Dans les coulisses des levées de fonds

Janvier 2020 :  776,3 millions d’euros levés par 70 startups ! Ecovadis (180 millions d’euros), ManoMano (125 millions d’euros) et Qonto (104 millions d’euros) qui réalisent les trois plus grosses levées.

Les secteurs qui ont le vent en poupe 

Alors que les levées de fonds apparaissent souvent comme un passage obligé pour conduire les jeunes start-up au succès, nous avons voulu en savoir plus sur les critères d’attribution de ces dernières. Enquête dans le milieu des investissements privés.

Savez-vous ce que Flashgap, Giphy, GuestToGuest, Stootie ou encore Snapchat ont en commun ?

Ces entreprises ont chacune levé des fonds…

alors qu’elles ne possédaient pas de Business model ! En Février 2015, l’application mobile Flashgap, qui propose à des groupes d’amis de regrouper leurs photos de soirée pour les faire apparaître à midi le lendemain, annonce avoir levé 250 000 euros. Quelques mois plus tard, en septembre, les fondateurs lèvent 1,5 million.

Emmanuel Arnaud, fondateur du réseau social GuestToGuest,

qui permet à des familles de passer des vacances à moindre coût en échangeant leur maison gratuitement, s’est quant à lui concentré sur la création d’un réseau de millions d’utilisateurs, en ne présentant aucun Business model précis. Au printemps 2015, l’entreprise a pourtant levé 4 millions d’euros auprès de la MAIF après une première augmentation de capital d’un million en juin 2014.

Jean-Jacques Arnal a quant à lui lancé la start-up Stootie en juin 2012,

qui propose des services entre particuliers géolocalisés. Sans définir d’axe de monétisation, le fondateur est parvenu à lever 420 000 euros en 2014 puis 1,2 million d’euros en avril 2015.

Quant à Giphy, qui développe un système de partage de gifs animés,

elle a récolté 55 millions de dollars au total, ce qui la valorise déjà à 300 millions, alors même qu’elle ne monétise aucun de ses contenus. Enfin, Snapchat, qui permet le partage temporaire de photos et de vidéos a attiré de nombreux investisseurs et les offres de rachat se bousculent à partir de 2013. En 2015, Snapchat est valorisé à hauteur de 20 milliards de dollars… alors que le Business model n’existe pas ! Il ne semble donc pas si rare de voir un service web ou une application initialement sans Business model lever plusieurs milliers, voire des millions d’euros. Comment se fait-il que des start-up parviennent à solliciter les investisseurs pour augmenter leur capital, et même d’obtenir des réussites fulgurantes, alors que d’autres doivent montrer patte blanche pour obtenir quelques milliers d’euros ?

L’économie numérique : un levier formidable d’acquisition

Une première explication quant au dynamisme de ces investissements prend racine dans l’essor du digital. Les start-up citées ci-dessus possèdent toutes un second point commun : elles font partie de l’écosystème de l’économie numérique, en ébullition depuis le milieu des années 2000. Indéniablement, le numérique a permis de démocratiser la création d‘entreprises et de nombreuses personnes se lancent sans définir clairement de Business model, en se concentrant sur l’acquisition.

Sur son blog, le serial entrepreneur Guilhem Bertholet notait déjà en avril 2014 :

« Il y a quand même pas mal d’argent autour des startups, et cet argent a tendance à aller vers les projets, B2B comme B2C, qui tendent à montrer qu’ils intéressent quelques utilisateurs, et qu’il y a des leviers pour accélérer l’acquisition. » L’économie numérique au sens large constitue donc un levier crucial pour les start-up qui prétendent lever des fonds.

Les exemples de ces dernières années montrent d’ailleurs à quel point le digital a permis à des entreprises de lever de gigantesques montants. Le mois de février 2015 a été marqué par un record pour l’entrepreneuriat français. L’entreprise toulousaine Sigfox, aidée par la banque Lazard, a conclu un tour de table de 100 millions d’euros, dépassant l’entreprise de covoiturage Blablacar qui avait en juillet 2014 levé la somme de 100 millions de dollars (environ 88 millions d’euros). Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, y est même allé de son petit tweet pour féliciter la start-up issue du mouvement de la French Tech.

Un mois après, c’est Augure, éditeur de logiciels,

qui annonce avoir réalisé une levée de fonds de 15 millions d’euros, auprès de ses actionnaires historiques Serena Capital, Ventech, OTC Agregator et Amundi private equity funds.

L’entreprise Smart mu up

a quant à elle levé 2 millions d’euros pour démocratiser la reconnaissance faciale, et Enerbee, qui a mis au point un microgénérateur destiné à remplacer les piles et les batteries dans les objets connectés, a levé 1,6 million d’euros auprès de Robolution Captal et Emertec.

Un bémol : les français champions… des petites levées !

Si les chiffres et les exemples ci-dessus sont encourageants pour l’écosystème entrepreneurial français, ils démontrent deux choses. D’une part, que le secteur du numérique favorise en majeure partie l’accès à l’ouverture du capital, particulièrement s’il s’agit de domaines en vogue ou totalement innovants, comme celui des objets connectés. Et d’autre part, ils prouvent qu’à moins d’être reconnu sur son marché et de solliciter une levée pour la troisième ou quatrième fois consécutive, la plupart des start-up françaises parviennent effectivement à lever des fonds, mais généralement sur des petits montants en amorçage. Les tours de table intermédiaires, de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros, paraissent plutôt rares.

Une étude récente menée par le média Tech.eu sur les levées et les acquisitions des jeunes entreprises de l’Hexagone a montré que 77 % des levées de 2015 affichaient un montant inférieur à 5 millions d’euros. Dans le détail, le rapport expose le fait que 52 % de toutes les levées de l’année ont été comprises entre 1 et 5 millions d’euros. Les levées situées entre 500 000 et 1 million d’euros représentent quant à elles 15 % du total, et celles de moins de 500 000 euros 10 %. à noter que selon le rapport, plus de 50 % des levées réalisées en France en 2015 ont eu lieu au stade d’amorçage.

Comment expliquer ces chiffres ?

La bonne santé des levées en amorçage et la proportion élevée de petites augmentations de capital semblent donc deux caractéristiques propres aux start-up tricolores. Comment expliquer ces deux phénomènes ? Quentin Fournela est CEO de l’entreprise Silex, qui édite une plateforme B to B de mise en relation entre entreprises et prestataires de services. Créée en mai 2014, l’entreprise a levé 300 000 euros en amorçage en septembre de la même année, et cherche aujourd’hui à récolter 1 million d’euros pour continuer d’investir dans sa technologie. « Je ne suis pas étonné que certaines start-up parviennent à lever des fonds en amorçage sans business model. Au début d’une aventure entrepreneuriale, une levée de fonds s’appuie sur la capacité des dirigeants à attaquer un marché et à s’y imposer. C’est cela, plus que les prévisions financières et la stratégie à long terme, qui prédomine. »

Pour appuyer son propos, le jeune homme raconte l’aventure de la société américaine de VTC Lyft, qui a levé au total 680 millions de dollars aux États-Unis en 2015, simplement en annonçant vouloir diviser les prix pratiqués par son concurrent Uber, sans pour autant afficher de véritable business model. Aujourd’hui, la start-up s’est alignée sur son concurrent, à une différence près : Lyft se concentre sur le transport de personnes, quand Uber se lance dans la livraison.

Au sujet de cette différence entre France et États-Unis,

Quentin Fournela se risque à une explication. « Dans notre pays, il faut des éléments de validation très forts pour lever beaucoup d’argent. Blablacar a certes réalisé une importante levée, mais il a fallu qu’ils montrent patte blanche. à partir du moment où ils ont été reconnus sur leur marché, c’est allé vite. Mais globalement, je pense qu’on a peut-être moins le goût du risque en France qu’aux États-Unis. Les fonds d’investissement aiment avoir de nombreux marqueurs de validation avant de se lancer dans le financement d’un projet. »

Cette manière de fonctionner possède ses avantages, mais a également un revers. En France, les entreprises​ ​passent ainsi beaucoup de temps à​ ​lever des montants relativement peu​ ​élevés.  « J’ai​ ​déjà vu certains entrepreneurs​ ​passer plus de 8 mois sur leur levée de fonds pour ne lever « que » 200 000 €, alors que ce n’était qu’une étape de leur développement. Je trouve cela énorme et on en oublie l’essentiel : la croissance de l’activité.

Ce qu’attendent les investisseurs

Alors, pour obtenir le précieux sésame, comment s’y prendre ? Qu’attendent les investisseurs des start-up candidates à un projet de financement ? Jean-Bastien Dussart, cofondateur de Shippeo, analyse : « Le sérieux de l’équipe constitue le point n°1 sur lequel se focalisent les investisseurs selon moi. Ils veulent savoir si vous serez capables de répondre aux attentes des clients et si votre produit est en parfaite adéquation avec une problématique identifiée et expliquée. »

De son côté, Quentin Fournela insiste sur les notions de rentabilité et de « scalabilité » (comprendre : potentiel de développement). « Les investisseurs vont vous demander tous les éléments qui les rassureront sur les éléments de croissance mis en avant » précise le jeune homme. « Pour chacune des actions business que vous allez présenter, ils se demanderont si cela leur semble viable ou non. Par exemple, si vous prévoyez un budget pour mettre en place du référencement payant sur internet, ils s’assureront que le jeu en vaut la chandelle ! »

Dans l’optique de lever des fonds

Certaines astuces permettent d’accélérer les choses. Si s’inscrire à des concours ne permet pas de lever de l’argent en tant que tel, cela constitue un moyen intéressant de se rendre visible. Et passer par un incubateur est également un gage de crédibilité. « Pour entrer dans un incubateur, vous devez présenter un dossier, on vous challenge sur des questions propres à votre business.

Aux yeux des fonds d’investissement, c’est crédibilisant et cela permet de rôder son discours » explique Jean-Bastien. Bien sûr, au-delà de ces critères objectifs, une part de subjectivité demeure. Les fondateurs et les investisseurs doivent bien s’entendre entre eux, étant donné que ces derniers, par leur apport en capital, entrent ensuite au board des boîtes dans lesquelles ils investissent. Reste aux entrepreneurs de faire preuve de conviction, et de ne pas lâcher le morceau. « Il faut être véritablement proactif, relancer les fonds, leur apporter de l’information en permanence. Les fonds ne viennent pas vers vous, c’est à vous d’aller vers eux » conclut Jean-Bastien. Vous savez ce qu’il vous reste à faire…

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