
Lorsque, dans une société, un dirigeant statutaire délègue une partie de ses pouvoirs ou est assisté par un directeur adjoint ou délégué, les actes pris par ce délégataire engagent pleinement l’entreprise. Petit rappel utile des règles applicables pour éviter des situations délicates.
Primauté du droit communautaire
Dans un arrêt du 9 juillet 2013, la Cour de cassation a rappelé, au visa de la Directive européenne de 2009 sur le droit des sociétés, que les clauses limitatives de pouvoir d’un organe de la société sont inopposables aux tiers, même si elles sont publiées.
Le principe est connu. Mais l’originalité de cet arrêt est de l’étendre à toutes les formes de sociétés. Même celles où le code de commerce ne le précisait pas explicitement, comme pour les directeurs généraux de SAS.
La société est toujours engagée par les actes de ses représentants légaux, mais elle l’est également par les actes de ses dirigeants irrégulièrement désignés, si cette nomination a été régulièrement publiée et portée au Kbis.
De plus, une personne non habilitée peut valablement engager la société si le tiers cocontractant a légitimement cru que son interlocuteur disposait des pouvoirs nécessaires.
C’est la notion de mandat apparent qui s’applique à toute personne se présentant comme dirigeant de la société (directeur commercial, directeur technique…), mais aussi pour les salariés de la société, et ce sous réserve que les usages commerciaux puissent dispenser le cocontractant de vérifier les pouvoirs de son interlocuteur.
Concilier des intérêts contradictoires
Le champ des possibles est donc vaste. Toute la question est de réussir à concilier la volonté des associés d’utiliser leur droit de limiter les pouvoirs d’un dirigeant, avec cette règle d’inopposabilité aux tiers de telles limitations. Il est également légitime de s’interroger sur l’intérêt de ces limitations si la société reste engagée par des actes passés en violation de la volonté des associés.
Certes, une telle violation ne serait pas sans réponse de la part des associés à l’égard desquels le fautif engage sa responsabilité et peut se voir condamné à indemniser la société du préjudice éventuellement subi et s’expose à la révocation. Mais il s’agit ici d’une situation contentieuse là où des statuts (ou un pacte d’associés) ont naturellement vocation à avoir force de loi pour leurs signataires, et devraient donc préserver d’un contentieux interne.
La position jurisprudentielle, renforcée par cet arrêt de juillet 2013 et qui en appelle à la primauté du droit communautaire, tend très clairement à privilégier la sécurité des relations contractuelles et des transactions au détriment des pactes internes à une société. Certains vont ainsi découvrir la faiblesse de ces pactes dont la seule sanction est indemnitaire : ils ne peuvent entraîner la nullité ou l’inopposabilité d’un acte contraire et la pratique contentieuse démontre chaque jour que de telles violations ne sont pas seulement théoriques, pour choquantes soient-elles.
Il est donc essentiel de ne pas se fier uniquement à la signature d’un pacte pour penser la société à l’abri, mais bien plus faut-il se prémunir contre des situations de violation des clauses de limitation de pouvoirs, soit par un contrôle, soit au contraire en n’accordant pas de pouvoir de dirigeant à l’intéressé. La confiance doit parfois s’effacer devant la sécurité.