Interview de Pascal Grégoire et Éric Tong Cuong, fondateurs de La Chose Group

Pascal Grégoire et Éric Tong Cuong ont créé ensemble La Chose Group, groupe de communication indépendant français qui s’installe petit-à-petit dans le paysage des entreprises à suivre. Rencontre avec les cofondateurs de cette entreprise pleine d’avenir. 

Quels ont été vos parcours respectifs avant de fonder la Chose Group ?

Pascal Grégoire : Je suis né dans les Vosges. Après le bac, je suis parti à Nancy où j’ai fait une maîtrise en faculté d’économie. Je voulais faire de la pub et j’ai rejoint Paris pour étudier au CELSA, qui a l’avantage d’être gratuit et relié à la Sorbonne. J’ai commencé ma carrière publicitaire chez CLM BBDO en 1988 en tant que rédacteur. Je suis par la suite allé chez Havas group où j’ai été nommé rapidement Directeur de création de l’agence Eurocom à l’âge de 27 ans. De 92 à 95, j’occupe le même poste au sein de l’agence indépendante BCRC pour ensuite prendre la présidence de l’agence EURORSCG GBHR jusqu’en 98. De là, je pars monter la filiale parisienne de Leagas Delaney, une agence anglaise prestigieuse, et je fais un tabac avec la campagne Adidas pour la Coupe du Monde 98 « La Victoire est en nous », mais aussi avec les campagnes IKEA multi-primées « RANGEZ » ou « Si vous ne le faites pas pour vous, faîtes le pour les autres » etc. En 2003, je prends la présidence de CLM alors que je pensais monter ma propre agence… J’ai piloté de grands comptes internationaux comme Pepsi, M&M’s, Uncle Ben’s, Total, Mercedes…L’envie de monter mon agence était toujours là et j’ai rencontré Eric qui avait la même envie. En 2006, nous créons donc La Chose Group.

Eric Tong Cuong : Pascal était le patron de CLM et nous étions sur la même compétition pour « Total ». Je me suis dit : « C’est mal parti car s’il regagne le budget phare de l’agence, il ne voudra plus se lancer dans notre aventure commune. » évidemment, que se passe-t-il ? Pascal regagne le budget Total !  Bon joueur, je lui envoie un SMS de désespoir en me disant que c’est ma dernière chance de ne pas le perdre : « Formidable Total, tu vas pouvoir sortir par la grande porte ! (rire) » Et il répond : « Oui, tu as raison. » ! Alors que je pensais me retrouver seul au lancement de l’entreprise, c’était finalement le début de La Chose Group.

Et votre parcours à vous ?

E.T.C : Après mes études, j’ai passé neuf ans chez BDDP où j’ai été nommé Directeur général à 27 ans (encore un point commun avec Pascal). Cela m’a fait hériter du surnom du « Mozart de la pub » mais m’a surtout permis d’accélérer et de doubler la taille de l’agence. En 1993, je suis appelé par Jacques Séguéla pour retourner dans le groupe Havas, où j’avais effectué un stage. BDDP ne me proposait pas d’avoir le poste de Directeur de création, j’ai donc accepté. C’était un peu comme aller rejoindre Dark Vador. Pour ceux qui provenaient d’une agence indépendante, il y avait l’image de « la pieuvre Havas ». Au bout d’un an, nous sommes devenus l’agence la plus créative du marché. Super démarrage avec cent premiers jours au top ! En 1994, je créé avec Rémi Babinet BTC Euro RSCG : Babinet Tong Cuong puis Mercedes Erra nous rejoignent et l’agence devient BETC, où j’occupe la fonction de Président. L’agence s’impose immédiatement avec ses campagnes pour de grands comptes tels que : L’Oréal, Peugeot, Evian, Canal ou encore Air France « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». Elle triple de taille pour devenir l’agence française de référence (8 fois consécutivement élue meilleure agence de l’année et meilleure agence d’Europe en 2001). Parallèlement, en 1997, je cofonde Naïve, un label de musique multimédia indépendant (Mirwais, Muse, Carla Bruni, White Stripes, Pixies…). J’étais fan de musique et je faisais de la publicité pour payer mes guitares ! (rires) Je rêvais de vivre de la musique mais heureusement cela ne s’est pas concrétisé en vue des difficultés pour réussir ! J’ai eu une carrière de musicien entre 1998 et 2010 avec Quark. Naïve, notre label de musique, a été contraint de mettre la clef sous la porte, l’an dernier. Après mon parcours chez Havas, j’ai pris la présidence d’EMI au début de la crise musicale. Celui qui m’avait embauché s’est fait licencier au bout de six mois ! Éternel adolescent, j’ai pu rencontrer les stars que j’aimais. Je savais que j’allais faire partie du plan social. Cette expérience difficile m’a confronté à des situations emplies de pression. à son issue, je me suis senti cassé et je me suis dit que j’allais la jouer sécurité : la Young & Rubicam mais l’envie de créer mon bébé était toujours là… et la mayonnaise avec le système anglais ne prend décidément pas. Tant mieux, c’est le moment où je créé, début 2006, avec Pascal, La Chose, une agence 100% indépendante : un modèle d’agence radicalement nouveau, taillé pour l’ère digitale. La Chose grandit, vite, très vite, tout comme l’amitié qui me lie à Pascal. Aujourd’hui, nous sommes 120 personnes, nous avons la confiance de clients tels que La Sécurité Routière, la Monnaie de Paris, Kronenbourg, Labeyrie, Solidays, Nocibé, Jardiland, Générale d’Optique, Piper-Heidsieck, Fortunéo, L’Artisanat, Getty et plein d’autres.

De là, est né l’idée du fameux 360 ?

P.G. : Les grands groupes (de ce métier) ont du mal à tout remettre sur le tapis. Nous avons constaté qu’ils subissaient de véritables problèmes d’organisation et que l’aristocratie publicitaire les freinait dans leur besoin d’évolution. Ils étaient très conservateurs vis-à-vis des évolutions technologiques notamment numériques.

E.T.C : Contrairement à ce qu’on peut penser, les créatifs sont souvent les plus conservateurs. Nous étions certains que le temps qu’ils bougent et s’adaptent aux évolutions, il y avait une fenêtre qui s’ouvrait et que nous allions prendre le maximum d’avance. C’était donc en 2006. Aux États-Unis, le métier commençait à peine à évoluer depuis 2002 et nous avons pensé que quatre ans de retard, ce n’était finalement pas grand-chose. Nous étions convaincus, à l’époque, qu’Internet supplanterait la télévision. Au final, nous n’avions pas tort : Facebook et les réseaux sociaux, qui sont apparus plus tard, n’ont fait qu’amplifier ce mouvement. Notre premier acte fondateur réside dans le fait d’avoir placé le digital au centre. Nous avions raisonné de manière holistique et compris qu’il fallait travailler des architectures de communication plus intéressantes. Nous voulions aussi retrouver un niveau de discussion avec les patrons des entreprises sur l’importance de la communication ainsi que les lettres de noblesse de la communication par rapport à l’image. Enfin, nous avons réalisé que le gain de productivité devait se faire avec les images.

P.G. : L’enjeu réside dans la rapidité. Nous venons d’ailleurs de lancer une nouvelle offre, One Shot : il s’agit de proposer à un client de venir exposer son projet et, nous, nous trouvons l’idée immédiatement, nous la produisons et nous créons l’image nous-même à l’antenne ou sur du digital, ou via des événements etc. C’est la première fois que nous avons une association aussi directe entre une maison de production et une agence de pub. Cela correspond aussi à une nouvelle manière de communiquer qui prend en compte le digital, qui a cassé un certain nombre de codes. Les choses s’accélèrent, raison pour laquelle l’entreprise porte le nom de La Chose : nous prenons une forme qui évolue en fonction des besoins des clients mais nous sommes aussi un objet qu’on fabrique. Je ne serais pas surpris que, d’ici les prochaines années, il y ait une fusion entre les maisons de production et les grandes agences de publicité.

Quelle est votre stratégie à venir ?

P.G. : Pour percer à l’international, il faut d’abord être très fort dans son pays d’origine. Nous nous concentrons donc d’abord sur la France avec pour ambition de devenir le premier groupe indépendant français, dans les cinq ans qui viennent.

E.T.C. : Nous avons plusieurs axes stratégiques : nous sommes la seule agence à être spécialisée dans le corporate. Il s’agit de notre premier axe en tant qu’agence indépendante même si, par exception, nous avons touché à la sécurité routière ou à l’artisanat. Le deuxième point repose sur le fait que nous voulons maîtriser notre production : nous souhaitons être capables de faire, de produire tout ce que l’on nous demande. Il s’agit de pouvoir s’engager auprès de nos clients qui ont un problème et pouvoir leur amener une solution. Troisième point : le digital. Certains pensent que ce n’est pas sain car aujourd’hui, il n’est pas évident de gagner de l’argent. Nous nous sommes demandé si nous devions arrêter car cela ne rapporte pas assez d’argent. Nous avons conclu que le digital représentait un enjeu stratégique d’avenir et que, comme nous étions actionnaires, nous pouvions prendre ce pari.

P.G. : L’enjeu évolue car la digitalisation des marques devient essentielle. Nous ne pouvons pas accompagner le client sans avoir des connaissances et expertises étendues sur le métier. Nous voulons pouvoir le conseiller dans un magasin, sur le e-commerce, etc. Le chantier reste de taille car il s’agit de l’avenir du métier.

Quelle est votre plus grande satisfaction, à chacun ?

P.G. : Le fait qu’on brille « créativement » parlant. Je suis très content car nous venons de réaliser la campagne française la plus primée dans le monde avec la sécurité routière (plus de 50 prix !). Il s’agit d’une grande fierté pour moi. Il était important d’imposer notre marque et d’avoir une belle réputation créative. C’est le début du chemin pour devenir une grande agence.

E.T.C. : Nous avons ouvert la porte à de nombreuses agences indépendantes et nous leur avons redonné le sentiment que c’est possible pour des agences françaises face à des groupes comme Havas et Publicis. C’est ma première grande fierté. Ensuite, ce que sont devenus les gens qui sont passés par La Chose est tout aussi important pour moi. Nous sommes une rampe de lancement pour une nouvelle génération de talents, comme pour les réalisateurs talentueux We Are From LA, qui ont commencés chez nous en tant que créatifs. La diversité fait également partie des motifs de satisfaction. Nous sommes la preuve que la diversité fonctionne avec des origines très différentes au sein de l’équipe fondatrice.

Et la plus grande difficulté ?

E.T.C. : Je pense que nous étions trop d’associés au départ. Vous pouvez très bien connaître des gens mais tant que vous ne les avez pas vus en tant qu’entrepreneurs, vous ne les connaissez finalement pas autant que cela. La réalité d’un entrepreneur, c’est qu’on ne peut pas déléguer si les chiottes sont bouchées ! Il faudra vous y atteler vous-même. Je trouve justement les débuts passionnants car cela permet aussi de ne pas prendre la grosse tête et se prendre pour ce que nous ne sommes pas. Une autre difficulté reste de garder les jeunes car ils changent de boîte tous les trois ans. Mais en y mettant les moyens nous capitalisons sur l’avenir ! Nous avons mis en place des évolutions de postes, accéléré les formations des salariés, créé des séminaires… D’ailleurs, en parlant de difficultés et quand je suis au plus bas, j’ai une phrase pour me remonter le moral : « À quoi cela sert de se suicider quand il y a tant de gens à décevoir ? »

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« La réalité d’un entrepreneur, c’est qu’on ne peut pas déléguer si les chiottes sont bouchées ! »

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