Entrepreneurs, réveillez votre potentiel collectif avec l’écologie industrielle et territoriale !

Une économie qui mise avant tout sur les synergies et les mutualisations 

Il ne se passe pas un jour sans que l’on nous rabâche la crise et les difficultés financières des entreprises : oui, les temps sont durs et pour tous. Pourtant, des gisements d’économies sont là sous nos yeux mais nous ne les voyons pas…Déchets enfouis ou incinérés alors qu’ils pourraient servir de matières premières secondaires, circulation de camions à vide alors que le chargement pourrait être optimisé, énergie fatale perdue dans l’air alors qu’elle pourrait être récupérée, j’en passe et des meilleurs… Et si l’on y regarde de plus près, les potentiels de maximisation et de synergie sont énormes pour optimiser tous ces flux….

Et bien justement c’est cela l’écologie industrielle et territoriale, alors écoutons une experte du sujet nous en parler. Nathalie Boyer, Déléguée Générale d’Orée, nous en donne une définition plus précise « L’écologie industrielle et territoriale est une démarche systémique et opérationnelle qui s’inspire des écosystèmes naturels et qui vise à limiter la pollution et les prélèvements de ressources… Pour cela, elle vise concrètement à optimiser et échanger les flux de matières et d’énergies d’un territoire, en valorisant par exemple les déchets en matières premières secondaires, et en mutualisant des services dans une logique de partage comme les achats et les transports sur une même zone d’activité ». 

Autrement dit, l’écologie industrielle et territoriale considère le territoire comme un « écosystème » et s’inspire des mécanismes naturels pour développer la coopération entre acteurs et optimiser la gestion locale des flux (matière, énergie, information). Des synergies sont ainsi possibles, soit par mutualisation de biens, de ressources ou de services (optimisation des coûts de logistique), soit par substitution. Par exemple, l’ammoniac et les excédents d’eau chaude générés par une entreprise de chimie peuvent être valorisés en agriculture maraîchère comme substitution à des fertilisants et à l’énergie nécessaire pour chauffer une serre. La première société bénéficie ainsi d’une source de revenu tout en améliorant son image ; quant à la deuxième, elle dispose d’un accès privilégié à des ressources à moindre coût.

Pour se déployer, cette économie doit miser sur la coopération multi-acteurs et faire une part belle au territoire…

Une économie nouvelle qui fait le pari des territoires et répond à des enjeux sociétaux forts

En fait, il faut réfléchir de façon positive dans un cadre collectif et territorial, comme nous le précise Nathalie Boyer d’Orée, « Il nous faut positiver notre relation à l’environnement. Certes, il ne faut pas tomber dans l’angélisme sous toutes ses formes, les impacts négatifs sur l’environnement existent mais quand on aborde le problème des ressources sous l’angle positif, on trouve des synergies et des coopérations. Et c’est justement la spécificité de ce modèle : il est multi-acteurs, part d’une grappe d’entreprises ou d’une collectivité et regroupe un certain nombre d’acteurs satellites comme les CCI, les centres techniques, l’ADEME, ORÉE et bien d’autres spécifiques à chaque projet, pour créer des synergies et des mutualisations à l’échelle d’un territoire ».

Attention, ne vous y trompez pas, l’écologie territoriale et industrielle est à tort souvent assimilée au recyclage des déchets en matières premières secondaires : de grâce, ne vous arrêtez pas à cela. Elle va nettement plus loin. Nathalie Boyer nous le confirme d’ailleurs soi-dit en passant : « Cette écologie permet de faire le lien entre tous ces nouveaux modèles dont on parle, l’économie de fonctionnalité, l’économie circulaire, l’économie collaborative notamment…et j’en veux pour preuve avec l’opération francilienne test que nous montons, une opération financée par la Région Ile de France, la DRIEE et l’ADEME et où nous allons accompagner 15 entreprises sur l’écologie industrielle et territoriale et 6 entreprises à l’économie de fonctionnalité ! » (cf. articles précédents sur l’économie de fonctionnalité, l’économie circulaire, et l’économie collaborative).

Oui, je vous le concède, tous ces modèles se ressemblent un petit peu, mais de grâce mettons les guerres de chapelle de côté, et restons dans le concret, l’important étant de servir la cause qui nous réunit, à savoir le déploiement concret d’un modèle qui permet de découpler notre croissance économique de notre consommation de ressources (tout en réduisant nos impacts) et de répondre aux vrais enjeux sociétaux qui sont les nôtres : maîtriser notre dépendance énergétique, valoriser la matière, optimiser les flux, valoriser le potentiel de déchets inexploités, permettre de créer des emplois à forte utilité sociétale, tout ça avec pour finalité de créer du lien entre les territoires et de la cohésion économique !

Des exemples édifiants qui parlent d’eux-mêmes

Dans l’Aube, la synergie dite des « sables » nous donne déjà un bon avant-goût : Eiffage récupère les sables d’une coopérative de betteraves pour alimenter en matériaux ses chantiers du BTP, et les gains sont estimés à 100 000 euros par an (hors investissement de départ).

Et que dire du projet d’Arcelor Mittal qui récupère 4,7 milliards de m3 de gaz par an pour alimenter la ville de Dunkerque en électricité, alors qu’auparavant ils partaient en énergie fatale (pour faire simple, l’énergie était tout simplement perdue) ! 

Ou encore comment ne pas parler du projet d’Equimeth, une belle initiative de méthanisation, qui consiste à valoriser des déchets équins et de biomasse (paille, déchets verts, invendus de grandes et moyennes surface et d’industries agroalimentaires) en biogaz : « plus de 40 000 tonnes par an seront ainsi valorisés en biogaz réinjecté dans le réseau de gaz naturel, avec en plus à la clef 4 créations d’emplois directs et indirects » nous annonce Nathalie
Boyer d’Orée. Mais ne vous y trompez pas, il ne s’est pas fait d’un coup de baguette magique : au-delà du fait qu’il a mobilisé 10 millions d’euros de financements, il a sollicité beaucoup d’acteurs (ZA Renardières, en partenariat avec l’Ecole des Mines, la Biosphère de Fontainebleau, la communauté de communes de Moret / Seine et Loing, et BES) et ne s’est pas fait sans difficultés. Il a fallu convaincre les élus des bienfaits de la méthanisation, rechercher un terrain favorable, modifier le Plan d’Occupation des Sols, etc.
Mais pour quels résultats puisqu’il évite 7200 tonnes équivalents CO2 et permet d’alimenter le chauffage de 1400 foyers urbains soit 3500 habitants !

Mais ces projets d’écologie industrielle et territoriale ne sont pas réservés qu’aux grandes structures ! J’en veux pour preuve l’exemple du Pôle Synéo à Valenciennes qui travaille sur un projet de mutualisation des achats d’énergies : ils cherchent à réunir les entreprises de la zone pour acheter du gaz et de l’électricité de façon groupée, la réduction de la facture d’énergie servant à verser des dividendes aux entreprises qui financeront l’approvisionnement du parc en énergies renouvelables d’un côté et des actions d’économies d’énergie dans l’entreprise de l’autre. Génial non ?

L’exemple d’Ecopal en est aussi une bonne illustration : ce projet né sous la houlette d’un groupe d’industriels met en œuvre le principe de synergie pour trouver des solutions à la gestion des déchets ; en inventant les flux, en les substituant et en les massifiant, ils ont peu à peu développé de très belles synergies : pour preuve, la valorisation d’eau chaude d’un circuit de refroidissement permet de chauffer des locaux. Ces actions de mutualisation qui augmentent la valorisation des déchets et optimisent le transport peuvent faire économiser aux entreprises plusieurs dizaines de milliers d’euros ! Avec un gain d’image à la clef et un territoire à l’attractivité renforcée. Et l’avenir est plus que prometteur car les opportunités ne manquent pas sur les zones d’activités ! Résultats : 150 entreprises sont concernées, 30 synergies de substitution sont actives, 300 emplois directs ont été créés, 262 tonnes de déchets sont valorisés, 45 tonnes de CO2 sont économisés, et cette mutualisation permet souvent la gratuité.

Mais on peut aller toujours plus loin dans la mutualisation : en effet, au-delà de la cartographie des flux de matières, on peut aussi cartographier les flux d’énergie et transmettre les excédents d’énergie. Une entreprise peut donc vendre son surplus d’énergie à une autre. On peut même vendre ses surplus d’eau usée. Solvay, une entreprise de chimie, vend son rejet d’eau déminéralisée à une entreprise pour son process de nettoyage de poids lourds : l’eau est de meilleure qualité à moindre coût, et de fait réduit l’empreinte eau sur le territoire.

Tous ces exemples sont des débuts d’écologie industrielle. Très peu ont aujourd’hui poussé les potentialités du modèle jusqu’au bout : si vous avez l’occasion néanmoins de jeter un coup d’œil sur la symbiose de Kalundborg, ça vaut le détour. Dans ce modèle, les entreprises deviennent des partenaires et des acteurs décisionnels au sein du territoire : la gouvernance est collective, la décision est collégiale et négociée avec l’ensemble des parties prenantes : du développement durable comme on en a toujours rêvé ! Le système de gouvernance est différent, la relation au territoire aussi…

Des gisements d’économies à n’en plus finir et des bénéfices territoriaux plus qu’évidents

A l’échelle du territoire, force est de constater que les bénéfices sont nombreux : ancrage territorial, renforcement de l’attractivité, inscription dans une logique de développement local et de circuits courts, etc.

A l’échelle de l’entreprise, les résultats sont eux aussi assez édifiants : optimisation de l’environnement économique de l’entreprise, économies d’échelle, génération de revenus grâce à la vente des sous-produits, amélioration de l’éco-efficacité des process… La mutualisation permet même souvent la gratuité !

Quand on y réfléchit, le potentiel de mutualisation semble donc infini : recrutement de personnes à temps partagé sur une même zone d’activité, développement d’une offre de mobilité collective sur une zone peu accessible, ou encore mutualisation des achats de papier, de carton, d’eau… Carvin entreprises propose d’ailleurs des postes d’acheteurs mutualisés, et c’est la mutualisation des achats entre entreprises qui lui permet justement de les financer : il privilégie en plus les circuits courts pour favoriser les fournisseurs locaux, et réduit les coûts, la pollution et le trafic. Quand je vous dis que l’investissement permet de gagner de l’argent et de faire des économies ! Et que c’est bon pour la planète en plus ! La boucle est tout simplement vertueuse. 
Idéal ? Oui sur le papier, car quand on s’y penche de plus près, les freins sont nombreux et pour que la sauce prenne, il faut réunir un certain nombre d’ingrédients.

Les ingrédients de la réussite

Un projet d’écologie industrielle et territoriale ne peut s’envisager sans réunir un certain nombre d’éléments. Ecoutons Nathalie Boyer d’Orée nous les lister « Certes, un tel projet a un coût, demande du temps, et de l’investissement mais les financements existent et se trouvent assez facilement. Ce qu’il faut avant tout, c’est un porteur politique capable de monter le projet. Ensuite un animateur doit être présent pour faire exister les relations entre tous les acteurs du territoire et l’approche doit être temporelle, s’inscrire dans le long terme, point ne sert de faire une étude de flux unique, cela n’apportera pas grand-chose dans les faits. Enfin, il faut convaincre les chefs d’entreprises de libérer du temps et de partager des données, les chefs d’entreprises étant souvent très réticents à partager avec leurs voisins, et encore moins avec leurs concurrents. La confidentialité des données reste donc un point clef qu’il faut savoir gérer ».

Il ne paraît point étonnant que le frein humain et sociologique soit aux premières loges, les chefs d’entreprise n’ayant pas encore la vision systémique : il nous faut donc innover socialement, tout comme l’animateur du projet qui reste un point clef de réussite. Nathalie Boyer nous le confirme une fois de plus « l’animateur possède un rôle essentiel, pour créer de la valeur ajoutée, il faut avant tout faire naître de la chaleur ajoutée. Sans animateur, le soufflet collectif ne prend pas et ne peut pas perdurer dans le temps. Et pour tisser ce lien social qui réunit les acteurs, il faut créer la confiance sur le territoire ». Tous les projets qui ont échoué ont manqué d’animation !

Sans parler évidemment de toutes les compétences techniques qu’il faut mobiliser pour réussir un tel projet : un bureau d’études qui soit capable de faire une étude des flux, de visualiser les synergies, et de démontrer la viabilité du projet.

Tout un programme donc qui demande une approche qualitative et quantitative pour identifier les bons acteurs et mesurer les flux, une approche technique pour étudier la faisabilité des synergies, une dynamique collaborative pour réussir la concertation et la mobilisation, sans parler de passer tous les obstacles sociologiques et psychologiques du regroupement d’entreprise. C’est donc un sacré défi qui demande beaucoup d’énergie ! Mais qui fait aussi honneur à l’innovation sous toutes ses formes qu’elle soit technologique, sociale ou sociologique.
Et pour se faciliter la tâche, il faut évidemment chercher un terreau favorable, « quand un réseau d’acteurs est déjà existant et la confiance installée, ça facilite grandement la chose » nous déclare passionnée Nathalie Boyer d’Orée. D’ailleurs, il n’y a pas de limite en termes de périmètre ou d’échelle, « il faut faire du cas par cas, cela dépend de chaque territoire et des acteurs qui y sont implantés. Mais ce qui est certain, c’est que l’acteur politique de premier plan, la Région, doit se saisir impérativement de ce sujet et des enjeux stratégiques, financiers et politiques associés pour mobiliser les territoires, il en va de la réussite du déploiement de ce modèle » nous confirme Nathalie Boyer. Cela a le mérite d’être clair.

Des acteurs et des politiques publiques mobilisées en ce sens

L’Etat joue un rôle capital, il doit appuyer ces acteurs de la nouvelle économie pour permettre la transition écologique et énergétique dont on nous parle tant. Nathalie Boyer d’Orée nous le confirme « A la dernière conférence environnementale, il a été acté de lancer une Stratégie Nationale de l’Ecologie Industrielle et Territoriale, celle-ci doit émerger ». Reste à voir quelles grandes lignes directrices il en ressortira. De toute façon, vu l’ampleur des enjeux sous-jacents, l’Etat et les politiques publiques doivent plus que jamais se mobiliser autour de ce modèle et promouvoir les démarches volontaires au service de la transition énergétique et écologique.

Tous les acteurs se mobilisent d’ailleurs pour travailler ensemble : le groupe de travail « Outiller les collectivités en matière de mutation de l’économie » animé par Orée, le Conseil Régional d’Ile-de-France, l’ARENE, l’IAU, le TEDIFF et ETD et qui est né sous l’initiative de la DRIEE en est un bel exemple : il a d’ailleurs très concrètement permis de donner naissance à des fiches pratiques de passage à l’action à destination des élus et des services : ne l’oublions pas, les collectivités sont des acteurs phares de ce modèle ! Et comment ne pas citer l’association Orée, au cœur du déploiement de ce modèle. Ecoutons à nouveau Nathalie Boyer nous parler de sa mission « Orée met à disposition des outils et des méthodes sur l’écologie industrielle comme la plateforme COMETHE, valorise les retours d’expériences et les travaux de recherche, fédère les acteurs, et accompagne les territoires ».

Nous avons de toute façon plus que jamais besoin d’instruments politiques, d’outils, de formation, de compétences, et d’un appui financier de l’Etat : rassurons-nous, « les financements pour ces projets ne manquent pas, de nombreux appels à projets pour soutenir les territoires voient le jour » nous annonce Nathalie Boyer d’Orée. Ouf ! Le terreau est là, il ne nous reste plus qu’à faire pousser les graines de projets d’écologie industrielle et territoriale ! Et à clarifier le chemin de nos entrepreneurs qui sont à l’origine de nombreuses de ces graines !
Alors entrepreneurs, vous avez envie de devenir acteur de la démarche, de passer aux actes concrets, de rechercher des services de proximité, de rentrer dans un système d’échanges locaux, ou même tout simplement pourquoi pas être l’instigateur d’un projet sur une zone d’activités, alors ce modèle est fait pour vous ! Et n’utilisez pas l’argument de la complexité du montage du projet, pour ne rien faire, si déjà vous mutualisez avec vos voisins, vous êtes sur le bon chemin. N’oublions pas comme disait Confucius « ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières »

3 maîtres mots à retenir pour vous lancer : valorisation, mutualisation, synergie. Pensez collectif et agissez !

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