L’entreprise libérée : révolution ou simple mode ?

De plus en plus d’entreprises placent l’humain au centre de leur fonctionnement et se reposent sur le savoir-faire et l’esprit d’initiative de leurs salariés. En partant du principe que chacun sait ce qu’il doit faire, l’entreprise libérée met en place un nouveau système de management et d’organisation. Cette méthode constitue un bouleversement dans la tradition hiérarchique verticale en place depuis toujours. S’agit-il d’une simple tendance ou de la forme de l’entreprise de demain ?

La théorie de l’entreprise libérée

Théorisée en 2012 dans l’ouvrage d’Isaac Getz et Brian M. Carney intitulé « Liberté & Cie : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises », l’entreprise libérée repose sur la reconnaissance et la confiance dans les compétences des employés. Au cours de leurs observations, les deux auteurs établissent les maîtres mots de ces firmes : autonomie, absence de hiérarchie, confiance et esprit d’initiative, qui constitue le moteur de l’activité des salariés. Ceux-ci savent ce qu’ils ont à faire et peuvent s’organiser comme bon leur semble. Ils disposent d’une totale autonomie pour aménager leurs horaires ainsi que leur mode de travail.

L’entreprise libérée abolit toutes traces de hiérarchie telles que les places de parking privées mais aussi les échelons internes. Dans la hiérarchie pyramidale traditionnelle, le directeur s’adresse à ses sous-chefs qui s’adressent eux-mêmes à des échelons intermédiaires et ainsi de suite jusqu’aux plus petits ouvriers. Cette manière de fonctionner se voit bousculée par cette vision de l’entreprise où tous les salariés sont placés au même niveau.

La confiance comme ciment de la société

La confiance accordée aux employés dans une firme libérée permet de les responsabiliser et les encourage à proposer et travailler davantage. Comme ils se sentent plus impliqués, ceux-ci développeraient naturellement une tendance à travailler de façon plus assidue. Ces sociétés présentent toutes un meilleur rendement ainsi qu’une forte cohésion de groupe. Les agents se tournent naturellement vers l’élaboration de projets collaboratifs, ce qui contribue à améliorer l’entente entre les membres d’une équipe qui se font entièrement confiance. Le concept de société libérée s’est étendu jusqu’en Inde, où Vineet Nayar, dirigeant du géant local des télécommunications HCL, a attribué à sa firme la devise « l’employé d’abord, le client après ». Responsabilisation, confiance et autonomie des salariés semblent donc la clé du succès mais plusieurs critiques concernant cette méthode de management et d’organisation libérés émergent.

Responsabiliser ses salariés pour un meilleur rendement

L’absence de contrôle et de supervision des tâches confèrerait une source de motivation supplémentaire au personnel, qui se sentirait écouté et pris au sérieux. Une centaine de sociétés ont déjà adopté ce mode de fonctionnement à travers le monde et toutes constatent une hausse de leur productivité et de leur chiffre d’affaires due à cette « libération ».

L’entreprise nantaise Chrono-Flex a sauté le pas de la « libération » de ses employés en 2008. Son chiffre d’affaires a décollé de 15% dès la première année de mise en place de ce système. Cette croissance à deux chiffres a perduré pendant deux ans et s’explique directement par le regain de motivation des salariés. Ceux-ci expriment désormais leurs revendications, notamment au sujet de leur salaire, à la direction sans étape hiérarchique à franchir. 

Une autonomie relative

Cette grande autonomie ne rime pas pour autant avec anarchie, des règles définies collectivement indiquent à chacun son degré de liberté. Ces lignes de conduites revêtent une importance particulière : en définissant les « irritants », elles mettent en valeur les attitudes et actions susceptibles de nuire au bien-être et la productivité des salariés.

Plusieurs freins à la libération des sociétés

Le modèle d’organisation verticale demeure très ancré dans les institutions françaises et occidentales en général. La culture constitue une barrière importante au développement de cette technique car dans certains environnements, les employés ne sont tout simplement pas prêts à voir s’effondrer la pyramide hiérarchique. Certaines personnes peuvent par ailleurs comprendre la responsabilisation induite par cette liberté comme une trop grosse pression sur leurs épaules et sombrer dans la dépression ou le burn-out. En fonction de leur besoin d’accompagnement ou de pouvoir, certains agents peuvent ne pas se sentir à l’aise avec ce concept voire le rejeter totalement. 

Libérer une entreprise suppose aussi que ses salariés disposent de la maturité nécessaire, ce qui s’avère parfois plus compliqué qu’il n’y paraît. Si quelques manipulateurs se glissent dans l’équipe, ceux-ci peuvent rapidement prendre le contrôle et rétablir un mode de direction pervers. L’abandon de toute organisation interne peut aussi conduire à la stigmatisation des cadres et intermédiaires. Ceux-ci sont susceptibles de mal interpréter leur perte de pouvoir ou d’être mis à l’écart par les autres. Il convient donc de s’assurer de la bonne foi des agents avant de leur donner carte blanche dans leur activité. Selon le profil des agents, mettre en place la libération de son entreprise peut se révéler évident ou plus complexe. Il existe deux façons de mettre ce changement en œuvre, une méthode radicale et une plus subtile et évolutive, dite « incrémentale ».

Conduire une firme à sa libération par étapes

Le changement incrémental s’avère le plus efficace. L’abandon brutal de toute organisation interne peut effrayer les uns et susciter l’incompréhension chez les autres. Quelques attitudes simples permettent d’inciter la prise d’initiatives et la responsabilisation des salariés. Tout dépend des profils concernés mais des principes de base comme l’encouragement à une prise de parole libre ou une circulation ouverte de l’information constituent de premières étapes. Instaurer un climat de bienveillance et de droit à l’erreur demeure également fondamental : si les agents se sentent acculés, s’ils ne peuvent commettre la moindre faute, ils ne se livreront pas. Développer le volontariat et encourager les employés à émettre des suggestions et à mener des projets représente le début du chemin vers la liberté. Plus on habitue les employés à prendre des initiatives et à s’exprimer, plus ils auront tendance à le faire spontanément !

Quitter la version mobile