Timothy Ferriss, l’auteur de « The 4-Hour WorkWeek », conclut son ouvrage par une exhortation à pratiquer le bénévolat social, caritatif et humanitaire.

Américains contre Français

Cette morale de l’entrepreneur peut avoir deux raisons : l’utilité ou les principes. Et elle peut avoir trois formes : simple affichage, mode opératoire au quotidien, ou fin dernière de l’entreprise. Ce qui nous donne six combinaisons. Les deux combinaisons qui semblent intéresser les auteurs américains sont : la moralité comme fin dernière pour l’entreprise, par utilité – et la moralité comme fin dernière de l’entreprise, par principe. Détaillons ces deux positions.

Guy Kawasaki, notamment, défend alternativement les deux positions. D’un côté, il soutient que l’entrepreneur ne doit s’engager qu’au nom de grands principes : redresser un tort, apporter un bénéfice réel à l’humanité ou sauvegarder quelque chose de précieux. Et il justifie cela en suggérant que la création d’entreprise est une chose si ardue que l’appât du gain ne peut être son seul moteur car, très rapidement, la lenteur et les ratés du projet ne manqueraient pas d’imposer à l’entrepreneur de lâcher l’affaire. En gros, pour tenir, il faut se raccrocher à un idéal. C’est une justification par l’utilité directe.

Kawasaki exhorte aussi l’entrepreneur à être un « Mensch », c’est-à-dire un être de principe, notamment en contribuant à rendre à la communauté ce qu’elle apporte, de manière diffuse, à l’entrepreneur. Il faut intervenir dans des écoles, donner de son temps gracieusement à l’écosystème. Là encore, c’est une justification par l’utilité. Mais cette utilité est plus indirecte : l’entrepreneur, en étant un membre bénéfique de la communauté, doit donner – il ne sait pas ce qu’il reçoit, mais il sait qu’il reçoit quelque chose en retour.

Contre la culture des résultats, la culture des principes

Enfin, il existe une troisième forme de justification de cette responsabilité, qui relève d’une forme très indirecte d’utilité : dans la journée de l’entrepreneur, beaucoup de choses peuvent échapper à son contrôle. Or, si les résultats de nos actions nous échappent souvent, car ils sont des coproductions de nos choix et de l’environnement dans lequel ils prennent place, nos principes nous échappent peu : ils sont leurs propres fins, ils ne dépendent pas de leurs résultats. En ce sens, agir en fonction de principes, c’est l’assurance d’avoir, chaque jour, au moins quelques actes qui n’échappent pas à notre contrôle.

En un sens, agir par principe revient toujours à agir par utilité – car les principes nous sont utiles pour renforcer notre confiance en nous-mêmes, et garder à l’esprit l’immense privilège de l’entrepreneur, de pouvoir imposer ses règles et ses principes au monde. Ou de mourir en essayant de le faire.

Cette question de la responsabilité sociale de l’entreprise doit s’imposer au créateur d’entreprise : les startups sont certes des structures temporaires. Mais, bien souvent, les premières décisions prises à la création de l’entreprise vont dessiner la culture qui l’animera longtemps – y compris quand elle quittera cette première phase exploratoire pour industrialiser ses manières de procéder.

Créateurs d’entreprise, pensez à votre responsabilité sociale. Cela vous aidera à tenir quand les temps seront durs. Cela nourrira l’écosystème dont votre existence dépend et cela vous apportera chaque jour ce sentiment d’accomplissement nécessaire à toute vie heureuse.

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