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Entrepreneur

Interview de Denys Chalumeau, Fondateur de SeLoger

Entretien exclusif avec Denys Chalumeau, fondateur des sites Internet Promovacances et SeLoger. Il lance aujourd’hui deux nouveaux projets : SeFaireAider.com et Openoox.

Parlez-nous de vos premiers pas dans l’entrepreneuriat.

J’ai lancé France Télématique Diffusion, une société d’hébergement et de développement sur Minitel en 1992. Un client est venu me voir avec un projet sous le bras : 3615 Se loger. J’ai développé le service que j’ai finalement racheté, sentant le potentiel du concept. Nous avons en parallèle lancé l’idée du service 3615 Promovacances.

Quand avez-vous pris le virage du Web pour ces deux concepts ?

Dès les années 95/96, mes développeurs m’ont parlé d’une nouvelle technologie qui venait des états-Unis, Internet. Ils avaient envie de la tester et me demandaient d’acheter un peu de matériel pour le faire. Pour qu’ils ne perdent pas leur temps, je leur ai demandé d’essayer de mettre Promovacances sur Internet. Ils y ont finalement mis aussi SeLoger. Nous avons très vite vu que les deux petits sites créés par nos développeurs connaissaient un succès croissant. à la fin de l’année 1996, je me suis donc posé avec mes deux associés, Amal Amar et Vincent Rousset pour réfléchir sérieusement aux stratégies à adopter pour survivre à la mort annoncée du minitel.

Peu de temps après, la folie des start-ups Internet est arrivée en France. Que s’est-il passé pour vous ?

Les valorisations des start-ups ont vite explosé en France. En 1998, trois étudiants que je connaissais m’ont demandé s’ils pouvaient utiliser la nuit notre bande passante pour essayer de mettre des choses en ligne. Ces petits génies de l’informatique ont développé pour nous Citéweb, un des premiers sites d’hébergement de pages gratuites. Très vite, leur site a eu un énorme succès. Comme ce site ne nous rapportait rien et mangeait toute notre bande passante, j’avais envie de le revendre. Un investisseur américain est arrivé et nous a fait une offre de 15 millions de francs pour le racheter. Nous nous sommes rendu compte avec mes associés que, si un petit site qui ne rapportait rien pouvait valoir 15 millions, nos sites Promovacances et SeLoger, qui étaient déjà rentables, devaient valoir 100 fois plus.

Et vous avez réussi à toucher le gros lot ?

Je suis allé voir des importants acteurs du tourisme pour leur présenter Promovacances. Dès le premier rendez-vous, on me proposait un chèque de 50 millions de francs ! Flairant ainsi l’énorme potentiel de nos deux sites, nous avons finalement décidé de ne pas les vendre, mais plutôt de passer la seconde vitesse et de lever des fonds. En 2000, j’ai rencontré des ventures capitalists qui ont tout de suite valorisé l’entreprise à 500 millions de francs ! Ils nous ont dit qu’un an plus tard, elle vaudrait même plus d’un milliard ! Nous avons donc cédé 20 % du capital en levant 100 millions. Nous avons également négocié que la moitié serait pour nous, les associés. C’était l’euphorie ! Nous avons donc restructuré l’entreprise pour faire de l’hyper-croissance. Pour Promovacances nous avons commencé l’année à 35 salariés pour la terminer à 180.

Mais cette période d’euphorie s’est vite assombrie ?

En juin 2000, la bulle Internet a éclaté et les valorisations des start-ups du Web ont toutes perdu entre 50 et 70 %. Nos actionnaires ont calculé que l’entreprise ne valait finalement plus qu’un tiers de leurs calculs. Ils étaient donc irrités d’avoir survalorisé la boîte, tout en sachant que 50 % de la somme était partie dans nos poches directement. à côté de cela, quasiment tout l’argent que j’avais mis à la banque trois mois plus tôt s’était envolé, car je ne m’en n’étais pas occupé et j’avais laissé mon conseiller le placer en bourse. Promovacances et SeLoger ont tout de même continué sur leur dynamique d’hyper-croissance jusqu’au 11 septembre 2001…

Le marché s’est complètement effondré d’un seul coup ?

Ça a été terrible. à l’été 2001, nous étions dans un processus de cession de Promovacances auprès de grands groupes. Nous négociions alors sur des valeurs de vente de l’ordre de 150 à 200 millions de francs. Le 11 septembre, je réalise subitement que la vente ne pourra jamais se faire et que plus personne ne voudra prendre l’avion. Mon DAF m’explique alors que, selon ses calculs, la filiale Promovacances serait en faillite un mois et demi plus tard, entrainant toute mon entreprise dans sa chute. Je me rends donc au Tribunal de Commerce pour entamer une procédure d’accompagnement. J’ai eu de la chance de tomber sur un bon mandataire qui m’a aidé à céder in extremis Promovacances à l’entreprise Karavel pour un euro symbolique. Ça a été pour moi une victoire de réussir à sauver l’entreprise et tous ses salariés. Mais sur le plan personnel je l’ai vécu comme un véritable échec : ce sont dix ans d’efforts qui sont partis pour un euro.

Vous avez donc concentré vos efforts sur la croissance de SeLoger ?

En faisant le bilan, je me suis aperçu que le groupe était staffé pour une équipe de 300 personnes et qu’il ne restait désormais plus que 100 salariés. Les recettes de SeLoger seules ne suffisaient pas à payer tout le monde. Mon DAF a de nouveau fait ses calculs et il m’a prévenu que je devais licencier 35 personnes pour que l’entreprise soit à l’équilibre. Il avait chiffré également le plan de licenciement à 6 millions de francs, somme que nous n’avions pas du tout dans les caisses. Avec mes deux associés, nous faisions parler les chiffres et nous voyions bien que, si nous licenciions ces 35 personnes, la croissance pourrait repartir fortement. Nous avons donc, tous les trois, gratté les fonds de tiroirs de nos capitaux personnels. Comme je n’avais plus grand-chose sur mon compte, j’ai dû demander à mes parents l’autorisation de revendre la maison de campagne familiale qui me revenait en héritage afin d’apporter ma contribution. Puis nous avons licencié les 35 personnes, ce qui a été très douloureux pour nous. Cette période d’intenses difficultés a été très dure à vivre pour moi et j’ai même connu des phases dépressives. Mais nous avons pu rebondir. Et en 2002, nous étions de nouveau en selle pour la croissance.

C’est à ce moment-là que SeLoger est entré en bourse ?

En 2005, SeLoger est entré en bourse sur une valorisation de 400 millions d’euros. La croissance a continué jusqu’en 2010, lorsqu’un grand groupe allemand, Axel Springer, nous a fait une belle proposition de rachat, à 630 millions d’euros. Cela faisait 20 ans que nous développions SeLoger et nous avions envie de monétiser enfin le travail effectué. Nous avons donc cédé nos parts et démissionné de nos rôles de dirigeants.

4 Conseils de Denys Chalumeau

  • Avoir si possible plusieurs projets pour ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier

A priori la créativité d’un entrepreneur a besoin de plusieurs espaces d’expression. Et c’est un bon remède contre la peur d’échouer.

  • Faire parler les chiffres

Il faut être en mesure de pouvoir faire parler ses chiffres, ses tableaux à tout moment. Si, en situation de crise, il faut un mois pour faire un business plan, l’entreprise a vite le temps de mourir.

  • S’entourer d’exécutants à haute valeur ajoutée

Très souvent, en tant qu’entrepreneur, on a envie d’être le plus intelligent de la bande, de s’entourer de gens devant qui on va pouvoir briller. Mais tant pis pour son égo : si ses salariés sont meilleurs que soi, c’est parfait !

  • Avoir toujours un budget pour l’accompagnement juridique

Je vois énormément d’entrepreneurs embaucher sans s’entourer d’un avocat spécialisé, et qui se retrouvent ensuite avec des contrats dans lesquels il manque la moitié des clauses. Cela ne produit au final que du temps et de l’argent perdus.

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