Doctolib simplifie la prise de rendez-vous médicaux sur le web

À deux pas du Sentier, quartier de l’innovation situé dans le 2e arrondissement de Paris, la jeune start-up Doctolib grandit en toute discrétion. Pourtant, l’entreprise créée en 2013 affiche déjà 200 collaborateurs et prévoit d’en recruter 30 chaque mois cette année. Reportage. 

Boulevard de Sébastopol, Paris, 2e arrondissement. Au milieu du brouhaha de l’avenue et entre deux cafés se dresse le 131, un immeuble de type haussmannien de plusieurs étages. C’est là que nous avons rendez-vous ce mois-ci. Après un bref passage dans une cour pavé traditionnelle, direction le deuxième étage, où trône le siège social de Doctolib, jeune start-up du web, spécialiste de la prise de rendez-vous médicaux en ligne. à peine la porte battante franchie, nous pénétrons à l’intérieur d’un vaste open-space, où le logo de l’entreprise s’affiche discrètement entre deux pièces. Il est 8h30 ce matin-là, et vingt collaborateurs fraîchement recrutés sont tous assis à leur table, prêts à recevoir leur première formation en tant que « Doctolibers ».

Une entreprise qui nécessite quelques notions médicales.

Le concept de Doctolib s’articule autour de deux points. Côté patients, la solution permet de trouver un professionnel de santé, ses horaires et de réserver un rendez-vous en ligne. Mais cette brique n’est que la façade du produit. Le logiciel permet aussi aux professionnels de santé d’optimiser leur temps et leur activité de consultation, grâce à des outils de gestion de rendez-vous, des rappels et SMS automatiques pour éviter l’absentéisme en cabinet, ainsi que des services en matière de communication et du conseil en organisation de cabinet.

Une petite formation d’une matinée ne paraît donc pas de trop pour sensibiliser les nouveaux collaborateurs aux connaissances de base du secteur. Au cours de cette « Docto Academy », les nouveaux arrivants écoutent avec attention le discours d’Olivia, responsable marketing B to B, pour se soumettre au fameux rituel de formation au milieu médical. L’ensemble des spécialités de médecine y sont balayées de A à Z. à l’issue de cette matinée, les collaborateurs possèdent les notions de base et semblent prêts à attaquer leur cœur de métier avec envie.

De sportif de haut niveau à entrepreneur.

L’homme derrière le concept de Doctolib, c’est lui : Stanislas Niox-Chateau, jeune homme d’à peine trente ans, sourire en permanence aux lèvres et léger bégaiement venant ponctuer le débit de ses paroles. Stanislas possède un parcours atypique. « Jusqu’à l’âge de 17 ans, je m’entraînais dur pour devenir tennisman de haut niveau » explique-t-il. « Mais en 2004, j’ai été contraint de ranger la raquette au placard à cause d’une blessure au dos. »

Le jeune homme, qui a vécu en Espagne et aux États-Unis grâce à son sport, rebondit immédiatement. Il intègre HEC et décide de mettre son énergie d’ancien sportif au service de la création d’entreprise. « Je retrouve des similitudes flagrantes avec l’entrepreneuriat. Je compare souvent les collaborateurs à une équipe sportive. Celle-ci se fixe des objectifs et essaye de suivre une vision commune » détaille le jeune homme.

Sportif de haut niveau ?

« Être sportif de haut niveau, c’est avoir une forte capacité de travail, de l’humilité, la capacité à se remettre en question, à attaquer… L’exigence d’une vie de sportif est la même que lorsque vous montez une entreprise. » Pendant ses études en 2009, Stanislas cofonde sa première boîte qu’il intitule Otium Capital. Il s’agit d’un fonds d’investissement qui investit dans plusieurs start-up du web (plus de 100 millions d’euros en 7 ans), parmi lesquelles les célèbres Lafourchette, Weekendesk ou Balinéa.

Domaine de l’intermédiation ?

Toutes les start-up que Stanislas développe grâce à son fonds se situent dans le domaine de l’intermédiation. C’est d’ailleurs fort de cette expertise dans le domaine de la prise de rendez-vous sur le web, et de sa proximité avec le milieu médical, que Stanislas réfléchit au concept de Doctolib. « Je voulais révolutionner un secteur, changer massivement les usages. » Partant du constat que le domaine de la santé publique n’avait pas connu de véritable innovation depuis de nombreuses années, le jeune entrepreneur bâtit son concept. Seulement, pour y parvenir, il doit s’entourer.

Jessy et Ivan : les techniciens au service du projet.

Aux côtés de Steve Abou Rjeily, jeune entrepreneur ayant créé sa première société à 14 ans, Stanislas développe son idée. « Des outils de prise de rendez-vous médicaux avaient déjà été développés à l’étranger, aux États-Unis, en Inde, au Japon, en Corée notamment, mais il n’existait rien en Europe » explique-t-il.

En septembre 2013, Stanislas et Steve se mettent à la recherche d’expertises techniques pour mener à bien le développement du produit. Ils contactent une centaine de directeurs techniques, en rencontrent une trentaine, parmi lesquels Ivan Schneider et Jessy Bernal, avec lesquels ils réalisent quelques sessions de travail. Stanislas décrit : « Il s’agit de deux jeunes de moins de 30 ans diplômés de l’EPITA, qui ont cofondé ensemble une dizaine de projets et sociétés dont une revendue à Stéphane Courbit, via sa société Lov Group. Nous avons tout de suite sympathisé et ils ont accroché à la vision globale de notre projet. » Fin septembre, les compères s’associent. Ivan et Jessy prennent en charge les développements technologiques et produit de Doctolib.

Croissance fulgurante !

Rapidement, le service prend forme. Le 1er octobre 2013, la première ligne de code de la solution est écrite. Le site web est lancé en novembre avec une cinquantaine de clients. Ivan et Jessy réalisent toute l’architecture du logiciel de A à Z, ce qui les rend propriétaires à 100 % de leur technologie. De concert avec le corps médical, très à l’écoute des besoins des praticiens, les fondateurs s’attachent à bâtir la solution pendant les neuf premiers mois, jusqu’à l’été 2014. « C’est à ce moment-là que nous avons commencé à recruter 10 personnes par mois. Nous avons ouvert les premières villes de province en octobre 2014 » détaille Stanislas.

Depuis le début, les fondateurs s’attachent à rester sur leur ligne directrice, à savoir focalisés sur un seul produit. Jessy précise : « Nous n’avons pas la culture du pivot au travers de nos différentes expériences entrepreneuriales. Nous partons du postulat de base, à savoir concevoir un logiciel pour aider les médecins et nous le développons. Nous n’avons pas vocation à changer de business model ! »

Les levées de fonds, un passage obligé.

Côté financement, les fondateurs décident de passer dès le départ par des levées de fonds pour servir leurs objectifs de croissance. En février 2014, ils lèvent 1 million d’euros pour amorcer les débuts de l’aventure, sur leurs fonds propres et auprès d’entrepreneurs français de leur entourage. En décembre, ils réalisent un second tour de table de 4 millions d’euros auprès des mêmes entrepreneurs auxquels viennent s’ajouter Pierre Kosciusko-Morizet et Pierre Krings.

Enfin, en octobre 2015, c’est le fonds américain Accel Partners ainsi que Nicolas Brusson, cofondateur de BlaBlaCar, qui mettent la main à la poche. Ils rejoignent les investisseurs historiques de l’entreprise pour un troisième apport de 18 millions d’euros. « Depuis le premier jour, notre stratégie de développement est de lever des fonds » précise le fondateur. « Cet argent va servir au recrutement principalement en France. Cependant, nous attribuerons quelques deniers au développement à l’international dans les pays d’Europe de l’Ouest. Mais globalement, il s’agit de multiplier la taille de l’équipe en général. Nous allons recruter 30 personnes chaque mois cette année. »

La structuration et l’agilité comme maîtres-mots.

Pour absorber une croissance aussi rapide, l’entreprise a besoin de se structurer. Les fondateurs ont rapidement recruté des managers intermédiaires et mis en place des processus d’organisation assez fins pour faire avancer leurs projets et continuer à garder une agilité. « Nous avons une équipe incroyable depuis le jour 1.

La boîte n’est plus du tout pilotée par Ivan, Jessy ou moi. Nous avons recruté des collaborateurs efficaces, motivés et dévoués, qui managent efficacement les échelons intermédiaires. Sans eux, la croissance ne serait rien » précise Stanislas.

Aujourd’hui, l’entreprise compte 200 personnes et aucun manager intermédiaire ne gère d’équipe supérieure à 10 personnes. Il existe très peu de hiérarchie, l’ensemble des employés travaille en mode collaboratif. Par ailleurs, équipes de développement sont soumises à des « sprints » (comprendre : objectifs) à la semaine. L’agilité des équipes semble totale. « Nous organisons des points hebdomadaires avec les équipes » dévoile Ivan. « Nous tenons également des réunions matinales, les stand-up meetings, pour savoir rapidement qui a besoin d’aide dans l’avancement de ses projets. » Le principe de ces mini-réunions est simple : tous les membres de l’équipe se retrouvent à une heure fixe, autour d’un tableau couvert de post-its. Chacun prend une minute de temps de parole pour échanger sur les objectifs à remplir dans la journée.

Des fondateurs très opérationnels.

Si les salariés de l’entreprise semblent répondre à des processus d’organisation bien précis, les fondateurs de l’entreprise ne sont pas en reste. Tous les trois possèdent encore aujourd’hui un aspect très opérationnel sur leur métier. Stanislas évolue sur le terrain commercial, quand Jessy et Ivan travaillent constamment côté technique. Les trois cofondateurs essayent d’être de moins en moins sur l’opérationnel, pour laisser aux équipes une autonomie complète. Ce n’est cependant pas encore possible à 100 %.

« Mes journées se structurent autour des rendez-vous au contact de praticiens et directeurs d’établissements. Je passe également un quart de mon temps ici, au bureau, à gérer la boîte de façon globale » détaille Stanislas, qui avoue ne pas compter ses heures. « Je travaille énormément, le jour, la nuit, tous les dimanche et n’ai pas de limite. Ce matin je suis arrivé à 5h.

» Quant à Ivan et Jessy, leur quotidien se situe plutôt au bureau. Eux supervisent l’équipe technique et l’équipe produit. « Nous répondons à l’ensemble des sollicitations des collaborateurs au quotidien », précise Ivan. « Nos journées commencent à 9h et finissent vers 20h. Même si cela fait deux ans que nous travaillons à fond, le fait d’évoluer en duo nous permet de prendre des congés, des week-ends. étant sur le même poste. On peut se reposer l’un sur l’autre et partir en vacances tranquillement en restant serein sur les tâches à réaliser. »

Une culture d’entreprise très forte.

Au-delà de l’implication des fondateurs et de la structuration de l’entreprise, ce qui semble faire le succès de Doctolib aujourd’hui, ce sont ses 200 collaborateurs et l’esprit d’équipe qui les fédère. « Quand je regarde en arrière, je n’ai aucun sentiment d’accomplissement car nous restons au tout début de l’aventure » explique Stanislas. « En revanche, ma véritable satisfaction consiste à voir à quel point les équipes profitent du quotidien et font preuve d’un esprit incroyable. ».

Avant tout, des valeurs communes

Est-ce bien étonnant, quand on sait à quel point les fondateurs ont tenu dès le départ à véhiculer des valeurs communes ? Cet état d’esprit général prend forme dans le « SPAAH » (comprendre : Service Passion Ambition Attaque Humilité), un état d’esprit insufflé par les fondateurs. « Ces lettres constituent une manière de mettre des mots sur la façon dont on désire travailler », précise Jessy. « Nous avons défini ces valeurs au départ, lorsque nous étions une quinzaine dans l’entreprise. » Pour montrer aux collaborateurs à quel point le SPAAH est un état d’esprit essentiel, les fondateurs n’hésitent pas à féliciter les membres de l’équipe qui appliquent particulièrement le concept en les récompensant lors de séminaires organisés tous les six mois, les « Docto Awards ».

Les équipes, au centre des préoccupations

Stanislas est à l’origine de cette attention particulière portée aux équipes. Sans doute par conviction personnelle, mais pas seulement. « Je pense que c’est assez peu probable qu’une entreprise qui réussit n’apporte pas d’attention à ses équipes. En effet, elles constituent le point numéro 1 du succès. Pour ma part, j’ai créé cette boîte pour cela.

J’aime fédérer une équipe. J’apprécie l’idée que mon entreprise donne du bonheur aux gens. Cela vient de ma culture, de mon éducation et de mon passé » précise-t-il, avant de se confier, avec humilité : « J’attache beaucoup d’importance à l’écoute. Cela doit provenir de mon bégaiement, qui est un élément clé de ma personnalité. Mon caractère de battant, je ne le puise pas dans mon parcours à HEC, ni dans le financement de Lafourchette, ni dans le sport de haut niveau. Ma force, c’est mon bégaiement. Je me remets en question en permanence. Imaginez qu’il y a dix ans, je pouvais à peine aller acheter une baguette à la boulangerie. Aujourd’hui, j’ai dompté le phénomène. Mais quand je passe à la TV ou que j’effectue une présentation devant 15 personnes, j’en suis fier car je ne pensais pas un jour que je serais capable de le faire. »

Des plans ambitieux pour l’avenir.

Quand ils regardent dans le rétro, les fondateurs doivent faire attention à ne pas avoir le vertige. Avec 7 000 praticiens qui leur font déjà confiance, en deux ans d’existence, tous les voyants semblent au vert pour Doctolib. Et face aux concurrents, pourtant implantés avant eux sur le secteur (la plateforme américaine Zocdoc a vu le jour 2007, au même titre que plusieurs start-up françaises comme MonDocteur, Keldoc, RDVmedicaux ou PagesJaunesDoc), Doctolib entend bien conserver sa position de jeune leader. « Tous ces acteurs sont arrivés largement avant nous sur le marché. Pourtant, nous avons six fois plus de professionnels de santé et dix fois plus de trafic que le concurrent n°1 » se réjouit Stanislas. « La qualité de notre équipe, l’exigence du suivi des clients, l’expérience de la prise de rendez-vous sur internet et la connaissance fine du milieu médical constituent aujourd’hui nos atouts pour rester en tête.

Mais il ne faut pas perdre de vue notre humilité. Il faut continuer de faire évoluer notre service tout en restant proche des médecins. » Et pour garder le cap, les objectifs affichés par les fondateurs sont ambitieux. Dès cette année, l’entreprise devrait s’exporter dans deux autres pays en Europe de l’Ouest, tout en visant la création d’une communauté de 400 000 professionnels et 10 000 centres de santé d’ici 2020. Au rythme où l’entreprise grandit, il y a fort à parier que les 2 000 employés qu’ils ambitionnent de recruter d’ici 4 ans rejoignent effectivement leur équipe. Et que les locaux de l’avenue de Sébastopol ne soient alors -peut-être- qu’un lointain souvenir…

Les valeurs de l’entreprise

Les valeurs de Doctolib s’articulent autour de cinq piliers : le SPAAH.

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